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lundi, 27 février 2017

QUELLE POLICE ?

Contrôle au faciès, bavures, tutoiement systématique, brutalité ordinaire : il y a quelque chose de pourri dans la police française. Les délits d’ « outrage et rébellion », multipliés par cinq depuis les années 1990, sont devenus une commodité, presque une banalité, si ce n’est même un mode de vie, tant il est souvent dégainé : la moindre remarque d’un passant lors d’une intervention est susceptible d’être requalifiée aussitôt en « outrage », et s'il proteste, il aggrave son cas, qui devient « rébellion » dans la foulée.

Quant à ce qui se passe dans les « banlieues difficiles », c'est une caricature de tout ce qu’il ne faut pas faire. Et c’est en grande partie dû aux destructions massives commises par Nicolas Sarkozy quand il était déjà malade et ministre de l’Intérieur, instaurant la priorité à la répression sur la prévention, instaurant la « politique du chiffre » destinée à impressionner l'opinion sur l'action des forces de l'ordre en fabriquant des statistiques spectaculaires et victorieuses sur l'insécurité, réduisant les effectifs à coups de RGPP (réduction qui, entre autres effets, a produit les récentes et stupéfiantes grèves de policiers), assassinant la « police de proximité », puis la police de terrain (les Renseignements Généraux n’avaient pas bonne réputation, il est vrai, mais). On a vu l'éclatant résultat de ces « orientations » autant dans les banlieues qu’en matière de sécurité intérieure (Mohamed Mehra, etc.). Avant de remercier Hollande pour ce qu’il n’a pas construit, la France peut remercier Sarkozy pour ce qu’il a détruit. 

La dernière affaire en date interpelle : Théo, un homme jeune à peau noire, a été hospitalisé avec une déchirure de 10 cm à l’anus, à cause d'une matraque à tendance sodomique. On pourrait supposer que, aux yeux du policier, le cul du monsieur ressemblait furieusement à son faciès (et le coup a été porté « à l’horizontale » !!!). Il semblerait que le responsable du geste soit connu : surnommé « Barbe-Rousse » par les jeunes du quartier, il serait coutumier. Moi qui ne descendrais pas dans la rue pour manifester en criant « Justice pour Théo », je mêlerais volontiers ma voix à ceux qui exigeraient des policiers un comportement correct. Est-ce une simple « brebis galeuse » qui fait tache dans un corps de police qui serait irréprochable ? Ou peut-on dire de ce corps que son « mal vient de plus loin » ?

J’ai malheureusement peur que la deuxième question soit la plus pertinente. Pour s’en assurer, il faut comparer les rapports que la police entretient avec la population en France et ailleurs. Sans aller jusqu’à évoquer les flics mexicains tels qu’ils apparaissent dans l’actualité, ni les milices (des bandits en uniforme, en fait) croisées à un arrêt de bus par le Consul Geoffrey Firmin, dans Au-dessous du Volcan (Malcolm Lowry), on peut émettre des critiques, tout en restant dans le comparable et l’environnement proche.

Je me rappelle l’aimable mais énergique tranchant de la main qu’une jolie policière m’avait envoyé dans l’estomac, au motif qu’elle dégageait le chemin du chien qui reniflait la piste d’une vieille dame Alzheimer dont on était sans nouvelles. Je ne doute pas de l’importance de la mission de la policière et du chien, mais pour moi, c’est l’un des « signaux faibles » qui nous disent que quelque chose cloche dans les pratiques coutumières de la police française.

En Allemagne, en Suisse, en Grande-Bretagne, les policiers, en passant dans leur école, ont appris qu’il fallait veiller à entretenir de bons rapports avec la population. Pour cela, on leur enseigne à ne pas considérer d’emblée les gens comme des suspects, et à marquer un peu de respect là où ils interviennent. On a l'impression que ce n'est pas grand-chose : juste une question de langage, de ton, de gestes et de comportement. Mais c'est plus facile à dire qu'à faire.

Car ce n’est apparemment pas au programme des formations policières chez nous. On a l’impression (j'aimerais avoir tort) que la consigne prioritaire, en France, est d’instaurer dès l’abord un rapport de force : s’il y a respect à montrer, il est à sens unique. Si la police française était vraiment républicaine, chacun de ses membres serait au contraire imprégné de la conviction que son action serait beaucoup plus efficace et admise s’il pouvait se déplacer dans la population comme un poisson dans l’eau. 

S’il se préoccupait de susciter l’adhésion plutôt que la crainte. Cela n'est pas complètement hors de portée : n’a-t-on pas vu bien des gens sauter au cou des policiers après les attentats ? Cela signifie que la population, en général, ne demande pas mieux que d’aimer la police. Encore faut-il que la police fasse quelque chose pour se faire aimer, et que des policiers cessent de nous rejouer inlassablement la grande scène des cow-boys au Far-West.

Malheureusement, on n’en prend pas le chemin, comme on l’a vu lors des manifestations contre la « loi travail ». Comme on l’a vu quand Valls a reculé, à propos du contrôle d’identité, sur le récépissé obligatoire qu'il prévoyait d'instaurer. Et comme on le voit quand ça chauffe à Aulnay-sous-Bois ou ailleurs, avec le déploiement d’escouades de Robocops envoyées au front comme s’il y avait une guerre. Et comme on le voit avec l'alignement récent de l'usage des armes par les policiers sur les règles en vigueur dans la gendarmerie. Ce n’est pas en militarisant la police, en cédant à toutes ses revendications corporatistes ou en lui laissant la bride sur le cou que les gouvernants amélioreront ses résultats ou l’état de ses relations avec les Français.

Tant qu’un gouvernement n’aura pas la volonté d'apprendre aux policiers les "bonnes manières", et que la hiérarchie ne sera pas convaincue qu’une amélioration est nécessaire (l'IGPN refuse la qualification de viol dans l'affaire Théo : dans la police, on a "l'esprit de corps", et en attaquer un, même avec une bonne raison, c'est les attaquer tous), une sale mentalité régnera dans la profession. Et la population pourra continuer à craindre la police. Et les « jeunes des banlieues » pourront continuer à guerroyer. Accessoirement (pure imagination, bien sûr), on peut se demander, face à des rapports cataclysmiques entre ces jeunes et la police, si celle-ci ne travaille pas en réalité pour les imams radicaux et pour le recrutement des futurs djihadistes de Daech et consort.

Allez, pour conclure, j'ose en référer au marquis de Sade (bien que sa dissertation s'immisce dans un lieu où l'on se dénude beaucoup plus et dans des discours et des actes beaucoup plus osés que cet obscur blog n'en offre l'occasion et le spectacle, je veux parler, bien sûr, de La Philosophie dans le boudoir) : « Policiers français, encore un effort si vous voulez être [vraiment] républicains ».

Voilà ce que je dis, moi.