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mardi, 13 novembre 2018

8/8 VOUS AVEZ DIT "CENTENAIRE" ?

MAUDITE SOIT LA GUERRE !

On fait grand cas, dans certains milieux, des monuments aux morts portant des inscriptions qualifiées d' "antimilitaristes" ou, à la rigueur, de "pacifistes". Mais quand je regarde la liste des 16.148 photos que j'ai collectées depuis quarante et quelques années, j'ai beau écarquiller les yeux, j'ai beau prendre une loupe, j'ai du mal à suivre. Il faut au moins un microscope pour en extraire quelques-unes. Quant aux monuments portant l'inscription définitive "Maudite soit la guerre !", je ne pense pas qu'il y ait besoin des doigts de deux mains pour en faire l'inventaire.

Sans prétendre les avoir tous repérés, j'en ai dénombré quatre. Sur 36.000. Vous avez bien lu : QUATRE monuments français aux morts de 14-18 déclarent publiquement leur haine de la guerre. Quatre : Cazaril-Laspènes, Equeurdreville, Gentioux (le plus renommé, avec son petit garçon tendant le poing), Saint-Martin-d'Estréaux. Si certains m'ont échappé, merci de me le signaler. A noter que l'historienne Annette Becker, qui en inventorie 3 (TROIS), omet la plaque ci-dessous (modeste, il est vrai) dans son inventaire des monuments "antimilitaristes" : une "plaque" est-elle un "monument" ? Pour répondre positivement, je me réfère à mon vieux Gaffiot (quasiment un pléonasme aujourd'hui) : « Monumentum 1. Tout ce qui rappelle qqn ou qqch, ce qui perpétue le souvenir : CIC. Cat.3, 26; Dej.40; Verr.4, 11 ; 4, 26 ; 4, 73, etc. ». Oui, une plaque est bien un monument, c'est Cicéron qui le dit..

1Cazaril Laspènes 31110 maudite soit la guerre.JPG

Cazaril-Laspènes (Haute-Garonne) : autour de 75 habitants en 1914, 17 au recensement de 1991. J'ai lu quelque part que, statistiquement, les communes françaises ont perdu en moyenne 4% de leur population. Peut-on se fier à ce chiffre ? Pour la localité à l'époque, le taux monte à 8%.

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Equeurdreville (Manche). 147 morts (5.765 habitants en 1911).

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Gentioux (Creuse) : 63 (58, selon une autre source) noms gravés, 1109 habitants en 1911 (2,55% des vivants).

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Saint-Martin-d'Estréaux (Loire). 1.648 habitants en 1911, 64 noms gravés (3,9%). Je note quand même qu'on a pris soin de faire graver une croix de guerre couronnée de lauriers.

QUATRE, en tout et pour tout, ça ne fait pas lourd de dégoût et d’écœurement, après une saignée de quatre ans. Pas assez même pour en faire des exceptions, tant c'est infinitésimal. Bon, on peut en ajouter quatre autres, où l'on trouve gravées des expressions approchantes : Avion ("Tu ne tueras point"), Château-Arnoux ("La guerre est un crime", dans le poème de Victorin Maurel), Dardilly ("Contre la guerre, à ses victimes, pour la fraternité des peuples"), Marlhes ("Non, plus jamais, jamais la guerre, Le monde a faim de paix", mais la plaque se trouve dans une église). Et puis un cinquième, connu sous le nom de "Picarde maudissant la guerre", situé à Péronne. Et puis un sixième, qu'on peut voir à Les Barthes, où je crois voir une Marianne brisant un fusil. Franchement, j'aurais préféré ne pas avoir fait le tour de la question avec cette modeste dizaine. 

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Avion (Pas-de-Calais). Sculpture de Emile Fernand-Dubois.

Stupeur qui désarme la déesse guerrière (une femme superbe à peine vêtue d'un pagne), saisie d'effroi en découvrant l'amas des restes humains sur le sol (des poings fermés, si j'ai bien déchiffré : je ne suis pas passé à Avion ; certains y voient des « mains crispées »). 

« C’est le seul monument aux morts du Pas-de-Calais à dénoncer clairement la barbarie de la guerre. Ce geste politique n’est pas vraiment de bon ton à l’époque, et d’ailleurs l’inauguration se déroula fort modestement dans la grisaille de décembre en l’absence des autorités habituelles (représentant de l’État, de l’armée, hommes politiques). » (Commentaire piqué sur le site "Mémoires de pierre", qui parle d'un sous-préfet fort mécontent.)

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Château-Arnoux (Basses-Alpes)

"Que la guerre est un crime". Victorin Maurel fut instituteur, pacifiste déclaré. Il fit de la politique, fut élu maire de la ville, qu'il s'efforça de moderniser.

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Dardilly (Rhône) : « Contre la guerre. ».

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Marlhes (Loire).

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Péronne (Somme).

Œuvre de Paul Auban, reprise ou matrice (je ne sais pas) de L'Epave, sculpture installée dans un square à Nantes, où la mère maudit les flots qui ont rejeté sur le rivage le corps de son fils, jeune marin.

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Les Barthes (Tarn-et-Garonne).

Je pense ne pas délirer : Marianne brise un fusil. Je n'ai pas vu le monument in situ.

Je ne fais pas figurer ici des monuments considérés comme pacifistes par des associations ou groupements (par exemple l'ALAMPR, association laïque des amis des monuments pacifistes du Rhône) : c'est être pacifiste à bon compte, tant c'est indirect et sous-entendu. Je ne suis pas d'accord : quand on est "anti"-guerre, il faut donner à voir aux autres un signe de la chose (pour Cabu, qui n'aimait pas du tout les militaires, ce fut l'adjudant Kronenbourg). Je crois que montrer le deuil des femmes, des enfants, des parents, des vivants est insuffisant pour mériter d'être qualifié de pacifiste. Je crois aussi qu'il ne suffit pas de graver sur le monument "Pax" (tout le monde est pour la paix, personne n'est vraiment pour la guerre) ou "La commune de X à ses enfants".

A ce compte-là, j'ai dans mes réserves des centaines de photos de tels monuments "pacifistes". Encore faut-il que l'opposition à la guerre soit exprimée explicitement. Pour les quelques œuvres que je montre ici, combien d'autres portent "A nos héros" ? Combien de "morts pour la patrie" ? Ci-dessous le monument de Sainte-Foy-lès-Lyon (j'espère qu'il a été nettoyé depuis la photo).

STE FOY LES LYON 69 P.jpg

Je me rappelle, dans les années 1970, avoir attendu sur une place le défilé du 11 novembre à Sainte-Foy, en compagnie d'Hélène, Pierre, Marie-Christine et les enfants, au défilé des officiels de la commune, en tête desquels les drapeaux et les bérets militaires des anciens combattants. Sur le panneau que je portais j'avais écrit en très gros la phrase "Maudite soit la guerre" (il y a une photo, introuvable pour l'instant).  La réaction avait été plutôt d'interrogation bienveillante. Nous avions visiblement surpris, et nous avions bien discuté après le dépôt de la gerbe. Le monde actuel prouve tous les jours que nous avions raison en principe, ... mais tort en réalité. Aujourd'hui, les moulins à vent, pour mon compte, c'est : "Non merci !".

Même le monument de Quinsac (Gironde), où le sculpteur Gaston Schnegg a inscrit en effigie le visage terrorisé de son propre fils Pierre (mort au Chemin des Dames en avril 1917, son corps jamais retrouvé), au-dessus d'un coq dressé devant le soleil levant, déclare : « A la mémoire glorieuse des soldats de Quinsac morts pour la France ». Vous êtes sûr que vous avez dit "pacifiste" ? 

Quinsac_en_Gironde.jpg

Non, sauf grossière erreur de ma part – et même si c'est dur à entendre –, le réel pacifisme qui eut cours dans la société française dans les années 1920 et 1930 (auquel on doit au moins en partie la défaite de 1940), ne connut quasiment aucune traduction concrète – en dehors des quelques exceptions exceptionnelles ici présentes – dans la conception et l'édification des monuments dédiés aux morts de 1914-1918. Il est probable que les forces pacifistes du pays ont eu du mal à se faire entendre, entre les calculs politiques, la volonté des autorités et l'influence militaire, lorsqu'il a fallu élever les 36.000 tombeaux aux morts de la Grande Guerre.

S'il fallait dénombrer les monuments français explicitement pacifistes ou maudissant la guerre en les rapportant au nombre de secondes dans une heure, cela ferait UNE seconde (10 sur 36.000, ça fait 1 sur 3.600). Bon, on peut se dire que le pacifisme en pantoufle préfère mettre en valeur l'arbrisseau rabougri de l'exception, pour mieux ne pas voir la forêt en pleine santé du sort le plus commun, le plus énorme. C'est comme la recette du pâté d'alouette : un énorme cheval, une pincée d'alouette. On se console comme on peut.

Voyons les choses en face : les monuments pacifistes restent une goutte d'eau claire dans l'épaisseur d'un océan rouge en furie. A peine un granule de rêve et d'espoir dans la grosse et profonde marmite du diable.

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Je clos ici la présente série. Rendez-vous au bicentenaire.

Prière de ne voir qu'une pure coïncidence dans le fait que ce billet est publié un 13 novembre. Je n'ai qu'une pensée au souvenir du Bataclan et des terrasses : « Maudite soit la guerre ! ».