dimanche, 03 février 2019
D'UN CRÉTINISME FÉMINISTE
OH LA BELLE BOUSE !
Nous parlons donc de la "Nuit des idées", la grande brasserie où toutes les élucubrations sont admises, et même suscitées, à partir d'un certain degré d'imbibition. La plus manifestement imbibée des interventions dans le dossier paru dans Le Monde du 31 janvier est celle de Camille Froidevaux-Metterie, philosophe, paraît-il. Madame est une féministe, et ce n'est rien de le dire : il faut lire cette prose pour comprendre à quel degré de décomposition sont arrivées certaines élites intellectuelles dans les pays riches. Décomposition découlant peut-être de la circulation consanguine des idées dans le cercle fermé des élites parisiennes, et l'on sait ce que le "Crétin des Alpes" doit à la consanguinité (voir Le Médecin de village, de Balzac).
Si elle se contentait d'être professeur (non, je ne mets pas de "e") de science politique, je me contenterais de m'assoupir et de somnoler au son de sa musique. Mais elle est également « chargée de mission égalité-diversité à l'université de Reims ». Alors là pardon, mais ça sent très fort, ce machin-là, et vous savez quoi ? Ça fleure bon l'air du temps, le poncif exigé de tout ce qui se prétend "moderne", bref : le nouveau stéréotype (inavoué comme tel, bien sûr) installé en lieu et place des vieux "stéréotypes", violemment dénoncés. La même odeur faisandée (et policière par ailleurs) que tout ce qui proclame avancer sur le chemin triomphal du Progrès indéfini.
Elle commence par un historique de la « condition féminine », où se succèdent les triomphes du féminisme, un historique qui prouve l'inéluctabilité de la marche des femmes vers la disparition de l'injustice que l'humanité masculine leur fait subir depuis 30.000 ans (au fait, c'est quand, "l'aube de l'humanité" ?), du fait de la "domination masculine" (le titre fameux de Bourdieu sonne comme une forfaiture). Dogme selon lequel l'homme, dès les temps préhistoriques, se serait approprié le corps des femmes, les maintenant dans une odieuse sujétion. Et l'on entend le chapelet des refrains habituels : « immémoriale assignation domestique », « bastions masculins de l'économie et de la politique », « mécanismes par lesquels la domination masculine se perpétue ». Rien que du classique, en Bourdieu dans le texte.
Elle formule alors une phrase qui constitue selon moi un point culminant de la sottise qui sort à jet continu d'un certain féminisme. Après avoir noté que « les facteurs d'oppression sont pour beaucoup multiples » [?], elle se lance : « Reste qu'il faut pouvoir le repérer [quoi ? ce n'est pas clair], la condition féminine au présent est inédite au point d'annoncer une mutation anthropologique : nous sommes entraînés dans un mouvement de désexualisation des rôles privés et des fonctions sociales qui fait signe vers l'avènement d'un individu générique affranchi des diktats de la nature comme des injonctions de la culture ».
Oh la belle déjection bovinoïde ! Oh l'incroyable théorie de la liberté humaine qui transparaît en filigrane ! Oh la belle conception de la nature ("diktats") et de la "culture" ("injonctions") ! Oh la belle vision de l'individu libéré de tout lien, flottant dans le liquide amniotique de son propre moi et de ses perspectives d'accomplissement personnel ! Je remarque juste que la "mutation anthropologique" a encore quelques siècles devant elle pour gagner la Terre entière. Et l'on peut remplacer sans problème "individu générique" par "individu interchangeable". Sûrement un indéniable "progrès", dans l'esprit de la dame.
Allez, encore quelques fleurs poussées sur ce "compost" (pour être gentil) : « la parentalité n'est plus l'exclusive des couples hétérosexuels » ; « tout individu, quels que soient son sexe, son genre ou sa sexualité, doit se voire reconnaître la légitimité de son désir d'enfant » ; « il s'agit de la [la sexualité] désinsérer de son cadre hétéronormé et d'en finir avec les normes viriles qui la caractérisent pour repenser la rencontre des corps au prisme de la liberté et de l'égalité ». Si j'ai bien compris, le fait pour l'individu de désirer avoir un enfant lui ouvre ipso facto un droit. Et par ailleurs, la dame semble être atteinte d'hétérophobie obsessionnelle. Mais qu'attend le législateur pour mettre fin à cette intolérance et rendre justice aux gens normaux ? Et j'ai la curieuse impression que la dame fait du rapport à la sexualité un critère central.
Maintenant le bouquet final : « Elle [la bataille de l'intime] montre en tout cas, et c'est sans doute le plus difficile à saisir, que la désexualisation n'est pas synonyme de désincarnation : elle ne fera pas de nous des anthropes asexués. La mutation à l'œuvre replace tout au contraire le corps au cœur de nos vies. Simplement, ce n'est plus au prisme binaire des sexes et des genres qu'il faut penser, mais dans les termes inédits de la singularité sexuée et de la fluidité genrée. Il nous reste donc à réfléchir aux conditions nouvelles dans lesquelles s'expriment, au présent, nos existences incarnées ».
Désexualisation, désincarnation, "fluidité genrée", mais où va-t-elle chercher tout ça ? Certains esprits mal tournés pourraient se demander s'il n'y a pas là une tendance à l'onanisme ou à la sodomisation des diptères. Voilà de la confiture de crâne ! Je souhaite bien du courage à celui qui se lancera dans une explication du texte. Et je note l'exaltation incantatoire qui anime son auteur, qui me fait penser – toute proportion gardée – aux envolées lyriques de tous les "philanthropes" qui ont projeté de fabriquer des "hommes nouveaux" et qui ont fait du 20ème siècle un bain de sang.
La remarque qui me vient, après ce festival conceptuel, est que la dame est résolument hermétique à ce qui se passe tout en bas de chez elle, très loin, dans les couches modestes de la société : il faut être singulièrement nanti pour se lancer dans ces acrobaties intellectuelles. Le plus étonnant est d'ailleurs qu'elle l'avoue : « Il va de soi que ces évolutions concernent avant tout les classes les plus favorisées ». "Il va de soi", bien entendu et de toute évidence. Je voudrais voir la dame développer ses théories au comptoir du Café de la Crèche, pour assister au spectacle. Je l'imagine enivrée de ses discours, et je comprends tout de suite qu'elle et ses semblables vivent bien à l'abri du vulgum pecus, dans leur bocal intellectuel.
Et je me dis que si toutes les élites politiques, économiques et intellectuelles du pays sont dans cet état de décomposition, le phénomène des "gilets jaunes" devient immédiatement logique, évident, aveuglant : protégées par les remparts de la citadelle sociale où elles se reproduisent, ces élites échafaudent des représentations autonomes, libérées de la contrainte d'une quelconque réalité concrète. A ceci près que ces représentations finissent par façonner les nouvelles réalités qui s'imposeront « pour leur bien » aux masses ignorantes, de gré ou de force. Emmanuel Macron (le pouvoir), Carlos Ghosn (l'argent), Camille Froidevaux-Metterie (le savoir) : un trio qui illustre à merveille la méconnaissance, l'indifférence et le mépris d'une caste de nantis pour les gens ordinaires.
Pour Macron, Ghosn et Froidevaux-Metterie, ce sont les élites qui guident le peuple. Cette écœurante saloperie aujourd'hui saute aux yeux. Ce "Progrès"-là, franchement, non merci.
Voilà, c'est la "Nuit des idées" : des mots, des discours, du langage, des "énoncés performatifs" pour sauver le monde ? Même question à propos du "Grand Débat National". Croyez-vous sincèrement que ces parlotes vont changer quelque chose à la situation concrète qui a provoqué la crise des gilets jaunes ?
Voilà ce que je dis, moi.
Note : la première fois que j'ai entendu l'extravagance selon laquelle la domination masculine remonte à la préhistoire, c'est dans la bouche de Michelle Perrot, bouche ô combien oraculaire de la cause des femmes. Il n'est venu à l'esprit de personne de répliquer que s'il en est ainsi, c'est qu'il y a peut-être une raison objective. Mais non : l'idéologie est la plus forte, on n'en démord pas, on tient à ses lunettes hallucinatoires et à sa grille de lecture définitive. Un fois pour toutes, l'homme est dominateur, un point c'est tout.