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jeudi, 29 décembre 2011

LA GRANDE MUSIQUE ET LES TOUT PETITS

 

Résumé : on fait un petit tour dans la reproduction musicale et les dégâts opérés sur les oreilles par les avancées de la technique. 

 

Puis un meuble entra au salon familial : une radio format XXL, montée sur quatre pieds avec un haut-parleur à droite et à gauche et, logé sous la radio, un tourne-disque dissimulé derrière un battant en bois verni. Le luxe. La marque était-elle Schaub-Lorenz ?  Je ne saurais l’assurer. Ce que je peux dire, c’est que là aussi, bien des disques ont tourné. 

 

Pour dire l’éclectisme, ça allait du lourd coffret de dix disques des « chefs d’œuvre de la musique classique » à DUANE EDDY, avec son disque Twistin’ and Twangin’, si je me souviens bien. J’étais intrigué par le son bizarre de sa guitare électrique (des cordes de guitare basse à la place des cordes graves et un son très réverbéré), mais j’aimais bien aussi l’usage du saxophone ténor. J’en suis arrivé à me dire que l’éclectisme n’a pas que des bons côtés. Je dirai peut-être pourquoi. Un autre jour. 

 

C’était l’époque où, dans la chambre du voisin et ami du dessus, VINCENT D., nous nous livrions, grâce à son électrophone personnel, à une étude critique des mérites comparés des divers morceaux de quelques disques des « Shadows », alors au faîte de leur gloire. Il semblerait qu’ils aient été en activité jusque fort récemment. Ma foi, pourquoi pas ? 

 

Je crois bien que c’était dans « Little B » que le batteur se livrait à une brillante démonstration assez lourde de ce qu’il savait faire. J’ai une excuse : n’est-ce pas au cours d’une réunion hebdomadaire de notre « patrouille » de scouts, (les « Ecureuils » de la 44ème, GUY DE LARIGAUDIE) au 16, rue Pouteau, en haut d’un interminable escalier de pierre donnant sur une cour à l’abri de tout, que nous écoutâmes, sur un petit électrophone (encore un), « Elle est terrible », de JOHNNY HALLIDAY ? Mais il y avait aussi « Belle belle belle », de CLAUDE FRANÇOIS. Quelques autres, sans doute.  

 

Un autre appareil eut encore de l’importance pour moi, à côté de ceux déjà mentionnés. Il était sis au Mont-Joly, la maison des Echarmeaux dont j’ai déjà parlé, et où nous passions des vacances familiales. Dans le salon qui occupait une aile, à côté d’une fenêtre latérale, sur une table, un vieux poste à lampes, de bonnes dimensions. 

 

Je calais la réception sur 1600 mètres grandes ondes : c’était Europe 1, si je ne dis pas de bêtises. Et c’était une époque où la station diffusait beaucoup de chansons, par groupes de trois, qui étaient « désannoncées » seulement avant d’embrayer sur les suivantes. Les jours de pluie, j’entendis donc mes premiers morceaux de rock américain, mes premiers tubes « yéyé », bref, la crème de la catégorie « variétés ». 

 

Je ne sais pas qui a eu l’idée d’appeler ça comme ça, mais le mot de « variétés » est excellemment adapté à son sujet. Exactement comme on intitule « faits divers » les pages des journaux qui rassemblent les chiens écrasés, les mémés en perdition secourues in extremis pas les pompiers, et les mauvais garçons qui soustraient 82,53 euros, sous la menace d’un cutter, au boulanger du quartier. 

 

Et puis un jour, j’eus droit, pour moi tout seul, à un électrophone stéréophonique. Au moins, le poids du bras était réglable. Particularité de l’objet : le petit piton central était amovible, remplaçable par un axe de quinze à vingt centimètres : un changeur de disques. Le luxe. 

 

Quand j’éteignais la lumière (notez que je ne dis pas « avant de m’endormir »), je réglais le volume sur le minimum audible. Il y avait trois ou quatre 33 tours sur le changeur, pas plus : la Symphonie cévenole de VINCENT D’INDY, avec JEAN FOURNET à la baguette.

 

Je pouvais aussi mettre l’autre face : Variations symphoniques de CESAR FRANCK et Ballade de FAURÉ, avec JEAN DOYEN au piano. Ou alors carrément Shéhérazade de RIMSKI-KORSAKOV, avec le London Symphony (L. S. O.) dirigé par PIERRE MONTEUX, œuvre dans laquelle, plutôt que des contes orientaux mêlant aventuriers intrépides et houris ensorcelantes (« et c’est ainsi qu’Allah est grand »), je voyais se dessiner les épisodes d’une grande bataille cérémonielle opposant des corps de cavaleries flamboyantes.  

 

Je ne jure pas que je ne m’endormais pas dans les quatre-vingts minutes que duraient les quatre faces empilées, sauf peut-être que le bruit de chaque changement produisait un choc plus sonore que la musique elle-même, qui pouvait bien interrompre l’endormissement. 

 

Mais je vous assure que j’ai passé des moments tout à fait délicieux dans cette compagnie invisible. Et je soutiens que l’amplification électrique du niveau sonore de la musique n’est strictement pour rien dans sa qualité (peut-être même y est-elle inversement proportionnelle) et dans la perception de celle-ci. 

 

Bon, que conclure de ce tour d’horizon ? Rien d’original. Tout simplement, peut-être, que j’appartiens à la génération des enfants de la radio et de l’électrophone. On doit bien être quelques millions. Ça veut dire évidemment qu’un certain nombre d’objets techniques se sont trouvés sur mon chemin, dans l’existence.  

 

Ces appareils ont conditionné le rapport que j’entretiens encore aujourd’hui avec « la musique ». Un rapport « médiat ». Et un rapport de consommation. Cela n’est pas sans me chagriner quelque peu, mais voilà, c’est comme ça et pas autrement. Il se trouve ainsi que j’ai du mal à concevoir une vie, un cadre, un lieu dépourvus de source sonore. Ce qui n'est pas sans chagriner quelque personne vivant dans mes entours immédiats.

 

 

Voilà ce que je dis, moi.