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vendredi, 20 septembre 2019

QUATRE AUTRES CONVERSATIONS

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Au café de Fourvière, avec vue superbe sur Lyon, autour de midi. 

Un gars raconte à un autre ses ennuis de famille. Sa diction a un chuintement très prononcé, ça siffle entre les dents. Sa femme couche avec le frère, avec le père, et en plus, elle se refuse à lui. Lui, il est le seul à travailler et à apporter des sous : « Comment ils feraient, tous, sans moi, pour croûter ? ». Lui, il ne voit pas pourquoi il n’irait pas draguer la voisine, « qui a une paire de nibards, je te dis pas, même qu’elle m’a fait des avances, mais ma femme m’interdit. Non mais, qui c’est qui fait la loi ? ». Il appelle le garçon : « Je voudrais un sandwich à la viande. Mais est-ce que vous pouvez hacher la viande ? C’est à cause de mes dents ». Et il ouvre grand la bouche : une dent en haut, une dent en bas, mais pas en face.

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Au supermarché. 

Une femme arrive à la caisse, le caddie plein. Avec elle, un garçon de sept ou huit ans, très sourd, très appareillé. Il a le visage fortement marqué, genre « pas normal ». Il a des lunettes très fortes. Mais ses handicaps visibles ne l’empêchent pas de causer et de courir partout, agile, rapide, infatigable, au grand désespoir de la mère en train de déposer ses emplettes sur le tapis de la caisse. Elle voudrait le maintenir près d’elle, mais tout en restant très douce avec lui. Elle l’appelle avec tendresse : « Viens ici, on va bientôt partir ». Lui n’écoute rien, escalade une caisse, redescend, et puis il parle, il parle, il parle. Il est joyeux. La mère est horriblement gênée.

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Au supermarché.

La mère pousse un caddie tellement rempli qu'elle doit parfois forcer à droite ou à gauche pour aller un peu droit. Sa fille conduit un caddie "spécial enfants", mais attention, pas un jouet en plastique : un vrai caddie en réduction. Elle le manie avec autorité et entrain, l’œil très concentré. Elle fait de la bouche les bruits du moteur, partant dans les aigus quand elle accélère au sol. C’est à un de ces moments que le caddie vient heurter la cheville de la mère, juste là où ça fait le plus mal. En se pliant de douleur, elle fait : « Mmmmmmmmmmmmmmhhh ! » (cri étouffé, mélodie montante jusqu'au suraigu, puis descendante avec du guttural à la fin), se retourne vers sa fille, finit par articuler un « Merci » vengeur, puis repart. La petite la suit, et reprend de plus belle ses accélérations. Et allez : pan dans la cheville ! La mère se retient de hurler, elle souffre horriblement, tord son visage en une véritable grimace. Un temps, puis elle se recompose un visage dans la travée centrale du magasin avant de s’acheminer vers la caisse.

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Dans un café du Centre d’Echanges de Perrache, le matin. 

A ma gauche est assis un Arabe devant une bière. Il a un échange assez vif avec un gars situé non loin, genre déserteur de la Légion, qui a déjà un coup dans l’aile. La discussion s’anime : « Dis pas ça, fais attention ». L’Arabe : « Sale pédé ! ». L’autre le gifle, ce qui renverse la bière, mon journal est mouillé. L’Arabe se lève pour en découdre. Ils commencent à s’empoigner. Le patron accourt, tire l’Arabe en arrière : « Arrête, il crie, ça fait un moment que tu fais des emmerdes. On se calme. » L’Arabe : « Et ma bière ? Elle était pas finie. » Le patron en pose une pleine sur le comptoir, discutant avec lui tout en restant soigneusement entre les deux hommes. Le légionnaire finit sa bière, se lève, se dirige vers le fond du café, hésite, retourne, s’adresse au patron, qui répond : « C’est à l’étage en dessous ». La scène se termine.

Deux vieux attablés à proximité n'ont rien perdu de la scène : « Il fait beau, c’est le printemps ».

Note : le Centre d'Echange (le "Blockhaus" pour les Lyonnais), lieu de transit par excellence, est par nature anonyme et inhabitable. Pour aller à l'étage en dessous (lire "aux toilettes"), c'est un peu compliqué.

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