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jeudi, 19 janvier 2017

MASCULINITÉ ET MODERNITÉ

De la pratique de l’auto-mutilation en musique. 

Je ne sais pas vous, mais moi, je trouve difficile de trouver dans le paysage musical un ensemble vocal dans lequel on n’entende pas une ou plusieurs voix dont le rayon perce avec plus ou moins de brutalité le nuage sonore, normalement « fondu », quand il est capable de « sonner » dans l’oreille de l’auditeur comme si le collectif de chanteurs, à force d’homogénéité dans l’émission des sons, ne montait que d'un seul gosier. Or il me semble avoir pu remarquer que, le plus souvent, cette voix qui a du mal à « se fondre » dans le chœur, c'est celle du haute-contre. Pas moyen de tomber sur un groupe dépourvu de haute-contre. 

Pourtant allez sur France Musique écouter l’ensemble Huelgas de Paul van Nevel, dont le concert autour du Livre de chœur d’Eton (répertoire religieux de la période des Tudor) était retransmis le 17 janvier, et vous éprouverez le sentiment de la perfection du chant collectif a cappella. Et ce soir-là, s’il y avait un « ténorino », nulle trace de haute-contre. Le chant choral évite autant que possible l’expression des individualités : chacune est invitée à faire sienne le mot que Mathias Grünewald fait sortir de la bouche d'un Saint Jean-Baptiste pointant son index vers le crucifié : « Illum oportet crescere, me autem minui ». 

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En français libre : c’est lui qui doit grandir, moi je dois me faire tout petit. Chanter en chœur est un exercice d’humilité, j'en sais quelque chose, pour avoir chanté plusieurs années sous la direction de Bernard Tétu (chœurs de l'ONL). Pour la beauté de l'ensemble, il faut que la fierté de chacun soit mise en berne. C’est la raison pour laquelle la version donnée des madrigaux de Carlo Gesualdo par le Quintetto Vocale Italiano d’Angelo Ephrikian sonne aussi singulière, voire étrange, parmi les versions disponibles : ses membres sont des solistes.

Ce que je reproche à quelqu’un comme Dominique Visse, qui dirige l’ensemble Clément Janequin, est sa façon particulière, aigre et métallique, d’émettre le son, qui tient pour une part à son timbre, mais aussi à ce qu’il est haute-contre (alors que sa voix parlée serait plutôt celle d'un baryton - léger, lourd-léger ou poids welter, je n'en sais rien).


Pour avoir le son dans l'oreille (5'46"). Je précise que le problème que j'ai avec la voix de Dominique Visse ne m'empêche pas d' "ouyr les cris de Paris" (ci-dessus) avec la délectation du mélomane tout prêt à s'enthousiasmer pour le travail de virtuose du quintette vocal qu'il a réuni : c'est du "travail à la petite scie", si cela veut encore dire quelque chose à quelqu'un. L'ensemble Clément Janequin a commis quelques objets sonores dignes de marquer à jamais l'oreille de l'amateur. On peut s'en convaincre en écoutant, par exemple, une "Fricassée parisienne", dans le CD du même titre.

Il est hélas bien rare que le haute-contre, dans quelque ensemble vocal que ce soit, ne se fasse pas remarquer. Cela tient sans doute au fait qu’un timbre masculin, quand il se fait entendre dans un registre normalement réservé aux femmes, ne « sonne » pas comme les autres malgré une tessiture identique. Cela pourrait passer pour bizarre, mais je postule cette hypothèse qu'il existe, sous les couches superposées de la "culture", au moins une couche imputrescible de "nature" : sous le déguisement féminin, quelque chose de masculin consiste, persiste et résiste. 

Même Philippe Jarrousky, la coqueluche actuelle de toutes les scènes baroques, est reconnaissable à son timbre, alors même que sa voix pourrait passer à s’y méprendre pour une voix féminine. Il n’y a pas à tortiller : le transsexualisme, complet (mais est-il jamais complet ?) ou seulement vocal, est un rêve bien difficile et coûteux à réaliser. A propos de Jarrousky, on trouve dans l’encyclopédie en ligne cette précision : c’est « son aisance et son plaisir d’interprétation dans ce registre » qui a décidé de son choix. C’est son droit, évidemment : son plaisir lui appartient, mais c'est son plaisir à lui.

Je pourrais développer en soulignant que, question durée ou intensité, le plaisir féminin n'a pas grand-chose à voir avec le masculin, mais le terrain pourrait vite devenir glissant. Je me contenterai de signaler l'aberration qui consiste pour un homme à espérer un jour éprouver ce qu'éprouve la femme (quand elle a la chance de voir l'orgasme lui arriver) en se comportant comme elle dans l'amour. Le plaisir masculin est ce qu'il est, voilà tout : intense, mais bref. Ne pas confondre verbe d'action et verbe d'état. Je n'ai guère envie d'envier ma voisine pour ce qu'il y a dans son assiette.

Ce qui me gêne dans cette affaire, c’est que le haute-contre (ou contre-ténor, ou falsettiste, ou sopraniste ou que sais-je, pour les différences, voyez un spécialiste) est devenu une figure incontournable du paysage musical. Il en vient de partout, et tous techniquement très au point, souvent talentueux, si bien que le marché est de plus en plus encombré. Cette espèce d’anomalie d’attribution (erreur de casting si vous voulez) s’est répandue, jusqu’à faire paraître étranges les ensembles vocaux qui n’en comprennent pas un ou deux.

Je dis bien « anomalie », parce qu’il ne faut pas oublier comment les « Saints-Pères » successifs ont fabriqué les haute-contre à Rome : prenez les jeunes garçons qui ont la plus jolie voix, castrez-les avant la mue de la puberté et faites-les chanter à la Chapelle Sixtine. C'est là (et sans doute pas que là) que les prélats, évêques et cardinaux prenaient leur pied.

Alors c’est vrai, aujourd’hui, les hommes qui choisissent une telle voie pour leur voix ne subissent plus pareille mutilation, et c’est à force d’entraînement, de travail et de technique qu’ils obtiennent un résultat satisfaisant. La tessiture ne change plus rien à l'anatomie. Mais je ne peux pas m’empêcher de me dire qu’il y a là quelque chose qui ressemble à ce qu’on appelle « automutilation », vous savez, ces pratiques des prisonniers qui avalent des fourchettes ou des bidasses de 14-18 qui se coupaient quelques doigts pour ne pas monter au front.

N’est-ce pas en effet s’automutiler que de renoncer à un attribut du masculin quand on est doté physiquement de ce sexe ? A ce propos, qu’on ne compte pas sur moi pour adhérer à la fable du « genre », puisqu’on sait immémorialement que, si la nature dote l’homme de caractères sexuels précis – les exceptions (« intersexuées » comme on dit quand on est LGBT) sont rarissimes – l’homme en fait ensuite plus ou moins ce qu’il veut. Il exerce la liberté que lui permet la culture dans laquelle il a grandi, à moins que ce soit celle qu’il a décidé de prendre, comme toute l’histoire de l’humanité en est littéralement farcie : l'histoire des fantaisies humaines en matière sexuelle est définitivement inépuisable. Alors franchement, la petite écume de vaguelette de risée du « genre », non merci.

Je suis frappé de l’aisance avec laquelle le coin du registre de la voix féminine des hommes est entré dans le beurre mou des cercles mélomaniaques de nos sociétés. Je me dis qu’à ce stade, ça tient du fait de civilisation. Freud nous avait bien fait la leçon sur la part féminine qui sommeille en tout homme (et la part masculine chez toute femme).

Je constate cependant que ce qui n’était là que comme la part dormant dans l’inconscient des individus, sous la surveillance du rôle social assigné à chacun par « l’ordre patriarcal » (désormais obsolète, que les cercles militants se rassurent), a eu l’occasion de se réveiller, sous la poussée féministe. « Macho » est désormais une insulte, on stigmatise la « virilité » et la dévirilisation des mecs a atteint, dans des portions non négligeables d'une population plutôt jeune, une sorte de rythme de croisière (je parle de ce dont je suis témoin) qui donne lieu de croire à l’amorce d’une vraie dynamique dans ce sens. Je le constate dans les rues, au nombre de poches marsupiales, attribut normal de la kangouroute, dont s’affublent les jeunes pères qui ont, comme on disait autrefois, « charge d’âme ».

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Quand les féministes (M.L.F., bien connu) et les homosexuels (F.H.A.R., pour Front Homosexuel d'Action Révolutionnaire ! Si ! C'est comme je dis !) partaient à l'assaut de vastes territoires.

Revue Actuel, n°25, novembre 1972.

La débandade du phallus ? C’est devenu une enseigne, presque l’image de marque des types qui veulent « vivre avec leur temps ». Le mâle qui tient à sa réputation de « moderne » est du genre arrondi aux angles, il a perdu de sa rugosité, il est devenu « tendre et aimant », « gentil » et « doux ». Il ne répugne même pas à se mettre en ménage avec un homologue. Mais je dis que ce n’est pas parce qu’on n’est pas un « gentil garçon » qu’on est méchant pour autant. On peut même être un "normal". Il y avait déjà un rien de commisération quand on disait jadis de quelqu’un que c’était un « brave homme ».

Après tout, c’est l’époque qui veut ça. Il suffit aujourd’hui, bien souvent, d’appuyer sur des boutons pour voir se réaliser les tâches : les travaux de force se sont faits rares. On peut se dire que les féministes ne sont sans doute redevables de plusieurs de leurs conquêtes qu’à la popularisation d’une foule d’outils dont le maniement a été rendu toujours plus facile par les progrès de la technique. Plus besoin de muscles ! La technique a rendu le mâle superfétatoire. La technique a rendu bien des services à la cause féministe.

Aujourd'hui, tout le monde, tous sexes confondus, est en mesure de « caresser son téléphone » pour aboutir là où il voulait. L’égalité homme-femme ne commence-t-elle pas là ? On a entendu les féministes tonitruer pour des publicités jugées « dégradantes » pour l'image de la femme, pour la représentation insuffisante de leur sexe dans le personnel politique, pour l'absence de femmes dans la pré-liste des "nominés" au Festival 2015 de la BD d'Angoulême. On attend encore leur glapissements pour réclamer la parité face au marteau-piqueur ou aux travaux de terrassement quand par hasard ils sont manuels. 

Pour revenir à la musique, il y a fort à parier que l’énorme vague de contreténors qui a déferlé sur le monde musical, baroque en particulier, entre en résonance avec cette tendance de fond qui exige de l'homme occidental qu'il se dévirilise, en gros depuis les années 1970. C’est pourquoi on a peut-être quelque raison d’observer (en le déplorant), au sujet de l’homme d’aujourd’hui, que "le doute l’habite".

Voilà ce que je dis, moi.

samedi, 26 décembre 2015

HALTE À L’ÉTAT D’URGENCE !

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Ainsi, le président « Degôche » travaille activement à l’avènement d’un Etat policier en France. « Il faut répondre aux gens, à leurs angoisses, à leur besoin de sécurité », soutient mordicus le président « Degôche ». Il ne faut pas "répondre aux gens", crâne de piaf ! Il faut répondre à la réalité ! La meilleure com', c'est l'action concrète.

Alors, cette « déchéance de la nationalité », ça vient ? Attendez d’avoir compris, nous dit le président « Degôche » : Je fais un pas en arrière, sous la poussée de l’aile gauche du PS ? La droite se dresse sur ses ergots : « Nous ne voterons pas la modification constitutionnelle ! ». Fausse alerte ! Parce que ma vraie intention, c'était de forcer la droite à voter ma loi en faisant un nouveau pas en avant ! Je décherrai donc de leur moitié française de nationalité les mauvais sujets qui se seront retournés contre la Nation pour la poignarder. Et pan dans les gencives de la droite, qui réclamait cette mesure ! Il y aura du déchet dans les rangs de la gauche ? Pas assez pour ne pas atteindre la majorité des 3/5èmes au Parlement réuni en Congrès. Je prends le pari. Fin de "citation". 

On reconnaît bien là l’habileté manœuvrière du tacticien, digne héritier de Mitterrand, vous savez, cet inoubliable intrigant florentin, son maître en manigances machiavéliques : la « recomposition politique » a commencé. L’objectif : pouvoirAUGUSTE FRANCOTTE.jpg immortaliser la photo de François Hollande en chasseur de safari, avec en main sa 600 Nitro Express de la maison Auguste Francotte à Liège (ah, ces "Big Five", si finement gravés), poser la botte victorieuse sur le cadavre de la droite française, réduite à un champ de ruines. 

Si j'ai bien compris, on observera donc bientôt une « recomposition », il y aura, selon les vœux du président, dans le paysage, là-bas tout à gauche du tableau, toutes sortes d’inoffensifs menus fretins qui brailleront de plus en plus fort à mesure qu’ils deviendront plus infinitésimaux et groupusculaires ; un ensemble un peu plus consistant de « socialistes frondeurs » qui formeront l’aile « gôche » du PS ; un gros marécage où se retrouvera tout ce qui est rose pâle, centriste et « républicain », qui rassemblera une majorité capable d’enjamber, allègrement et en souplesse, la frontière qui séparait jusque-là la « gauche » de la « droite » ; et puis là-bas tout à droite du tableau, un nouveau parti auquel tous les responsables, depuis trente ans, se seront donné la main pour faire la courte échelle, et qui ne demandera qu’à croître et embellir. 

Etant entendu qu’il n’est nullement question, dans ce tableau, de changer quoi que ce soit aux vieilles pratiques politiciennes en vigueur, celles précisément qui auront créé cette situation d’un genre nouveau. Les abstentionnistes ? Tous des cons ! Que des non-citoyens ! Qu’ils crèvent ! J'en ai rien à faire ! 

Chapeau l’artiste ! Et tant pis pour la France ! Le raisonnement de François Hollande, quand il pense à la France, si mon analyse n’est pas trop éloignée de la réalité, est une inversion radicale de l’inscription que Mathias Grünewald place devant la bouche de Saint-Jean-Baptiste désignant le Christ martyrisé, dans le Retable d’Issenheim (« Illum oportet crescere, me autem minui »). En version corrigée, ça donne : « Illam oportet minui, me autem crescere » (traduction libre : qu’importe que la France crève, pourvu que je croisse). 

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Suprême habileté du chef de bord : pendant que la bataille de chiffonniers agite son chiffon rouge dans les partis, faisant monter l’ « actualité » comme une mayonnaise chantilly très prisée par les médias toujours avides de produire de cette bonne « thèse-antithèse-foutaise » qui abreuve et aveugle les gogos, on ne discute plus de l’essentiel : le passage dans la Constitution de la normalisation de l’état d’urgence. C’est tellement bien joué qu’il n’y a plus que quelques juristes renommés et modérés que personne n’écoute pour s’inquiéter de la chose : qui, à part Mireille Delmas-Marty et Dominique Rousseau ? 

Car le nœud de l'affaire, l'objectif essentiel de François Hollande, c'est d'occuper tout le monde avec l'os de la déchéance de nationalité, pour que plus personne n'ait présente à l'esprit la saloperie première que constituera en France l'état d'urgence éternisé. L’état d’urgence au quotidien, l’état d’urgence ordinaire, l’état d’urgence à demeure, c'est un chien dangereux qu’on serait forcé de garder à domicile pour garder les enfants.

Et dire que la « Gôche » fulminait contre Sarkozy chaque fois qu’il faisait une loi à la suite d’un fait divers tragique ! Mais Hollande fait pire : il instrumentalise une Constitution dont il n’a, sur le fond, rien à faire, pour donner au peuple français (pour ce qu’il en reste) un coup de poing communicationnel dont il espère sans doute qu’il le mettra KO. 

C’est bien cet état d’urgence banalisé, celui qui risque de placer toute la population française sous la coupe administrative de la police et des préfets, c’est-à-dire livrée à l’arbitraire, aux abus et à la violence de forces de l’ordre qui se plaignaient depuis trop longtemps d’avoir les mains liées par l’état de droit (car c’est à ça que ça revient : l’urgence contre le droit). 

Il suffit pour s’en convaincre d’observer le bilan des presque 3000 cassages de portes (alias « perquisitions administratives », en version médiatique) et la taille des poissons ramenés dans leurs filets par les flics. Comme dirait l’inspecteur Charolles au commissaire Bougret (Rubrique-à-brac, Gotlib) : « Comme indice c’est plutôt maigre ».

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La plupart des poissons ne font pas la maille. Pensez, 51 incarcérations ! Et je voudrais bien avoir la liste de toutes les armes que les perquisitions ont permis de saisir : 39 « armes de guerre », ça fait 10%. Et combien d’armes de chasse non déclarées ? Combien d'opinels ? Combien de pistolets à bouchon ? Je te dis qu'il faut du chiffre, coco !

La population devrait s’en convaincre : il faut avoir peur de l’état d’urgence. Ce n’est pas à coups d’état d’urgence et de « perquisitions administratives » que Hollande empêchera le prochain attentat meurtrier sur le territoire français. En démocratie – si le mot veut encore dire quelque chose – l’état d’urgence n’est acceptable que sur une durée extrêmement courte (c’était parti pour douze jours au départ). Sa prolongation « ad libitum », et bientôt « ad perpetuum », une fois gravée dans le marbre constitutionnel, est une infamie pure et simple. 

Qu'est-ce que c'est, ce protecteur, qui commence par abolir la liberté de celui qu’il protège ? Qu'est-ce que c'est, ce loup qui s'érige en gardien des agneaux ? Qu'est-ce que c'est, ce renard qui promet de raccompagner chaque poule à son poulailler après minuit sonné ? Qui veut croire à la fable ? Ceux qui voudraient nous faire croire au père Noël du "Nous sommes tous frères" ? 

Sans compter le linge sale.

Qui peut croire, aujourd’hui en France, que l’état d’urgence le protègera ? Pas moi. 

Voilà ce que je dis, moi.

jeudi, 17 novembre 2011

L'EUROPE EST UNE SAINTE (fin)

4 - NOTRE EUROPE A INVENTÉ CE MONDE

 

 

Avant de passer au sujet du jour, je reviens juste un moment sur un point que j'abordais hier : toutes les sociétés du monde et de l'histoire ont toujours maintenu un contrôle étroit des machines dont elles se servaient, empêchant ainsi la technique en tant que telle de prendre son essor.

 

 

L'Europe est le seul ensemble humain qui ait laissé se développer les machines dans un mouvement autonome, et sans doute non contrôlé. Cela s'est produit malgré les résistances religieuses, et malgré l'opposition parfois violente des ouvriers (exemple des luddites, en 1812) reprochant aux machines de les priver de travail, qui n'hésitaient pas à les briser.

 

 

La question qui se pose est la suivante : si la société garde la main, dans le premier cas, est-ce qu'elle ne perd pas la main, dans le second ? N'y a-t-il pas abandon de souveraineté de la part du groupe sur une activité qui la modifie en permanence (et de plus en plus vite, comme on le voit aujourd'hui) ? N'y a-t-il pas, dès le moment où la technique s'autonomise, tendance à la dissolution du tissu social ? A la destruction du lien communautaire ? Ben oui, quoi, on se pose des questions, ou alors c'est pas la peine ! Je ferme la parenthèse. J'y reviendrai sans doute.

 

 

Je vais être franc : je voulais intituler cet article EUROPE ÜBER ALLES. A cause de la musique composée par JOSEPH HAYDN en 1797, pour l'hymne autrichien "Gott erhalte Franz der Kaiser". On retrouve cette musique dans son quatuor opus 76, n°3, plus précisément dans le 2ème mouvement, marqué "poco adagio cantabile". Le poète FALLERSLEBEN plaça sur cette musique les paroles d'un poème commençant par la phrase bien connue, et désormais interdite en Allemagne : « Deutschland, Deutschland über alles » (Allemagne, Allemagne au-dessus de tout) ! Le titre exact était : Das Lied der Deutschen.

 

 

Et puis je me suis dit que ça frisait la provocation. L'idée, ce n'était pas de dire que l'Europe se comporte en maître du monde. L'idée, c'était plutôt de montrer que le monde, tel qu'il fonctionne aujourd'hui, est devenu européen. Que c'est l'esprit européen qui anime l'espèce humaine aujourd'hui. Rien de moins.  En effet, l'Europe est présente en sous-main dans tout ce que le monde actuel manifeste, dans le meilleur, comme dans le pire.

 

 

 

C'est vrai que j'en ai assez d’assister à la destruction méthodique et concertée de notre lopin de terre européen par le côté obscur de diverses forces financières et politiques. J’ai donc décidé d’en faire l’éloge. Eloge dont le présent billet constituera le quatrième et dernier pan (« de mur jaune », ça c’est pour rendre hommage au pape MARCEL, le MARCEL du PROUST qui va avec, évidemment, chacun ses automatismes). Le troisième pan portait témérairement en conclusion une haute affirmation : « L’Europe a inventé le monde ».

 

 

Il faut être culotté, non ? C’est vrai que c’est un peu « gros », je le concède. Je veux bien substituer le démonstratif à l’article, comme le montre le titre ci-dessus. Mais je conserve « a inventé ». Hier, j’ai tenté de montrer que c’est en Europe et nulle part ailleurs qu’ont vu le jour la plupart des grandes inventions qui servent maintenant de base au monde que nous connaissons.

 

 

LEONARD DE VINCI est la figure même de l’inventeur génial, qui a moins réalisé concrètement des inventions qu’il n’a imaginé et dessiné des principes : son char d’assaut était en bois, si je me rappelle bien ! Mais peut-être que les boulets faisaient moins de dégâts : c’est PIERRE CHODERLOS DE LACLOS qui a inventé le boulet creux, oui, l’auteur  des Liaisons dangereuses. Encore une invention, on n’en sort pas. C’est sûr, quand tu es en Europe, tu peux pas faire trois pas sans tomber sur une invention.

 

 

C’est l’Europe qui a donné à la technique la place dominante qu’elle occupe aujourd’hui. A la technique qui, jusque-là, était un MOYEN entre les mains des hommes et qui, à partir de là, est devenue une FIN, un but, la condition et le moteur de la civilisation, le principe organisateur des activités humaines.

 

 

Ben oui : jusqu’à la locomotive, jusqu’à l’automobile, dis-toi bien que le bonhomme, il allait à la vitesse de son pas. Inimaginable. A la rigueur celle du cheval au galop, s’il avait les moyens de se payer un galop, euh non, un cheval. Vous arrivez à vous représenter ça ? Moi pas. Vous vous rendez compte de ce que ça implique ? Sans le bus du ramassage scolaire, pas question d’aller à l’école, parce que la plus proche est à vingt kilomètres, quatre heures à pied en marchant bien.

 

 

En 1850, on en était là. Hier, quoi. Quatre ou cinq générations, pas plus. A quoi ça pouvait ressembler, dans la tête, le temps dont on disposait ? Comment ça se passait, quand on ne pouvait pas passer, par simple décision administrative, de l’heure d’été à l’heure d’hiver, et inversement ? Accessoirement, on peut noter que l’école n’a vraiment pris son essor qu’en même temps que la machine à vapeur. Quoique ceci demande vérification. Je ne voudrais pas enduire d’erreur quelque lecteur que ce soit. On a son orgueil, tudiable!

 

 

Qu’est-ce qui lui a pris, à l’Européen ? C’est dans le fond assez simple.  L’Européen avait un gros défaut : la CURIOSITÉ. Quand on y pense, c’est quelque chose d’absolument énorme et nouveau, la curiosité. Allez, dites-moi un peu, pour voir, quel peuple poussa la curiosité aussi loin que les Européens. Quel peuple eut plus que les Européens l’envie de savoir ? De dépasser les bornes des connaissances acquises pour en ajouter à l’infini ?

 

 

Il y eut, au départ de l’Europe, dans ses fondements, LE VERTIGE DE LA CURIOSITÉ. C’est sans doute une maladie grave. Dès que tu n’imites plus seulement ceux qui t’ont précédé, que tu as appris tout ce qu’ils savaient, mais que tu y ajoutes quelque chose de nouveau, c’est que tu veux faire mieux. Ce que tu as dans l’idée, c’est de progresser, d’aller plus loin.

 

 

A une époque, on a appelé ça la « Querelle des Anciens et des Modernes ». Et puis sans qu’on y pense, c’est entré dans les mœurs et dans les esprits, cette idée d’aller plus loin que ses propres parents. Tu te mets à y penser, au progrès. Tiens, par exemple, c’est quoi, la différence entre le style roman et le style gothique ? Réponse : la croisée d’ogives. Quand tu passes de la voûte en plein cintre à la voûte d’ogive. Non, c’est rien que ça ?

 

 

Presque. Bon, c’est vrai, il y a encore quelques fioritures à droite et à gauche, comme l’extraordinaire « clé pendante ». Mais même ça, c’est rien qu’une prouesse, l’essentiel n’est pas là. L’essentiel, c’est de dominer le poids de la matière, pour faire grimper des cailloux à des hauteurs jamais vues, et pour les faire tenir. Le reste n’est qu’une question de style et de savoir-faire.

 

 

Ensuite, évidemment, il y a les habituels petits rigolos qui croient être plus forts. Tiens, va voir à Beauvais, par exemple. La cathédrale. Des clampins, qui tenaient absolument à montrer leurs muscles, et qui ont essayé de monter plus haut que tout le monde. J’ai eu beau leur dire « Babel » et compagnie, tu parles ! Ils y sont allés quand même. Du coup, ils ont enfreint la loi, ils ont voulu bâtir le chœur le plus haut du monde, et ça s’est écroulé. 

 

 

Maintenant, va voir l’état dans lequel elle est, la pauvre cathédrale de Beauvais, toute branlante. Et pas finie ! Ah ça, c’est vrai, si ça avait tenu, ça serait la plus haute, et peut-être la plus belle. Mais voilà : faut pas exagérer d’exagérer, ou ça te retombe sur le coin de la figure. Quelle idée aussi, de vouloir monter cette flèche à cent cinquante mètres ! Forcé qu’elle s’écroule. Aujourd’hui, on conçoit ce que ça aurait été, Beauvais, si les gars étaient restés raisonnables. Ça fait peine, monsieur.

 

 

Revenons à la CURIOSITÉ. A l’accumulation indéfinie des savoirs. A la jouissance de ça. Au vertige et à la fascination de ça. Mais pas une accumulation n’importe comment. On imagine encore le moyen âge comme une période obscure, vaguement barbare. C’est très injuste. Car l’accumulation de savoir, la frénésie de classement des savoirs, le goût de la controverse (les discours « pro » et « contra » des bacheliers), tout ça, ça finit par structurer l’esprit d’une certaine manière.

 

 

On a appelé ça le moyen âge par mépris et par ignorance, quand la mode était au flamboiement romantique de l’esprit. Mais mine de rien et en douce, ça prépare le terrain des ERASME, GUILLAUME BUDÉ et autres MARSILE FICIN. Les humanistes, quoi. Tout est logique. Ça s’enchaîne.

 

 

Face au vertige de l’infini du savoir, l’esprit européen devient, en quelques siècles, absolument INSATIABLE. Comme les bâtisseurs de Beauvais. Comment lui est venue cette « folie curieuse » du « toujours plus » ? C’est forcément programmé quelque part, mais va savoir où. Quoi qu’il en soit, FRANÇOIS DE CLOSETS, en intitulant Toujours plus son best seller à la noix de 1982, il ne risquait pas de se tromper, il enfilait des pantoufles confortables : c’est le mot d’ordre depuis cinq ou six siècles ! Je dis cinq ou six, parce que « révolution industrielle », c’est du flan. Si on a eu la machine à vapeur et tout le toutim, c’est que TOUT ETAIT PRÊT.  

 

 

Et comme tout est logique et que tout s’enchaîne, le Blanc d’action va enchaîner. Le savoir qui passe dans la réalité, ça s’appelle donc la technique. Ça permet d’agir sur elle ? Impeccable. Il adopte illico la technique, parce qu’il comprend qu’avec ça, il va pouvoir conquérir. C’est la trilogie Savoir – Avoir – Pouvoir.

 

 

Le gars blanc, il ne va pas se gêner. Le ver du « toujours plus » est dans le fruit « européen », parce que la larve a été déposée avant le fruit, dans la fleur. Exactement comme fait le balanin des noisettes, vous pouvez vérifier. Sauf que le ver du balanin, il se contentera de bouffer la noisette dans laquelle il a été posé. Et puis de vivre la courte vie qui lui reste.

 

 

Avant même que l’Europe fût européenne, le ver du « toujours plus » travaillait déjà dans ses gènes. Alors maintenant, que ça comporte des tas de choses antipathiques, bien sûr. Mais franchement, qu’est-ce que j’aurais pu y faire ? La colonisation ? Evidemment. Le pillage des ressources ? Mais comment donc. Tous les moyens sont bons ? Assurément. Y compris les pires ? Sans aucun doute. Y a de l’abus ? Mais je me tue à vous le dire.

 

 

Il n’empêche qu’au passage, cette Europe qui est à l’origine du monde tel qu’on le voit aujourd’hui, elle a fait pas mal de beaux cadeaux, et sur lesquels personne ne conçoit seulement de revenir. Certes, elle n’a pas inventé la boussole, mais elle a su quoi en faire. C’est vrai, ça, finalement, c’est l’Europe qui a donné le Nord au monde. Les Chinois connaissaient la boussole magnétique en 1160 avant J. C. ? Et alors ? Qu’est-ce qu’ils en ont fait ?

 

 

Ce n’est pas eux qui, grâce à elle, ont parcouru les mers, découvrant d’autres terres, dressant des portulans, puis des cartes, puis des planisphères de plus en plus précis et rigoureux. Le visage du monde, je n’y peux rien, c’est l’Europe qui l’a dessiné. Comme dit je ne sais plus qui, l’Europe a fait entrer le globe terrestre dans les salons. Qui est venu  remplacer l’archaïque « sphère armillaire », vous savez, celle qui mettait la Terre au centre de l’univers.

 

 

Rends-toi compte de ça : debout sur la planète, tu as l’impression que c’est plat. Enfin, grosso modo. Tu as l’impression que c’est infini. Et voilà que, tout par un coup (comme on dit chez moi, dans le théâtre de Chignol et Gnafron), tu peux regarder à loisir, au coin du feu, à quoi ça ressemble ? Et tu ne serais pas saisi d’une ivresse de puissance ? La géographie du monde, y a pas à barguigner, c’est l’Europe. Et après l’espace, le temps.

 

 

L’horloge ? La mesure du temps ? Mais évidemment bien sûr, Arthur, que c’est l’Europe. Enfoncée, la clepsydre ! L’horloge mécanique est peut-être née un peu avant l’an mille. Elle se répand au 14ème siècle. C’est que les monastères en avaient grand besoin ! Et ce n’est pas l’Arabie saoudite, qui a planté à bonne hauteur, sur un énorme support, quatre cadrans de trente mètres de haut censés donner l’heure islamique, qui y changera quoi que ce soit.

 

 

Les arts ? Mais allons-y ! Ce n’est pas pour rien qu’un Japonais a passé dix ans au musée Unterlinden à Colmar, à copier méticuleusement le chef d’œuvre de MATHIAS GRÜNEWALD, qu’on appelle le Retable d’Issenheim. Quand on voit Issenheim aujourd’hui, on a d’ailleurs de la peine à croire que le patelin ait pu abriter un pareil monument. Quant à la peinture, je suis désolé, mais est-ce de l’arrogance, de dire que le monde, de deux choses l'une, fait soit de l’ethnique, soit du succédané d’Européen (ou d’Américain) ? Pour les autres arts, on peut ajuster et nuancer tout ce qu'on veut, c'est le même tabac.

 

 

La domination du monde, c’est encore l’Europe. Et vous pouvez y aller, lui faire tous les procès aujourd’hui, mais c’est trop tard. Le ver du « toujours plus » était contagieux, qu’on se le dise. Et ceux qui détruiront la planète à force de la bouffer, comme l’Europe et l’Amérique avaient commencé à le faire, eh bien ils le feront « A L’EUROPEENNE ». Il faut que ça se sache.

 

 

 

Voilà ce que je dis, moi !

 

 

POSTE SCRIPTHOMME AVEC LARME : nous sommes le 16 novembre. Cet article est programmé pour le 17. Vous m'excuserez si par hasard, ici, il n'y a rien de nouveau le 18. C'est brutal. PATRICK est mort. C'est un accident. Comme tous les accidents, on se dit que c'est terriblement bête. Il faisait la tournée d'inspection d'un refuge de haute montagne, avant réception des travaux. Une chute de 500 mètres, même sous les yeux de toute l'équipe, ça ne pardonne pas. Je n'aimerais pas avoir vu ça pour alimenter mes pires cauchemars. C'était le père d'AMANDINE, la promise de PHILÉMON. Le mari de DOMINIQUE. Il y a aussi LAURE et FLORIAN. Je n'ai pas de mots. Vous m'excuserez. A bientôt. PATRICK, adieu.