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dimanche, 16 février 2014

27 BALZAC : L’ELIXIR DE LONGUE VIE (1830)

Résumé : Don Juan Belvidéro ne tient pas à laisser son père ressusciter grâce à la liqueur que son immense savoir accumulé en Orient lui a permis d'élaborer. Quand il voit que ça marche, il décide de le garder pour lui.

 

Et il a raison. Quand il est mort, le fils, laissé seul avec le cadavre de son père, entend la voix d’un démon lui souffler : « Imbibe un œil ! ». L’ayant fait : «  L’œil s’ouvrit ». Et ce n’est pas tout ça : « Il voyait un œil plein de vie, un œil d’enfant dans une tête de mort, la lumière y tremblait au milieu d’un jeune fluide ; et, protégée par de beaux cils noirs, elle scintillait pareille à ces lueurs uniques que le voyageur aperçoit dans une campagne déserte, par les soirs d’hiver ». Et Don Juan Belvidéro tue son père ressuscité en écrasant l’œil du mort qui aurait dû le rester. La scène est terrible. Peut-être excessive.

 

Le père magnifiquement et définitivement enterré, vient alors le récit de la vie du fils. Le portrait de ce nouveau Don Juan est magistral : « Son regard profondément scrutateur pénétra dans le principe de la vie sociale, et embrassa d’autant mieux le monde qu’il le voyait à travers un tombeau. Il analysa les hommes et les choses pour en finir d’une seule fois avec le Passé, représenté par l’Histoire ; avec le Présent, configuré par la Loi ; avec l’Avenir, dévoilé par les Religions. Il prit l’âme et la matière, les jeta dans un creuset, n’y trouva rien, et dès lors il devint don Juan ». J’arrête là, bien que ce soit dommage.

 

Dans certaines formules, Balzac semble se dépeindre lui-même : « Maître des illusions de la vie, il s’élança, jeune et beau, dans la vie, méprisant le monde, mais s’emparant du monde ». Tout ça pour dire que le portrait que l’auteur fait de ce Don Juan mis à sa sauce fait une très belle page de littérature, où se trouve synthétisée toute l’âme du cynique. De tous les cyniques. Je me dis aussi que ce cynisme-là répond trait pour trait à celui que le « Au lecteur » a distillé sur les relations d’intérêt entre enfants impatients et parents vieillissants. Balzac reparlera d’ailleurs des « espérances » des héritiers.

 

Les femmes ne sont pour lui qu’une part parmi d’autres de sa vision du monde : « Quand ses maîtresses se servaient d’un lit pour monter aux cieux où elles allaient se perdre au sein d’une extase enivrante, don Juan les y suivait, grave, expansif, sincère autant que sait l’être un étudiant allemand ». Les hommes, les religions, tout y passe, au premier rang de quoi figure son étonnante rencontre avec le pape Jules II en personne, qui vaut son pesant d’indulgences plénières en matière de clairvoyance réciproque et d'incroyance secrètement portée.

 

Passé en Espagne pour respecter la tradition du mythe, Don Juan adopte une conduite édifiante, décidant malgré tout, par calcul, de n’être « ni bon père ni bon époux », s’affirmant au dehors très à cheval sur les questions religieuses, exigeant de sa femme et de son fils une observance stricte de tous les principes et règles y afférant.

 

Moyennant quoi, parvenu à l’extrême vieillesse, juste avant de mourir, il demande à son fils ce que son propre père lui avait demandé en vain. Mais à son rebours, Philippe est pieux, et respectera donc la dernière volonté du défunt. Ayant enduit la tête et le bras du mort avec la liqueur secrète, il tombe évanoui quand il en constate l’effet : il comprend qu’il est en train de ressusciter son père, dont le bras pleinement revigoré l’empêche seul de s’effondrer sur le sol.

 

La foule accourt, crie au miracle. Appelé de toute urgence, l’abbé de San Lucar, un homme rusé qui ne cracherait pas sur un surcroît de revenus, prédit la prochaine canonisation du défunt, et organise dans son couvent une cérémonie grandiose, qui forme la scène finale de ce conte. La dite scène est-elle une réussite littéraire ? Franchement, j’hésite à me prononcer, car elle met le lecteur en présence d’une solennité tout à la fois fantastique, macabre et grotesque.

 

Je ne dirai rien de cette cérémonie, juste que la foule est venue de cinquante lieues à la ronde pour assister à la canonisation de « Saint Don Juan » et qu’elle pousse sa croyance fanatique jusqu’au plus absurde en persistant à crier au miracle jusque dans les manifestations les plus évidentes de diableries venues tout droit de l’enfer.

 

Bien fait pour le cupide abbé de San Lucar, qui n’emportera pas ses calculs en paradis. Mais au total une histoire bien faite aussi pour laisser le lecteur perplexe. Et trop étrange pour être inoubliable. Enfin je crois.

 

Voilà ce que je dis, moi.

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