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mardi, 20 septembre 2016

37 BALZAC : LE CURÉ DE VILLAGE (1837-1845)

Résumé : il y avait un "Mais ...".

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Mais ce que tout le monde ignore, à l’exception du bon curé Bonnet et du si perspicace Dutheil, vicaire général devenu évêque et plus tard archevêque, c’est le mensonge affreux sur le piédestal duquel s’élève la statue de la « sainte » : la femme de la bonne société qui est à l’origine du double meurtre commis par Tascheron n’est autre que Véronique Graslin en personne. Francis Graslin est-il même le fils de son père légal ? Le doute est au moins permis.

Citroen2cvtff.jpgEt alors là, Balzac met la surmultipliée (pour ceux à qui le mot deudeuche veut encore dire quelque chose : c'était, sur le levier des vitesses, celle qui permettait de monter à 80km/h, en descente et par vent arrière). S’il y avait eu le cinéma, Balzac n’aurait pas hésité devant le technicolor, l'écran géant, la 3D et la démesure des effets spéciaux.

Car au fur et à mesure que la région embellit et s’enrichit, Mme Graslin dépérit, au point qu'elle se trouve bientôt aux portes de la mort. On apprendra que, depuis douze ou quinze ans, pour faire pénitence, elle porte un cilice de crin qui met sa peau à vif (« Son corps n'est qu'une plaie », dira quelqu'un qui a coupé le cilice au ciseau sur l'ordre d'Horace Bianchon, qui s'exclame, en apprenant ça : « Comment ! au dix-neuvième siècle, s'écria le grand médecin, il se pratique encore de semblables horreurs !  »), et qu’elle ne mange, trois fois par jour et toujours seule, qu’ « un morceau de pain sec sur une grande terrine de cendre et des légumes cuits à l’eau, sans sel, dans un plat de terre rouge, semblable à ceux qui servent à donner la pâtée aux chiens ! ». Que tous ceux qui sont en surpoids en prennent de la graine ! Certains appelleraient peut-être ça l’anorexie (le triomphe de la volonté sur son propre corps, jusqu’à la mort).

Arrivée au bord de la tombe (comme on dit), elle a résolu de faire une confession publique, spectaculaire et solennelle de ses fautes, au cours d'une cérémonie grandiose, en présence de ses proches, du curé Bonnet, de l’archevêque en grande tenue, de M. de Grandville l’avocat général (en qui elle voyait le meurtrier de son amant), de Denise Tascheron la sœur du criminel revenue de son exil américain, toute la population étant réunie au château, au comble de l’émotion. Elle sera enterrée dans le petit cimetière de Montégnac, et reposera à côté de son ancien amant décapité. Trop, c'est trop : Balzac, avec emphase et solennité, avec le gros aiguillon dont il titille les émotions du lecteur, abuse des effets de grandeur.

J’avoue que cette séquence tire-larmes, par sa boursouflure et son outrance démonstrative, m’a bien fait rire, avec ses effets aussi gros qu'en son temps la scène finale du film Love story (1970) d'Arthur Hiller sur les âmes sensibles venues au cinéma avec une provision de mouchoirs (je dois être sans-cœur). Mais aussi que cette profession de foi catholique, proclamée à la face de tous et provoquant chez tous des émotions intenses et visibles reste un morceau de bravoure qui, d'un point de vue purement littéraire, garde quelque chose d’admirable.

Au total, un véritable tour de force romanesque, homogène bien que composite, doublé de l’insupportable manifeste d’un catholique fanatique et militant. Mais même si la leçon de catholicisme proprement dite passe quand même assez mal, on n’a pas envie de lâcher, quoiqu’en exceptant les longues dissertations sur l’état moral, économique et politique de la France et les moyens d’y remédier, qui semblent n'avoir rien à faire là, mais sont tout à fait appropriées au grand projet de transformation économique mis en œuvre par Mme Graslin à Montégnac. 

Je renvoie ici aux propos tenus à l’évêché ou à l’hôtel Graslin, puis par l'auteur au début du troisième chapitre, puis la très longue lettre (de motivation) de l’ingénieur à M. Grossetête, protecteur de Véronique Graslin, puis les propos de table tenus au château par l’élite de Montégnac. Ici éclatent aussi les convictions anti-parlementaires, anti-égalitaires de l’auteur, qui déplore amèrement la montée de l’individualisme et de l'égalitarisme, du fait de l’affaiblissement de l’autorité royale, de l’autorité paternelle et des liens familiaux, sous les coups des idées révolutionnaires.

Balzac, à la dernière page, assume d’ailleurs crânement ce qu’il a mis de moralement édifiant dans son roman : « Cette discrétion fut un hommage rendu à tant de vertus par cette population catholique et travailleuse qui recommence dans ce coin de France les miracles des Lettres édifiantes » (lettres que devaient écrire du monde entier les missionnaires jésuites à leur général Ignace de Loyola pour rendre compte).

Tout en restant baba devant le génie de cette langue et de cette technique, on est autorisé à ne pas goûter le fond du propos, historiquement marqué au fer.

Voilà ce que je dis, moi.

Note : j'ai relevé une phrase qui devrait faire plaisir à mon ami Roland : « La philanthropie moderne est le malheur des sociétés, les principes de la religion catholique peuvent seuls guérir les maladies qui travaillent le corps social ». Et puis une formule de Denise Tascheron l'exilée : « ... aux Etats-Unis, où il n'y a ni espérance, ni foi, ni charité ... ». Et enfin cette phrase qui sonne curieusement actuelle : « Les peuples unis par une foi quelconque auront toujours bon marché des peuples sans croyance ». Les Français d'aujourd'hui ont-ils encore un reste de "foi quelconque" ?

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