samedi, 18 mars 2017
UNE FABLE DE LA FONTAINE
AUTRE LEÇON DE SUBTILITÉ
Je prie le visiteur de m’excuser : la fable qui vient est à la vérité un peu longue. Je dirai pour me défendre que la faute en revient à l’auteur lui-même, qui prend le temps de tout expliquer à M. de Barillon, qui se trouve être ambassadeur, en même temps que le dédicataire de la fable. On trouve celle-ci dans le livre VIII, où elle rate le podium de peu, puisqu'elle porte le numéro IV. Elle est une illustration de ce qu'on appelle, en termes de savantasse, une « mise en abyme » : c'est la fable qui parle d'elle-même et, en l'occurrence, en termes plutôt désobligeants, comme on va le voir.
Le drôle de la chose, c’est que La Fontaine semble ici tourner en dérision le principe même de la fable, pour cause d’enfantillage : il reproche ici aux hommes de s’occuper de choses futiles en temps ordinaires et de délaisser les affaires les plus sérieuses, celles qui regardent la société dans son ensemble, en l’occurrence rien de moins que la question de sa sécurité. Comme les enfants, même (et surtout) quand la situation est grave, les hommes ne prêtent attention qu’à ce qui les divertit : ils aiment qu’on leur raconte des histoires. On reconnaîtra sans doute, au moment de tirer la morale de l’histoire, deux vers fort connus (texte intégral).
LE POUVOIR DES FABLES (à M. de Barillon).
« La qualité d’ambassadeur
Peut-elle s’abaisser à des contes vulgaires ?
Vous puis-je offrir mes vers et leurs grâces légères ?
S’ils osent quelquefois prendre un air de grandeur,
Seront-ils point par vous traités de téméraires ?
Vous avez bien d’autres affaires
A démêler que les débats du lapin et de la belette.
Lisez-les, ne les lisez pas ;
Mais empêchez qu’on ne nous mette
Toute l’Europe sur les bras.
Que de mille endroits de la terre
Il nous vienne des ennemis,
J’y consens ; mais que l’Angleterre
Veuille que nos deux rois se lassent d’être amis,
J’ai peine à digérer la chose.
N’est-il point encor temps que Louis se repose ?
Quel autre Hercule enfin ne se trouverait las
De combattre cette hydre ? Et faut-il qu’elle oppose
Une nouvelle tête aux efforts de son bras ?
Si votre esprit plein de souplesse,
Par éloquence et par adresse,
Peut adoucir les cœurs et détourner ce coup,
Je vous sacrifierai cent moutons : c’est beaucoup
Pour un habitant du Parnasse.
Cependant faites-moi la grâce
De prendre en don ce peu d’encens.
Prenez en gré mes vœux ardents,
Et le récit en vers qu’ici je vous dédie.
Son sujet vous convient ; je n’en dirai pas plus :
Sur les éloges que l’envie
Doit avouer qui vous sont dus,
Vous ne voulez pas qu’on appuie.
Dans Athène [sic] autrefois, peuple vain et léger,
Un orateur, voyant sa patrie en danger,
Courut à la tribune ; et, d’un art tyrannique,
Voulant forcer les cœurs dans une république,
Il parla fortement sur le commun salut.
On ne l’écoutait pas. L’orateur recourut
A ces figures violentes
Qui savent exciter les âmes les plus lentes :
Il fit parler les morts, tonna, dit ce qu’il put ;
Le vent emporta tout ; personne ne s’émut.
L’animal aux têtes frivoles,
Etant fait à ces traits, ne daignait l’écouter ;
Tous regardaient ailleurs : il en vit s’arrêter
A des combats d’entas, et point à ses paroles.
Que fit le harangueur ? Il prit un autre tour :
Cérès, commença-t-il, faisait voyage un jour
Avec l’anguille et l’hirondelle ;
Un fleuve les arrête, et l’anguille en nageant,
Comme l’hirondelle en volant,
Le traversa bientôt. L’assemblée à l’instant
Cria tout d’une voix : Et Cérès, que fit-elle ?
Ce qu’elle fit ! un prompt courroux
L’anima d’abord contre vous.
Quoi ! de contes d’enfants son peuple s’embarrasse,
Et du péril qui le menace
Lui seul entre les Grecs il néglige l’effet !
Que ne demandez-vous ce que Philippe fait ?
A ce reproche l’assemblée,
Par l’apologue réveillée,
Se donne entière à l’orateur :
Un trait de fable en eut l’honneur.
Nous sommes tous d’Athène en ce point ; et moi-même,
Au moment que je fais cette moralité,
Si Peau-d’Âne m’était conté,
J’y prendrais un plaisir extrême.
Le monde est vieux, dit-on : je le crois ; cependant
Il le faut amuser encor comme un enfant. »
De quoi, peut-être, émettre, de concert avec M. de Talleyrand, le regret de tous ceux qui, et nous sommes un certain nombre, à ne pas savoir ce que c'est que la douceur de vivre, pour n'avoir pas vécu au temps d'avant la Révolution (citation très approximative).
09:00 Publié dans LITTERATURE | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature, littérature française, la fontaine, fables la fontaine, le pouvoir des fables