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vendredi, 17 janvier 2014

12 BALZAC : LA VENDETTA

Nous étions dans l’atelier du peintre Servin, au moment où les « jeunes filles de très bonnes (ou très riches familles) » commencent à quitter leur professeur, peut-être à cause de ses opinions bonapartistes, compromettantes, mais surtout à cause du fait que, Ginevra, la fille de Bartholoméo di Piombo, l’indéfectible Corse, y rencontre secrètement un jeune homme, et que leur réputation risquerait d’en être entachée, ce qu’à Dieu et au Roi légitime ne plaise.

 

Ce jeune homme n’est pas n’importe qui, mais un bel officier de la « Grande Armée », que Servin cache dans une sorte de cagibi attenant à son atelier. C’est par hasard que Ginevra l’a aperçu, couché sur un lit dans son uniforme de grenadier de la Garde, où il était colonel chef d’escadron. Un des derniers à quitter le champ de bataille de Waterloo, il est très lié à Labédoyère, ce héros fait général par Napoléon au cours des Cent Jours, et bientôt exécuté par les Bourbons, à peu près au même moment que Ney.

 

La jeune fille, que, curieusement, Balzac nomme tour à tour Ginevra ou « l’Italienne », a commencé par être intriguée par la présence du militaire, puis elle s’est intéressée à lui, au point d’en faire un remarquable portrait au lavis, au sujet duquel le maître sans un éloge hyperbolique : « Mais vous en saurez bientôt plus que moi. (…) Ceci est un chef d’œuvre digne de Salvator Rosa, s’écria-t-il avec une énergie d’artiste ». Il y a sûrement du vrai, Balzac n’a-t-il pas montré, dans La Maison du Chat-qui-pelote, quel chef d’œuvre est capable d’enfanter l’artiste enflammé par une passion amoureuse ?

 

Car Ginevra est tombée raide amoureuse de l’inconnu, qui ne va pas tarder, de son côté, à lui rendre sentiment pour sentiment. Ils se l’avouent bientôt, et puis dans la foulée, elle commence à en parler à ses parents. Ce faisant, elle, la fille trop aimée, la fille qui a vécu une jeunesse favorisée, elle ne se rend absolument pas compte qu’elle va déclencher la catastrophe.

 

Dans un premier temps, c’est son intention d’épouser un homme qui plonge les parents dans l’affliction : ils n’envisageaient leur avenir et leur vieillesse qu’accompagnés fidèlement, puis soignés par leur enfant, et Bartholoméo di Piombo commence par se sentir trahi, pour accepter de s’effacer devant le bonheur de Ginevra et l’embrasser avec une tendresse retrouvée. Elle est autorisée à leur présenter son « fiancé ». C’est le deuxième temps de la catastrophe.

 

Car le jour fixé, Ginevra présente l’officier sous le nom de Louis. Première réaction du père envers un homme supposé avoir été récompensé pour sa bravoure : « Monsieur n’est pas décoré ? ». A quoi Louis répond timidement : « Je ne porte plus la Légion d’honneur », ce qui satisfait d’abord le futur beau-père.

 

Malheureusement, la future belle-mère a la très mauvaise idée de souligner la ressemblance du futur gendre avec Nina Porta : « Rien de plus naturel, répondit le jeune homme sur qui les yeux flamboyants de Piombo s’arrêtèrent. Nina était ma sœur … ». La foudre tombée dans le salon n’aurait pas fait plus d’effet : « Tu es Luigi Porta ? demanda le vieillard. – Oui ». On se souvient que Piombo avait attaché le jeune Luigi dans son lit avant de mettre le feu à la maison des Porta, pour venger les siens, assassinés par les mêmes Porta. Il ne pouvait savoir que l’enfant avait été sauvé.

 

La suite est à l’avenant : « Bartholoméo di Piombo se leva, chancela, fut obligé de s’appuyer sur une chaise et regarda sa femme, Elisa Piombo vint à lui ; puis les deux vieillards silencieux se donnèrent le bras et sortirent du salon en abandonnant leur fille avec une sorte d’horreur ». Les deux jeunes gens sont passés brutalement de la plus grande insouciance à la plus grande désolation.

 

Car le vieux Piombo, qui est du bois dont on fait les Corses, a décidé une fois pour toutes : « Il faut choisir entre lui et nous. Notre vendetta fait partie de nous-mêmes. Qui n’épouse pas ma vengeance n’est pas de ma famille ». Il ne reviendra plus sur sa décision. Un rideau de haine s’est abattu, séparant désormais la fille et le père.

 

La suite est comme une mécanique fatale. Et ce n’est pas l’intervention administrative (et racontée de façon presque burlesque) du notaire de Ginevra, destinée à contraindre légalement le père, qui a des chances de le fléchir. En effet, après la lecture de l’acte officiel par l’homme de loi, le père saisit un poignard pour en frapper sa fille, mais jette son arme, dont la lame s’enfonce dans la boiserie. Il renie sa fille et la chasse de chez lui. 

 

Le couple, désormais sans ressources, se cramponne à l’amour qui les unit, comptant que le sentiment, puissant et intact, leur tiendra lieu d’air à respirer et de nourriture. Mais c’est bien compliqué de vivre à Paris en se passant de tout argent. Leur mariage aura bien lieu, mais ressemblera à l’état de leur compte en banque. Ginevra est bientôt enceinte, mais le dénuement est trop grand pour que les choses s’arrangent.

 

La chute de l’histoire est spectaculaire. Certains pourraient reprocher à Balzac de verser dans un pathétique outrancier, dans une hyperbole grand-guignolesque. Toujours est-il que Luigi Porta vient s’écrouler sur le tapis du vieux, de l’intraitable, de l’inflexible Bartholoméo di Piombo en lui jetant la chevelure de sa fille morte. Seule oraison funèbre prononcée par le vieillard : « Il nous épargne un coup de feu, car il est mort, s’écria Bartholoméo en regardant à terre ». Ainsi s'éteignent deux familles. Amen.

 

Peut-être Mérimée avait-il lu La Vendetta quand il se mit à écrire Colomba. Ce qui est sûr, c’est que le personnage de Piombo me paraît beaucoup plus terrible et sauvage que celui de la sœur d’Orso della Rebbia (lui aussi officier d'Empire), quelque trempé que soit le caractère de celle-ci, même si elle lui fera le même reproche que Piombo à Bonaparte et son frère (ne plus être Corse).

 

Voilà ce que je dis, moi. 

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