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jeudi, 16 janvier 2014

11 BALZAC : LA VENDETTA (1830)

La scène inaugurale de cette nouvelle précède de quinze ans le corps du récit, le temps qu’il a fallu à Bonaparte pour se muer en empereur Napoléon vaincu. Un jour de l’an 1800, on voit en effet le Premier Consul en compagnie de son frère Lucien. Celui-ci vient d’introduire auprès du futur souverain un compatriote, je veux dire un Corse, Bartholoméo di Piombo.

Le Corse vient solliciter de cette vieille connaissance devenue puissante « asile et protection ». C’est qu’il n’a pas fait les choses à moitié, Piombo : « J’ai tué tous les Porta », lui dit-il. Il faut dire aussi que ce sont les Porta qui ont commencé, en incendiant sa maison et en tuant son fils Gregorio. L’épouse et la petite Ginevra ont pu s’échapper. Pour être sûr de tous les expédier chez Saint Pierre, il précise même qu’il a attaché le petit Luigi Porta dans son lit avant de bouter le feu à la maison.

Quelqu’un a beau prétendre que l’enfant a été sauvé des flammes, pour lui, les sept Porta y ont passé. Il rappelle ensuite qu’il a sauvé la famille Bonaparte des poignards des Porta et permis à la mère (vous savez, Letizia Ramolino, alias « Madame Mère » : « Pourvou qué ça doure ») d’arriver à Marseille. Piombo a beau remuer ce passé et citer le nom de Porta : « ces mots ne réveillèrent aucune expression de haine chez les deux frères », au point de lui tirer cette exclamation : « Ah ! Vous n’êtes plus Corses ». Tout juste Auguste ! La France, c’est mieux que la Corse ! Et merde en passant à tous les particularismes ! Comme le chante Brassens : "Les imbéciles heureux qui sont nés quelque part".

Bonaparte accepte de fermer les yeux sur le septuple meurtre, bien que la « tradition » de la vendetta lui apparaisse comme complètement hors de saison : « Le préjugé de la vendetta empêchera longtemps le règne des lois en Corse, ajouta-t-il en se parlant à lui-même. Il faut cependant le détruire à tout prix ». Mais ça n’empêche pas Napo et Lulu d’apporter au réfugié toute l’aide dont leur position les rend capables, et de lui assurer une position sociale confortable : on ne sait jamais, le premier peut avoir besoin d’un ami dévoué auquel il puisse se confier à l’occasion.

Transportons-nous quinze ans plus tard : les Ultras sont aux commandes, et il ne fait pas bon avoir été bonapartiste, encore moins avoir servi dans les rangs de la « Grande Armée ». Transportons-nous également dans l’atelier du peintre Servin, dont la renommée est grande à l’époque. Il a été le premier à ouvrir un atelier où il enseigne sa discipline à une douzaine de jeunes filles de bonne maison, dont Ginevra di Piombo, la fille rescapée, âgée maintenant de vingt-deux ans.

Cette meute féminine est partagée entre le camp des riches bourgeoises, « filles de banquier, de notaire et de négociant », et le camp des filles de la noblesse, fières de pouvoir, grâce à la Restauration et aux Bourbons, retrouver tous leurs droits à l’arrogance aristocratique.

Balzac n’est pas tendre avec ces dernières : « Si leurs attitudes étaient élégantes et leurs mouvements gracieux, les figures manquaient de franchise, et l’on devinait facilement qu’elles appartenaient à un monde où la politesse façonne de bonne heure les caractères, où l’abus des jouissances sociales tue les sentiments et développe l’égoïsme ». On dira ce qu’on voudra, mais tout cela est aussi bien observé qu’envoyé.

La proscription qui vise les bonapartistes atteindra évidemment Servin, dont l’atelier sera bientôt déserté par les jeunes filles, dont les parents, soucieux de « bien-penser », manifestent bientôt des réticences à laisser ces demoiselles fréquenter un milieu devenu louche. Mais il y a aussi la moralité. Car si les élèves quittent l’atelier, c’est peut-être à cause des opinions politiques du peintre, mais c’est surtout parce qu’elles soupçonnent Ginevra di Piombo d’entretenir une relation coupable avec un homme. Et c’est là que se noue le drame.

Voilà ce que je dis, moi.

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