xTaBhN

Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

lundi, 08 août 2011

TOUT LE MONDE SE DROGUE

J’ai vu à Bucarest, en juillet 1990, un magasin de chaussures féminines : extraordinaire ! En vitrine, 150 chaussures, peut-être plus. Génial, vous allez dire ! Attendez. Le seul choix qu’elles avaient, les clientes du magasin d’Etat, c’était la pointure. Pour le reste, les chaussures à talon étaient toutes, rigoureusement, faites sur un modèle unique, pas laid, mais si je me souviens bien, c’était un papier chiné rouge et blanc qui couvrait la structure. Affriolant, je vous dis.

 

 

La société « capitaliste » est nettement supérieure, n’est-ce pas ? On entre dans le superhypergigamarché, et on a tout, TOUT, à sa disposition. D’ailleurs, Angela, l’amie roumaine, a eu les larmes aux yeux quand on l’a emmenée visiter Carrefour, à Francheville : elle n’en revenait pas, c’était trop violent. Alors que le supermarché de Tulcea, leur ville, la principale à l’orée du delta du Danube, offrait, à nos regards ébahis d’occidentaux gavés, ses rayons quasiment vides. VIDES. Cela a changé. Eux aussi, maintenant, ils ont la liberté de choix. Alléluia.

 

 

Je reviens à mon sujet, excusez-moi. C’est vrai, je me laisse aller trop souvent à des ex-cursus et autres digressions, je divague, je parenthèse, je m’égare en à-côtés : bref, je manque de rigueur. Voilà : c’est vrai que le superhypergigamarché, pour ce qui est des substances licites, est abondamment fourni. Mais pour les substances immigrées, macache bono ! Il faut aller sur le supermarché clandestin. Pas évident.

 

 

Mais les jeunes, c’est vachement débrouillard. Et puis ils causent entre eux. Ça fait réseau, ça communique, on ne peut pas les empêcher. Et puis le clandestin, ils aiment ! Même ce qui n’a que l’apparence du clandestin, ça les attire. Et puis les jeunes, ça aime la nouveauté, ça adore découvrir, au point même que ce qui n’est pas foncièrement et radicalement nouveau n’aura l’aumône que d’un vague haussement de sourcil, méprisant à l’occasion. Le jeune – je parle en général – a du mal à commencer à conférer de l’existence à quelque chose qui a plus de cinq ans de plus que lui. Le reste, il le subit. Bon, on va dire que j’exagère.

 

 

Il n’empêche que l’environnement qui est le sien à la naissance, pour lui, c’est la NATURE, c’est là. Tout ce qui existe acquiert une existence naturelle. C’est comme si c’était là de toute éternité. Et il s’adapte, évidemment. Et ça ne l’empêche pas d’observer. Et qu’est-ce qu’il voit, en dehors de son MP3 et de son téléphone portable. Il voit des « grands ». Et qu’est-ce qu’ils font, les grands ? Maman fume. Papa est souvent au bistro avec les copains. Et puis il y a tout le café qu’ils boivent.

 

 

Bon, pour faire court, le gamin, il voit très tôt, sans comprendre aussitôt ce que tout ça recouvre. Il découvre, à son niveau que toutes les drogues sont en vente libre. Un peu plus tard, il verra que ce n’est pas tout à fait vrai, et que quelques-unes sont pourchassées par la maréchaussée. Par exemple, les gendarmes de tel coin des Vosges, chaque année à la même époque, se contentent de cueillir les étourdis qui se sont innocemment promenés dans un coin bien précis et en reviennent avec des psilocybes, vous savez, ces petits champignons qui produisent un effet maximum (hallucinogène).

 

 

Mais d’une manière générale, il sait assez tôt que tous les « grands » se droguent. Alors, c’est vrai, la plupart des substances qui circulent sont en vente libre, et font même l’objet de publicités dithyrambiques. Pour d’autres (les boissons fortes, le tabac, il y a des campagnes de « santé publique » comme disent les autorités. Le gamin, ça le fait bien marrer, l’expression « santé publique ». Il comprend ça très vite : les grands interdisent des choses aux petits, et font juste après ce qu’ils viennent d’interdire.

 

 

C’est vrai qu’il voit sa mère de temps en temps décrocher son téléphone en s’exclamant bientôt : « Ah c’est toi, ma chérie, j’allais justement t’appeler ! », tout en faisant pour son mari assis dans la pièce la mimique de passer plusieurs fois sur sa joue le dos de ses doigts, et raccrocher en poussant un : « Quelle poisse, celle-là ». Il en sait long sur la sincérité, le gamin, et très vite. 

 

 

La drogue c’est exactement ça : le manque de sincérité. Il comprend, quand il étudie Le Misanthrope au lycée, qu’Alceste est du côté de la vérité, mais il comprend en même temps qu’il est déjà mort. Alceste est un personnage socialement impossible. Forcément, à dire ce qu’il pense vraiment, il s’attire tellement de procès et de duels qu’il est condamné à disparaître. Si le gamin a assez de force pour se convaincre que la vie en vaut la peine, il est convaincu que, puisque tout le monde ment, c’est comme ça qu’il faut faire.

 

 

 (Fortsetzung folgt...)