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jeudi, 11 juin 2015

À LA DÉRIVE

Le plus insupportable, le plus grotesque, le plus abject (ad libitum), dans le spectacle insipide et néanmoins pornographique que nous offrent sans aucune pudeur, jour après jour, les coquelets et poulettes de la basse-cour politicienne qui constituent, nous dit-on, la « classe politique » française, c’est que, dans un camp comme dans l’autre, on a passé à la trappe la nation française. 

Quoi ? Deux entreprises concurrentes se disputent férocement le marché : la France. Leurs programmes respectifs ? A quelques virgules près, c’est le même. Si ce n’est pas exactement le même, c’est le frangin, ou le voisin, ou le cousin. Une pincée de « social » d’un côté, une lichette de « libéral » de l’autre. En dehors de ça, c’est du pareil au même : on navigue à vue, en espérant que les vents soient favorables. On se laisse porter et on croise les doigts. Et puis on cause dans le poste. Beaucoup. Et on fait semblant de faire la guerre à l'autre camp.

En fait ces deux entreprises sont deux « familles », si vous voyez ce que je veux dire. Ce qui les différencie, c’est l’identité du « parrain », le « capo » qui tient les commandes, ainsi que celle des petits chefs et des hommes de main (qu'ils soient à son service ou qu'ils rêvent de prendre sa place). Sur l’essentiel, ils sont interchangeables.Et pour bien faire croire à la galerie qu’il y a deux familles opposées, ils vont jusqu’à faire semblant de se flinguer et de régler des comptes, mais seulement quand ils sont en public : ils jouent les irréconciliables, tout en étant d'accord pour perdre de vue l'intérêt du pays. 

Ils rejouent sans cesse les bonnes vieilles vendettas, mais dans le fond, ce sont larrons en foire. Et l’organisation soigneusement verrouillée des deux familles est la meilleure des garanties contre l’intrusion dans leur jeu de quilles d’un chien venu d’ailleurs (je pense par exemple au pathétique, quoique sympathique Dupont-Aignan ; il y avait aussi Larrouturou, mais où est-il passé ?). Le verrouillage tient en quelques mots : pour entrer dans la « carrière », il faut se mettre au service d’un « suzerain » à qui on « prête allégeance ». UMP et PS se sont entendus pour reconstituer la structure sociale qui porte le nom, dans les manuels d'histoire, de Féodalité.

Si le suzerain a la bonté de vous « adouber » comme « vassal », qu'il vous met « le pied à l'étrier », qu'il vous confie ou qu'il vous lègue un « fief », l’avenir est à vous : si vous savez bien manœuvrer, négocier et satisfaire avec constance vos clients électoraux, dans quarante ans, vous serez toujours en place, vous ferez partie des inamovibles et des incontournables (pour la prochaine présidentielle, ça ne vous semble pas incroyable qu'on parle d'Alain Juppé, entré en politique en 1976 (= 40 - 1), comme d'un candidat possible ?). 

En vérité, la vie politique en France est morte et enterrée. La dictature couplée des compétitions technologiques et économiques (la première déterminant la seconde), dans le monde globalisé, l’a fait disparaître corps et biens, au profit d’acteurs plus voraces les uns que les autres, qui n’ont à la bouche que les mots de performance, de rendement, de compétitivité, de réduction des coûts et autres assaisonnements euphémisants pour traduire le mot "guerre". 

Oui, la vérité, c’est que les élites politiques françaises sont intimement persuadées que c’est l’économie qui fait la société. C'est peut-être ça qu'ils apprennent à l'ENA. Mais c’est exactement le contraire. Appelez ça comme vous voulez, Etat, Nation, Société : quand ça existe vraiment, quand c’est vivant, le reste découle de soi-même, et c'est l'économie qui obéit à la politique, dominée par une force supérieure. On sait qu'on existe, on a conscience de faire partie d'un corps. C’est peut-être ça le plus inquiétant : c’est désormais l’économie qui est aux commandes et qui décide de tout. Et les politiques de tout bord (en ce moment les socialistes) se bousculent pour se mettre à genoux et faire des gâteries aux braguettes patronales. La France est aujourd'hui une entité dévitalisée. 

C'est l'économie qui fait croire aux naïfs que c'est elle qui détient les clés du salut. On voit les dégâts. Et on n'a pas fini de les constater. En réalité, l'économie, si elle est indispensable à la société, est malfaisante quand elle est seule aux commandes, pour la simple raison qu'elle est démunie de ce qui fait une société : appelez ça l'âme, l'esprit, la volonté commune, peu importe. L'économie, c'est comme l'argent : c'est un bon serviteur, mais un maître détestable.

Car l’impuissance persistante des personnels politiques à redresser les comptes nationaux révèle deux choses : 1- Leur complicité et leur servilité objectives avec les principales forces économiques du pays ; 2- Leur renoncement, je ne dirai même pas à « se faire une certaine idée de la France » (reviens, Charlot !), mais carrément la veulerie de leur oubli de la France en tant que pays. 

La vision qu’il faut avoir de la France si l’on veut tenter de la faire exister un jour est, dans leur esprit, à l'heure actuelle, plus désertique et stérile que le Sahara. La feuille blanche. Droite et gauche partagent avec force ce vide existentiel. Là-dessus, les deux camps font semblant de s’affronter sur des idées incompatibles, alors qu’ils ne font que lutter pour les « places » (combien coûte le CSA, monsieur Olivier Schrameck ? Combien, la Cour des Comptes, monsieur Didier Migaud ? Combien coûtent, messieurs Sarkozy et Hollande, tous les sondages, tous les "observatoires", tous les machins mis en place pour recaser les infortunés de la carrière ou des aléas électoraux ?).

Et pour aggraver la chose, comme ils jurent leurs grands dieux, à la prochaine alternance, de faire table rase de tout ce qu’a pu faire l’autre pendant qu’il était au pouvoir, la France est réduite à faire du sur-place. C'est-à-dire à s'enfoncer, lentement et sûrement. Cet antagonisme factice aboutit de fait à la paralysie : faire et défaire, c’est toujours travailler, non ? 

Voilà l’état dans lequel je vois mon pays. 

Voilà ce que je dis, moi. 

Commentaires

Bonjour Monsieur,

vous avez écrit ce matin un texte ,que Bernanos, "la France contre les robots" aurait particulièrement apprécié .

Ce combat contre les imbéciles qui nous gouvernent est foutu d'avance.
C'est du jamais vu; faire bander tout un peuple avec un demi point de croissance !
De la part de socialistes ,le comble. Il va sans dire.
Quant à moi je continuerai de vous lire comme chaque matin.
Cordialement.

Écrit par : ollivier | jeudi, 11 juin 2015

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