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dimanche, 26 janvier 2014

16 BALZAC : PETITES MISERES DE LA VIE CONJUGALE

Petites misères de la vie conjugale est donc un livre brillant, plein de ce qu’on appelait à l’époque de Balzac « l’esprit parisien ». Il s’agit de causer. Je veux dire qu’on est dans un salon élégant et impitoyable, où la survie dépend de l’originalité et de la vivacité d’une repartie, et où la cruauté d’une épigramme bien tournée est capable de ruiner pour toujours la réputation d’un homme, même quand il est « en vue ». Et au style dont le livre est rédigé, on sent que Balzac, non seulement a fréquenté ce genre de société assidûment, mais aussi qu'il ne devait pas être maladroit dans le lancer de piques et autres formules incisives.

 

L'ouvrage adopte en effet le ton qu'on imagine bien qu'aurait une conversation entre quelques jeunes gens célibataires fumant et devisant joyeusement, accoudés à la cheminée, et observant les manèges et les allées et venues des couples invités dans les salons d'un riche bourgeois. Comme s'ils se donnaient les uns aux autres toutes les raisons de la terre de ne pas se marier, et se renforcer ainsi dans leur décision. 

 

On les entend presque se livrer gaillardement à la dissection du spectacle qu'ils ont sous les yeux, et à l'énumération par le menu des mille détails qui pourrissent la vie d’un mari, quand il se rend compte que son épouse ne ressemble que très approximativement à la mignonne petite fée dont il était tombé amoureux trois ans auparavant et dont il a étourdiment demandé la main à des parents nantis comme des huîtres grasses.

 

Car toute la première partie du livre s’apitoie sur les calamités qui s’abattent sur l’homme qui, inconsidérément, s’est aventuré dans les sentiers tortueux et hérissés d’épines du statut de « mari ». Notre époque, superbement « libérée » des normes et des conventions, est à des années-lumière de pouvoir comprendre des temps où, au moins dans une certaine classe sociale (supérieure), les dites normes et conventions apparaissaient encore comme intangibles.

 

Et s’il m’est permis de formuler un avis personnel, la façon dont Balzac dépeint l’intelligence féminine dans les relations du couple conjugal est d’une subtilité et d’une justesse incomparables.

 

Sans vouloir généraliser à outrance (vous savez, tous ceux qui disent : « La Femme …», mais aussi toutes celles qui disent : « Oh vous, les Hommes … »), et sans vouloir paraître misogyne à l’excès, Balzac indique aux malheureux qui ont, sous le coup de l’illusion que donne le désir (pris pour de l'amour) pour une jeune, gracieuse et jolie personne, décidé de sauter le pas et de comparaître en sa compagnie devant monsieur le Curé puis monsieur le Maire, les deux caractéristiques essentielles, les deux grandes spécificités de l’intelligence féminine sont : 1) la manipulation par torsion ou réversion du sens des mots, 2) une mauvaise foi à toute épreuve, essentiellement manifestée dans la dénégation des évidences. Ce n'est pas mal vu.

 

Certains titres de chapitres attirent et aiguisent l’attention : « La logique des femmes » commence ainsi : « Vous croyez avoir épousé une créature douée de raison, vous vous êtres lourdement trompé, mon ami ». C’est un épisode à enfant, ce surnuméraire familial dont la mère se sert comme d’une arme contre le père (toujours putatif, rappelons-le).

 

Celui-ci veut envoyer son fils au Collège dans le but qu’il reçoive une éducation et une instruction, mais aussi au motif qu’il mène au logis une sarabande dévastatrice : « La mère lui dit ʺPrends !ʺ à tout ce qui est à vous ; mais elle dit : ʺPrends garde !ʺ à tout ce qui est à elle ». Le père, qu’il soit bien entendu, se soucie de faire former son fils, la mère de le protéger du monde réel. Et quand la bonne déclare que le petit n’a jamais eu d’engelures, « Vous sortez suffoqué de colère ». On n’est pas plus retors. Que le mari le sache : la femme est passée maitresse dans l’art du retournement d’argument.

 

Quelques titres de chapitres : « Jésuitisme des femmes », où leur dextérité extrême de la casuistique déploie des ailes de grand rapace ; « Le taon conjugal » expose toutes les piqûres d’amour-propre que la femme plante dans l’épiderme de son mari en comparant ce qu’il fait pour elle à ce que fait monsieur Deschars pour son épouse ; « Nosographie de la villa » déroule tout le caprice d’une femme qui se met à aimer la campagne par vanité, et qui, sitôt satisfaite, regrette son appartement parisien. Bref, chapitre après chapitre, l’enfer du mari. On n’en finirait pas.

 

Il est juste de préciser qu’il ne s’agit que de la première partie du livre. La seconde est présentée comme celle où l’auteur rend justice à la femme, en lui faisant à son tour jouer le rôle de la victime, la précédente s’étant achevée sur le chapitre « Le solo de corbillard ». Essayons d’être objectif, et admettons pour le coup que, dans le livre, les tracasseries que le mari fait à sa femme n’ont aucune commune mesure avec celles qu'il en a subies. Balzac a bien du mal à revêtir la sensibilité féminine.

 

Cela n’empêche pas l’auteur de farcir son texte de considérations intéressantes, parfois passionnantes, qui ressemblent à des professions de foi. Parlant de petits hommes qui n’écrivent que des petites choses (voir la tirade de Figaro au dernier acte du Mariage de Figaro : "Il n'y a que les petits hommes qui redoutent les petits écrits") : « Ceci est l’histoire des médiocrités en tout genre, auxquelles il a manqué ce que les titulaires appellent le bonheur. Ce bonheur, c’est la volonté, le travail continu, le mépris de la renommée obtenue facilement, une immense instruction et la patience qui, selon Buffon, serait tout le génie, mais qui certes en est la moitié ».  

 

Je ne peux m’empêcher de lire dans cette déclaration comme un autoportrait d’Honoré de Balzac en personne. Une sorte de charte déontologique traçant le contour de la silhouette de l'homme qui a l'ambition de devenir un "grand écrivain". C'était en effet un travailleur acharné, impitoyable avec lui-même et avec son secrétaire, et qui voulait que celui-ci le réveillât à minuit pour se consacrer à ses travaux d'écriture. Parmi quelques autres, Jules Sandeau, premier mari de George Sand, à ce régime, se retrouva assez vite sur les rotules et hors d'état.

 

En tout cas, un autoportrait très juste. Et magnifique. Et en une phrase, s'il vous plaît !

 

Voilà ce que je dis, moi.  

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