vendredi, 16 mai 2014
3/4 MAIGRET ECRIVAIN
Je commence à en avoir un peu assez de Maigret. C’est sûr que c’est intéressant d’en lire pas mal à la file, parce que ça permet de cerner la façon dont l’auteur s’y prend pour capturer le lecteur. Il est vrai que Simenon sait y faire. Mais à force le lecteur finit par ne plus voir que les trucs.
J’avais parlé des problèmes d’identité sur lesquels reposaient Pietr-le-Letton et M. Gallet, décédé, les deux premiers de la longue série consacrée au commissaire. Dans l’un, le jumeau dominé par l’envergure criminelle du frère qu’il assassine pour prendre sa place à la tête du réseau. Dans l’autre, le noble complètement décavé qui vend son nom prestigieux à un roturier, juste parce qu’il a besoin d’argent.
Et voilà que, pas loin du dernier épisode, Simenon nous refait le coup de deux romans qui se suivent et qui traitent du même thème : le meurtrier qui cherche à se faire prendre, qui irait presque jusqu’à supplier le commissaire de le coffrer. On trouve ça dans Maigret et le tueur et Maigret et le marchand de vin.
Avec des variantes, il ne faut pas exagérer. Dans le premier, le tueur est un obsessionnel qui a commencé à quatorze ans, avec un couteau suédois volé à son oncle, et qui croit « se libérer » en lardant sa victime, qui est un charmant jeune homme timide, juste poussé par la passion des voix humaines, qu'il collectionne sur bande magnétique dans les cafés parisiens. D'où de fructueuses fausses pistes, en particulier la bande des malfrats qui se fait coffrer en flagrant délit de cambriolage.
Alors que dans le second, c’est un minable qui a été horriblement humilié par la victime et qui n’aspirait qu’à en tirer vengeance. Il faut dire que le marchand de vin, type même du self-made-man qui s'est hissé jusqu'au sommet à la seule force de son poignet, est l'imbuvable absolu qui ne sait que prendre. J'ai un jour croisé la route d'un tel homme : il vaut mieux ne pas avoir besoin de ses services.
J’ajoute qu’après le portrait de parfait salaud que Simenon trace de la victime, le lecteur est appelé à éprouver quelque indulgence envers le coupable. Alors que dans le premier, le mec est un nul parfait, essentiel et congénital : on le plaint d'avoir tant de difficulté pour se donner l'impression d'exister. Un « meurtre gratuit » contre un « meurtre à mobile ». Il faut bien avouer toutefois que le manège des deux pour se faire prendre repose sur un argumentaire des plus mince (sic, ainsi orthographié après vérification dans mon Grevisse, 9ème édition).
Il y a autre chose qui finit par fatiguer, à la lecture des Maigret en série : la marche à suivre. Je n’ai rien contre le savoir-faire. Par exemple, dans mon restaurant préféré, j’en veux beaucoup au maître-queux d’avoir modifié sans me prévenir sa préparation du gras-double rissolé à la lyonnaise, raison pour laquelle cela fait des années que je ne mets plus les pieds « Chez Mounier », 1, rue des Marronniers, pour le punir de cette inqualifiable agression.
Un roman policier n’est toutefois pas un restaurant. Encore moins un « bouchon lyonnais ». De toute façon, la mère Mounier a quitté le service depuis lurette, alors … Je n’en ai pas moins gros sur la patate : le souvenir d’une jouissance, s’il n’est pas un appel à recommencer au présent, se dégrade en pure remembrance de vieillard idiot (formule d’Arthur Rimbaud, cf. Les Remembrances du vieillard idiot, de Michel Arrivé, Flammarion, 1977).
Croiser le souvenir d’anciens bons moments communs dans les yeux d’une accorte et joyeuse bougresse n’oblige-t-il pas à vérifier l’emploi du temps du soir, dans l’agenda ? Et à préparer le prétexte officiel ? Dites-moi que ce n’est pas vrai, tiens ! Revenons à nos boutons.
La marche à suivre, dans les Maigret ? Facile, Mimile ! Les romans consacrés à Maigret se découpent assez régulièrement en quatre étapes. Première étape : les faits, les lieux, un ou deux témoins. Si possible un meurtre banal, pour ne pas dire sordide (dans La Folle de Maigret, la mort par suffocation d’une charmante dame de quatre-vingt-six ans).
Dans la deuxième, les gens, le milieu et son ambiance. C'est là que Maigret renifle, tâtonne, s'imprègne, s'imbibe des données spécifiques de l'affaire, à la recherche d'un fil à tirer. Dans un troisième temps, Maigret, quoique pataugeant commence à démêler l’écheveau des relations que les circonstances ont établies entre les personnages, les adultères, les haines, les désirs. C’est le moment où le commissaire lève une partie du voile sur les passions spécifiques mises en jeu par l’histoire. La quatrième étape est classiquement consacrée à la synthèse de l’ensemble quelle qu’en soit la forme, confession du coupable ou explication du commissaire.
C’est par exemple le cas d’Un Crime en Hollande (1931), où Simenon se paie même le luxe d’une reconstitution du crime : c’est la vieille bigote protestante, la plus racornie, la plus prude et la plus insoupçonnable, qui a tué, trop jalouse de la jeune fille appétissante. Que voulez-vous, elle ne pouvait pas rivaliser : « Deux beaux seins, que la soie rendait plus aguichants, des seins de dix-neuf ans qui tremblaient à peine sous la blouse, juste de quoi les rendre plus vivants ». Simenon ne pourra pas nier qu’il a aimé les femmes, c’est sûr. Et particulièrement la chair fraîche.
Georges Simenon était un homme normal.
Voilà ce que je dis, moi.