mardi, 22 avril 2014
QUE PEUT LE POLITIQUE ?
DE L’IMPUISSANCE DU POLITIQUE 2/4
Il a fini par déchanter : « J’ai appris le peu de marge d’action de l’homme politique, et le poids de l’administration. Et précisément, dans la mesure où cela se situait dans une période troublée, où en apparence on repartait presque à zéro et où les structures auraient pu être remises en question. Or c’est là que j’ai appris par exemple l’incroyable dépendance à l’égard des services administratifs ». Et il n’est que conseiller municipal, pas ministre. Et comment se rend-il compte du « poids des services » ?
Oh c’est très simple à comprendre : recevant de trente à quarante dossiers à régler et boucler dans la journée, il n’a évidemment pas le temps de travailler sérieusement sur chacun. A peine celui de survoler à grands coups d’ailes. Et alors, résultat ? Ce sont les services qui rédigent et fournissent les notes de synthèse et les « digests » qui vont lui permettre de s’en faire une vague idée. On appelle ce travail préalable « préparation à la décision ».
Or il faut savoir que la « préparation à la décision » constitue l’essentiel du contenu de l’enseignement que reçoivent les crânes d’œuf qui réussissent le concours d’entrée à l’ENA. La recette est à la portée de tous. Qu’est-ce qu’une note de synthèse ? C’est bête comme chou.
On vous donne un dossier de, supposons, soixante pages, mettons par exemple un dossier qui a trait aux activités du Conservatoire du Littoral, et il faut que sur le bureau du supérieur qui l’a demandée, atterrissent le plus tôt possible quatre pages. Le plan est tout trouvé, presque une obligation : grand 1, constat descriptif d’une situation donnée ; grand 2, analyse des causes qui ont produit cette situation ; grand 3, exposé des solutions envisageables pour résoudre le problème.
C’est bête comme chou, on le voit. Il n’empêche que cela peut être compliqué, délicat, épineux, risqué, dangereux, etc. Et puis, tout dépend du crâne d’œuf, car certains ont du bon sens, mais ce n’est pas une condition nécessaire pour être admis à l’ENA, donc pour servir ensuite de truelle aux maçons responsables, je veux parler des chefs de service, dans les ministères. Ce qui est exigé, c’est en revanche la clarté : il faut avant tout faciliter la prise de décision par le décideur en chef.
On n’imagine pas, parmi les gens normaux – dont vous et moi faisons partie –, sur le piédestal de quelle invraisemblable fourmilière est posée la tête du ministre, la seule visible, la seule à énoncer devant micros et caméras, en termes plus ou moins clairs, des analyses plus ou moins pénétrantes sur le problème de l’euthanasie, de l’écotaxe ou des rythmes scolaires.
Les gens normaux ne sont pas en mesure d’imaginer tout ce qui se passe en amont (mais aussi et surtout selon le principe de la pyramide hiérarchique) de l’instant fatal où la bouche ministérielle énonce les mots fatidique que tous les quotidiens imprimeront le lendemain. Car la crotte de mouche qui tombe de ce quasi-anus est la quintessence d’une quintessence elle-même quintessenciée. C’est la goutte extrême du distillat qui sort de l’alambic toute prête à exploser. Ou à s’abouser dans l’indifférence.
Sans pousser son analyse jusque-là, c’est bien ce que Jacques Ellul (je ne l’ai pas perdu de vue) reproche à la bureaucratie en place. Dans le fond, en un an et demi passé à travailler au sein de la municipalité de reconstruction à Bordeaux, de quoi a-t-il souffert, Jacques Ellul, à son petit poste de petite décision ? D’avoir été posé comme un bouchon à la surface d’une substance vaguement mouvante ou liquide dont il était le jouet :
« Plus léger qu’un bouchon, j’ai dansé sur les flots
Qu’on appelle rouleurs éternels de victimes… ».
J’exagère sans doute, mais l’essentiel est là.
Voilà ce que je dis, moi.
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