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jeudi, 08 janvier 2015

MODIANO PRIX NOBEL

 CABU,

CHARB,

HONORÉ,

MARIS,

TIGNOUS,

WOLINSKI,

MICHEL RENAUD (directeur de cabinet du maire de Clermont-Ferrand, il venait juste rendre à Cabu les dessins qu'il avait exposés dans sa ville)

DEUX POLICIERS, DONT UN AHMED,

UN AGENT DE MAINTENANCE,

UN AGENT D'ENTRETIEN,

ELSA CAYATTE, PSYCHANALYSTE.

 

 

C'ÉTAIT CHARLIE HEBDO.

 

 

C'EST LA GUERRE.

 

IL VA FALLOIR SE DÉFENDRE CONTRE LES FASCISTES, SURTOUT QUAND ILS SONT MUSULMANS.

 

 

 

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Que cela ne nous empêche pas de continuer à exister. Je poursuis donc mon petit propos sur notre dernier prix Nobel de littérature.

 

2/2

 

 

Et le discours qu’il a prononcé à Stockholm n’est pas fait pour dissiper ce sentiment d’étrangeté. Selon l’auteur couronné, par exemple, le,  rôle des romanciers se définit ainsi : « Sous leur regard, la vie courante finit par s’envelopper de mystère et par prendre une sorte de phosphorescence qu’elle n’avait pas à première vue mais qui était cachée en profondeur. C’est le rôle du poète et du romancier, et du peintre aussi, de dévoiler ce mystère et cette phosphorescence qui se trouvent au fond de chaque personne ». C’est sûr, Modiano est un écrivain du ténu.

 

Mais ce que je retiens de préférence dans les passages cités dans Le Monde daté 9 décembre 2014, c’est ce qu’il dit de la rédaction de ses romans. Il commence par avouer – ça commençait à se savoir depuis ses passages chez Bernard Pivot – qu’il a « des rapports difficiles avec la parole. (…) un romancier est plus doué pour l’écrit que pour l’oral ».

 

Et quand on visionne le film de la prestation devant le nombreux public en grande tenue réuni pour l’occasion à Stockholm, on se convainc aussitôt que l’individu est nettement plus à l’aise dans le face à face solitaire avec la page blanche que dans les salamalecs où les pouvoirs se donnent en spectacle. Modiano, tout emprunté, y est presque touchant de maladresse.

 

Quand même, « plus doué pour l’écrit que pour l’oral », je trouve que c’est bien envoyé, à destination de tous les « romanciers » familiers des « tournées de promo », et rompus à toutes les acrobaties oratoires des plateaux de radio et télévision. Je pense au médiatique, à l’horripilant, mais d’une redoutable loquacité, Emmanuel Carrère, dont j’ai vainement essayé de massacrer Le Royaume, il y a peu. Mais je ne me faisais pas d’illusion.

 

Carrère n’est d’ailleurs pas le seul à « bien parler » de ses propres écrits : j’ai entendu un certain Laurent Gaudé parler de son dernier livre. C’est très curieux, de sa bouche ne cessent de tomber des expressions comme « mon projet », « mon travail ». Au sujet d’Haïti, sujet de son bouquin, il n’a posé le pied à Port-au-Prince qu’après que son « projet » eut été structuré dans les détails.

 

Son voyage sur place était destiné au remplissage des cases de la « structure » mise en place au moyen de « chair vivante » et d’ « âme humaine ». Une belle variante « littéraire » du néo-colonialisme des armées de généreuses ONG bourrées de bonnes intentions qui ont mis le chaos dans l’organisation sociale haïtienne après le séisme qui a détruit Port-au Prince. Je reviens à mon sujet.

 

La trajectoire d’écriture que Modiano décrit pour son propre compte est plus instructive que ce coup de griffe donné sans en avoir l’air par sa patte de velours. Commencer un roman se fait toujours dans le découragement : « Vous avez, chaque jour, l’impression de faire fausse route ». L’idée est on ne peut plus juste : le vrai romancier crée sa route en écrivant.

 

C’est pourquoi il ajoute que, tenté de recommencer à zéro pour orienter différemment ses pas : « Il ne faut pas succomber à cette tentation mais suivre la même route ». On peut s’amuser, juste après, de la comparaison avec la conduite automobile sur verglas par temps de brouillard épais, l’idée reste juste : Modiano, quand il écrit, cherche son chemin, et c’est en le cherchant qu’il l’invente. J’appelle ça, oui, vraiment, la littérature.

 

Sur le corps central du livre, Modiano demeure muet. C’est là sans doute que quelque chose se passe dont l’auteur lui-même ne saurait parler. Ce n’est pas qu’il dévoilerait ainsi un secret de fabrication : ce serait simplement écrire le livre une seconde fois. Car l’auteur ne sait pas lui-même ce qui se passe dans ce qu’il écrit. Il met en place une sorte de machine dont il ignore en partie la façon dont elle fonctionne. Le lecteur en personne, quand il relit un livre favori (pour moi, c’est, entre beaucoup d’autres, L’Iris de Suse, de Jean Giono), ne lit pas deux fois le même ouvrage.

 

C’est quand il va bientôt achever son roman que Modiano a une étrange affirmation. Comme une classe dissipée la veille des grandes vacances, le livre semble échapper à l’emprise de celui qui l’écrit pour prendre sa liberté : « Je dirais même qu’au moment où vous écrivez les derniers paragraphes, le livre vous témoigne une certaine hostilité dans sa hâte de se libérer de vous ». Et l’auteur souffre alors, pendant un temps d’une sorte de « baby-blues », comme une femme après l’accouchement : « Vous éprouvez à ce moment un grand vide et le sentiment d’avoir été abandonné ».

 

C’est d’ailleurs l’insatisfaction d’avoir vu sa créature lui échapper qui pousse le romancier à écrire le suivant. Les livres, ainsi, se succèdent et s’accumulent, finissant par former ce que les autres appelleront une « œuvre », mais qui, pour Patrick Modiano, ne dessinent que la trajectoire d’ « une longue fuite en avant ». J’adore cette idée romanesque qui fait de l’écrivain, il s’en faut de peu, le personnage d’un roman potentiel.

 

Du discours du prix Nobel de littérature 2014, je retiendrai une dernière chose, qui me semble apposer sur la littérature de Modiano la marque de l’authenticité. Selon lui, l’écrivain manque de « lucidité et de recul critique (…) vis-à-vis de l’ensemble de ses propres livres ». Chaque fois qu’il attaque un roman, celui-ci « efface le précédent, au point que j’ai l’impression de l’avoir oublié ». Et il est étonné au bout du compte de voir surgir comme malgré lui « les mêmes visages, les mêmes noms, les mêmes lieux, les mêmes phrases ». Au point qu’il a l’impression d’avoir tissé « une tapisserie dans un demi-sommeil ». La littérature du demi-sommeil, c’est exactement l’impression ressentie à la lecture de Pour que tu ne te perdes pas dans le quartier, son dernier opus.

 

Pour conclure, j’ajoute qu’il est réjouissant de visionner les images (youtube/comité Nobel), pour voir l’immense silhouette longiligne de l’écrivain en train de se décarcasser pour surmonter, comme encombré de sa personne, sa répugnance à s’exprimer à l’oral.

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

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