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jeudi, 04 octobre 2012

BONNE MAMAN ET LE BEL CANTO

Pensée du jour : « La communion [sociale] ne passe plus par un support symbolique, mais par un support technique - c'est en cela qu'elle est communication ».

JEAN BAUDRILLARD

 

 

Comme le préconise ALEXANDRE VIALATTE (je le disais il y a environ trois semaines), le plus important, c’est de commencer par « n’importe quoi ». Cette méthode permet à coup sûr de se retrouver « n’importe où ». A condition, au moyen de « rétablissements de l’esprit et de l’imagination », de « trouver en route mille idées plaisantes et instructives qui ne vous seraient jamais venues sans cela ».

 

 

Exactement comme on l’avait prévu. Le tout, en suivant cette manière de faire, c’est de « s’attendre à tout ». Ainsi, pas de mauvaise surprise. Cette méthode d’écriture se révèle plus infaillible que le pape. A condition de se laisser aller à ce qui vient. Et que ça vienne.

 

 

Je dis ça parce que c’est curieux, parfois, comme les choses se passent. Voyez, par exemple la petite série de notes où, il y a quelque temps, j’entreprenais de brûler en effigie la musique techno, et plus généralement l’ensemble de l’univers sonore que l’époque actuelle nous fabrique.

 

 

Eh bien ce n’est pas du tout dans cette direction que j’avais voulu partir. Il s’est passé que le hors d’œuvre est devenue le plat principal. La digression s’est invitée à table et a tout bâfré sans rien laisser aux autres. C’est comme si le séminariste avait été nommé évêque, ou le bidasse général. Un coup d’Etat, quoi. Mon ordre des idées s’en est trouvé tout badibulgué, comme on dit à Lyon. Bref : je reprends le collier aujourd’hui.

 

 

Je m’en prenais donc à ce cocon sonore dans le feutre duquel musique et vacarme se confondent, comme dans L’Enfer musicalENFER BOSCH 2.jpg de JERÔME BOSCH. Cocon que se disputent deux larves d’une voracité insatiable : un grand conservatisme formel, que j’appelais le « tonal binaire amplifié boumboum », et une volonté tyrannique de domestiquer nos oreilles.

 

 

J’étais donc parti pour faire l’éloge du « bel canto » (voir, pour preuve, le titre du 16 septembre, « rendez-nous le bel canto »). Ben oui, j’aime le « beau chant », j’ai cette faiblesse. Comme j’avais été saisi, à Nîmes, un jour de féria : un marchand de cacahuètes plus ou moins loqueteux passait devant la terrasse où nous étions assis, JEAN T. et moi. Tout d’un coup, le loqueteux se métamorphosa en « primo uomo » quand j’entendis sortir de son gosier la plus magnifique des voix de ténor, pour lancer un superbe appel « Caaaacahuèèèètes ! ». Il remarqua mon ébahissement. Mais j’avais des antécédents. Un vendeur de cacahuètes, pensez !

 

 

Oui, je suis saisi par le sextuor final du 1er acte dans Le Barbier de Séville de ROSSINI. Et La Cenerentola, du même ? Regardez le tour de force de la scène VII, et ce jeu musical sur les consonnes : « Questo è un nodo avviluppato, Questo è un gruppo rintrecciato, Chi sviluppa piu inviluppa ; Chi piu sgruppa piu ragruppa ; … ». Essayez de prononcer tout ça, pour voir. En faisant rouler les "r".

 

 

Bon, peut-être que ce qu’on appelle « bel canto » ne se limite pas aux opéras de VINCENZO BELLINI, de GAETANO DONIZETTI, de GIOACCHINO ROSSINI. Ajoutons VERDI pour faire bon poids, bien que … Mais je n’ai pas envie de m’embarrasser de définitions ou de considérations scolaires.  

 

 

Pour revenir à mon point de départ, là au moins c’est sûr, le « bel BONNE MAMAN.jpgcanto » me vient de Corbeyssieu, et des après-midi très chauds passés dans la pénombre agréable de la chambre de « Bonne Maman » GAUTHIER. Une arrière grand-mère qui portait autour du cou un ruban noir satiné. Quand j’étais tout minot, je croyais que c’était ça, un soutien-gorge. Ma définition du mot "gorge", qui était un peu restrictive, s'est ensuite élargie, pour mon bonheur.  

 

 

Bonne Maman mettait les volets de sa porte-fenêtre à l’espagnolette, puis, assise dans son grand fauteuil vert, écoutait, venant de son petit poste de radio rouge et blanc posé sur une table légère, MADY MESPLÉ et MICHEL DENS dans Véronique de MESSAGER. Impassible, avec juste les coins extérieurs des yeux et de la bouche légèrement plissés, pour montrer qu’elle n’était pas mécontente de vivre le moment. J’étais juste là. J’écoutais aussi.

 

 

La chambre donnait sur la terrasse, et restait assez longtemps à l’ombre du sycomore le plus au sud des quatre arbres alignés. Les rais atténués des jalousies invitaient à goûter la douceur de l'après-midi. A la musique bienvenue. A Léopold et Josépha (L’Auberge du cheval blanc), par exemple, qui chantaient : « Pour être un jour aimé de toi, je donnerais ma vie », en appuyant sur la syllabe « don-».

 

 

On me dira que le bel canto et l’opérette, c’est blanc bonnet et légume vert. Qu’on se rassure : j’abonde. L’opérette, on le sait, ça chante, mais ça cause aussi. C’est pour l’action. On ne va pas, maintenant, s’embêter avec ce qui différencie l’opéra comique, du bouffe, du séria, de l’opérette et du vilebrequin. Je dis : « Pourquoi se compliquer ? On n’est plus à l’école, quand même ! ».

 

 

Moi, je parle de ce que j’aime, et entre autres, du « bel canto ». Ensuite je peux dire : « Plus que » ou « Moins que ». C’est sûr qu’on hiérarchise. C’est l’art des choix (comme on dit à Privas). On n’en est pas là. On pense ce qu’on veut de LUIS MARIANO, mais je soutiens que, au moins dans Le Secret de Marco Polo, que j’ai vu de derrière un pilier au Châtelet, à côté de ma sœur et de ma grand-mère (on n’était pas bien grands), il chantait bien du « bel canto », même si c’était de la soupe à la FRANCIS LOPEZ.

 

 

Ne me demandez pas ce que ça racontait. Ce que je peux dire, c’est que j’ai été rendu éminemment sensible à la musique par le costume des filles du chœur, dont le haut s’interrompait très haut, et dont le bas commençait assez bas pour laisser apprécier la grâce de leur centre de gravité ainsi dégagé. J’affirme que j’ai suivi la ligne mélodique dans tout le raffinement de ses ondoiements, de ses rondeurs et de ses courbes. J’avais très bonne vue.

 

 

« Bel canto », ça veut dire « beau chant ». Et pour moi – je me fiche bien des définitions officielles – il y a de la hanche féminine dans le « beau chant ». Je n’y peux rien. Les voix masculines sont nécessaires pour l'équilibre, évidemment, mais la basse joue souvent un rôle ingrat de barbon qui finira par être berné, et le ténor, celui d'un jeune benêt (L'Elixir d'amour, de DONIZETTI, par exemple) qui surmontera le ridicule pour épouser sa belle.

 

 

J'exagère, je sais. Je caricature honteusement. Honte à moi. Je sais que la basse peut jouer les pères nobles (Simon, dans Simon Boccanegra), et le ténor les purs héros (Arturo, dans Les Puritains). Et ça reste beau.

 

 

Voilà ce que je dis, moi.