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lundi, 19 janvier 2015

POUR WOLINSKI, ORATEUR PAR ECRIT

CABU, WOLINSKI, REISER ET LES AUTRES (3)

 

WOLINSKI, LE SCEPTICISME ÉCLAIRÉ

 

Non, je l'ai dit ici même (le 9 janvier), je ne suis pas Charlie. Je ne suis pas Cabu, ni Wolinski, ni aucun des autres. En dehors du deuil que je ressens après leur mort, je crois en revanche que ces meurtres, accomplis avec quel sang froid ..., sont d'une gravité sans précédent pour la France en tant que nation.

 

Et je penserais de même si je me disais qu'après tout, la disparition de la revue médiocre et basse de plafond qu'était devenu Charlie Hebdo ne serait pas un si grand drame. Raison de plus pour poursuivre la comparaison avec son vieux père, lui aussi hebdo, lui aussi Charlie, celui qui a défunté en 1981 faute de lecteurs.

 

Cabu, donc, a été assassiné. Wolinski a été assassiné. Je n’en reviens pas. Pour Wolinski en particulier, je crois qu’il serait resté incrédule si une voyante ou une diseuse de bonne aventure lui avait prédit qu’il mourrait pour ses idées, lui qui a publié aussi bien dans L’Humanité que dans Paris Match,

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sans compter les innombrables collaborations, ponctuelles ou durables.

 

Des idées, vraiment ? Georges Brassens le dit : « Mourir pour des idées, L'idée est excellente. Moi j'ai failli mourir de ne l'avoir pas eue ». Wolinski, au fond, regardait avec un recul et un scepticisme certains les affrontements proprement politiques.

 

Wolinski avait un cœur politique d'artichaut : il donnait une feuille dessinée à tout le monde (il devait connaître la chanson de Tonton Georges "Embrasse-les tous"). 

 

Et s'il avait des idées, il n'a sûrement jamais eu celle de mourir pour elles. Avait-il seulement des convictions ? Certainement et je n'en doute pas, au moins pour ce qui est de vivre joyeusement et entouré de jolies femmes. Pour les idées politiques, j'en doute avec force. Je peux me tromper : je ne le connaissais pas personnellement.

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Pour les collaborations, je me garde bien de mettre  Charlie Hebdo dans le même sac. On ne peut pas faire de Wolinski un simple collaborateur de Charlie Hebdo. Il a fait partie en effet de la grande équipe de Hara Kiri dès 1960 ; il a succédé à Gébé à la direction de Charlie, le fabuleux mensuel de bandes dessinées auquel il a donné une aura de gloire qui en fait un objet de collection bien connu des amateurs ;

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il a pris en charge Charlie Hebdo première manière (1970-1981) après la mort de De Gaulle et l’interruption brutale de l’hebdo Hara Kiri. Bref, c’est un pilier de la boutique qui a dû être bien étonné de mourir sous les balles de fanatiques.

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Mettons-nous d’accord, pour commencer : on me dira ce qu’on voudra, mais si Wolinski dessine, ce n’est certainement pas un dessinateur. Attention : ça ne l’empêche pas d’avoir un style de trait qui le rend immédiatement reconnaissable. Son truc à lui (comme à Cabu et Reiser), c’est d’être efficace.

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Ce qui compte, c’est l’effet produit. Et Wolinski, avec les moyens graphiques qui sont les siens, parvient avec une aisance stupéfiante à son but. Comment ? Il ne s'encombre d'aucun accessoire inutile. Il va droit à son but : le propos qu'il veut tenir. Son économie de moyens ne l’empêche pas d’obtenir une étonnante expressivité et de mettre dans ses schémas de personnages assez de signes distinctifs pour les caractériser.

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Est-ce qu'elle n'est pas géniale, cette formule ?

Son art à lui tient à autre chose que la virtuosité du trait. Wolinski, en dehors d’être l’érotomane accompli que tout le monde connaît, quand il ne fait pas l’éloge du cul des Cubaines, je veux dire quand il travaille pour un journal, il devient un très grand inventeur de situations.

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Wolinski est avant tout un maître de logique. Les raisonnements qu’il élabore autour des questions les plus diverses sont des enchaînements irrésistibles de propositions successives, qui aboutissent invariablement à des conclusions au moins paradoxales, souvent loufoques et pleines de bon sens. Quand on arrive au bout, on se pose la question, ahuri et stupéfait : « Mais comment a-t-il fait pour arriver là ? ».

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Du temps où j’achetais assidûment Charlie Hebdo, j’aimais énormément la page ou la colonne où il mettait face à face deux personnages assis devant un verre. Tout se passait dans les bulles.

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L’art de Wolinski, c’est d’abord des petits bijoux de textes ouvragés et découpés par un orfèvre en matière de raisonnement. Il élabore des suites de propositions qu’il raboute l’une à l’autre de manière que l’enchaînement paraisse évident, et en bout de course, il vous pulvérise une cible inattendue. Vous n’avez pas vu venir. Et là, vous dites : « Chapeau ! ».

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C’est ça que je retiens de Wolinski : son génie du discours construit, rationnel et raisonnable, mis au service de la mise à distance de tout ce qui est idéologie, doctrine, système ou théorie (les « – ismes »).

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La vie, l’amour, les femmes : ma foi, ce credo vaut tous les autres. Wolinski aurait pu être pataphysicien. Il l’était sûrement (tout le monde l’est). Peut-être même faisait-il partie de la toute petite élite des « pataphysiciens conscients ». 

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Si ce n’est pas le cas, nul doute qu’il eût mérité d'être « élevé à la dignité » de Transcendant Satrape. A ne confondre en aucun cas, comme chacun est invité à le savoir, avec la fonction de Vice Curateur. Encore moins avec celle de Curateur Inamovible.

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

Note : cette série de Wolinski, c'est la page 2 du Charlie Hebdo n°90 du lundi 7 août 1972. La "Une" est de Reiser.

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