mardi, 09 juin 2015
L'ASPECT DES CHOSES
« Sur cent femmes, il existe au moins une bonne demi-douzaine de créatures faibles qui, dans cette grande secousse, reviennent peut-être pour toujours à leurs maris, en véritables chattes échaudées craignant désormais l’eau froide. Cependant cette scène est un véritable alexipharmaque dont les doses doivent être tempérées par des mains prudentes » (c'est moi qui italique).
Honoré de Balzac, Physiologie du mariage, Deuxième partie (Des moyens de défense à l’intérieur et à l’extérieiur), Méditation XXII (Des péripéties).
On trouve aussi le mot "alexipharmaque" dans Là-bas, de Joris Karl Huysmans, cher au cœur du personnage de Soumission, le dernier roman de Michel Houellebecq.
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Les jours se suivent ...
À noter, ci-dessus, les quatre martinets, à peu près alignés verticalement (désolé pour le format).
... eh bien tant pis ! Profitons-en pour en profiter !
Ici, j'ai fait presque (à beaucoup près) comme Harvey Keitel dans le film Smoke (1994, Wayne Wang, scénario de Paul Auster), où il jouait un marchand de cigares qui s'échinait, mais alors là tous les jours de toutes les semaines de tous les mois de toute l'année, à la même heure, à photographier son carrefour insignifiant pour en coller les tirages dans un album spécialement dédié, se disant peut-être : « Pas besoin de bouger. Le monde bouge déjà assez comme ça ».
Je n'en suis pas encore là. J'ai peut-être tort.
Voilà ce que je dis, moi.
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lundi, 08 juin 2015
L'ASPECT DES CHOSES
« Sur cent femmes, il existe au moins une bonne demi-douzaine de créatures faibles qui, dans cette grande secousse, reviennent peut-être pour toujours à leurs maris, en véritables chattes échaudées craignant désormais l’eau froide. Cependant cette scène est un véritable alexipharmaque dont les doses doivent être tempérées par des mains prudentes » (c'est moi qui italique).
Honoré de Balzac, Physiologie du mariage, Deuxième partie (Des moyens de défense à l’intérieur et à l’extérieur), Méditation XXII (Des péripéties).
La "scène" dont parle l'auteur est celle, superbe et implacable, mais généreuse, que le mari vient de faire à son épouse, après avoir, dans un geste d'une grande noblesse dédaigneuse, chassé du placard où il se cachait et de son domicile, le « célibataire » qui tenait compagnie à celle-ci. D'où la recommandation au sujet du dosage. Il faut préciser que si le mari s'était absenté (l'étourdi !), c'était parce que, ayant acquis quelque certitude sur son "infortune" (chantant sûrement ces mots de Georges Brassens : « Eh oui, je suis cocu, j'ai du cerf sur la tête »), il avait programmé avec soin le moment fracassant de son retour. Et la « bonne demi-douzaine » (sur cent) de femmes ainsi dûment reconquises laisse à penser comment Balzac jaugeait l'efficacité d'un tel procédé. La plupart des femmes, dans son esprit, ont un goût inextinguible pour « l'eau froide », comme sa biographie tend à le prouver.
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EST-CE QUE ÇA PREND LA TÊTE ?
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samedi, 25 janvier 2014
15 BALZAC : PETITES MISERES DE LA VIE CONJUGALE
Physiologie du mariage disséquait tous les risques encourus par l’homme qui décidait de se marier, à commencer par celui de se faire « minotauriser » par un « célibataire » au bout d’un temps plus ou moins long, qu’il appelait la « lune de miel », évaluée par Balzac à la durée approximative de trois ans. L’ouvrage se voulait en quelque sorte un traité scientifique, un manuel théorique.
Et de même que la science fondamentale est complétée par la science appliquée (où la technique joue le rôle déterminant), Balzac jugea utile d’adjoindre à ses hautes considérations un « manuel pratique » consignant un ensemble de faits observés dans la réalité et scrupuleusement rapportés.
Il le déclare dans le bien nommé chapitre « Ultima ratio » : « Cette œuvre qui, selon l’auteur, est à la Physiologie du mariage ce que l’Histoire est à la Philosophie, ce qu’est le Fait à la Théorie, a eu sa logique, comme la vie prise en grand a la sienne ». Cela donne Petites misères de la vie conjugale, livre brillant, qui braque cette fois la longue vue – et avec quelles délices de gourmet ! – sur le champ de bataille où ces deux armées que sont le mari et la femme s’affrontent sans que mort s'ensuive (en général).
Certains voient ici un roman. Quelle drôle d’idée ! Franchement, s’il y a du romanesque dans ce livre, c’est sous une forme fragmentaire et esquissée. Je m’explique. Certes, le couple est formé d’une Caroline et d’un Adolphe, mais ce sont une Caroline et un Adolphe purement virtuels, que Balzac se plaît, au fil des courts et nombreux chapitres, à plonger successivement dans toutes sortes d’éprouvettes et de corps chimiques pour en décrire la couleur, l'odeur et la teneur du précipité ainsi obtenu.
Je veux dire que l’auteur mêle allègrement les situations, les époques, les contextes et que, dans ces conditions, on ne saurait parler d’un roman à proprement parler, avec sa scène d’exposition, ses péripéties, sa construction et son dénouement. Comme le dit encore l’auteur, c’est un « livre plein de plaisanteries sérieuses ».
Concédons cependant que l'auteur suit une sorte de trame chronologique, qui irait du premier appétit pour la jolie personne et la jolie dot qui l'accompagne jusqu'au moment où le mari se résout et se résigne à la plus vaste indifférence pour tout ce qui concerne la personne de son épouse.
Ce qui est sûr, c'est que Balzac s’amuse énormément aux dépens des malheurs conjugaux de tous les Adolphes de la terre : « Il a lu des romans dont les auteurs conseillent aux maris gênants tantôt de s’embarquer pour l’autre monde, tantôt de bien vivre avec les pères de leurs enfants … ». On sent l’habitué des salons mondains qui, en compagnie de quelques amis, se divertit en taillant en pièces la réputation de quelques figures qui se pavanent sous ses yeux.
Qu’est-ce que vous pensez de « maris gênants » ? Et de « bien vivre avec les pères de leurs enfants » ? C’est pas beau, ça ? Je ne sais pas vous, mais moi ça me fait penser à Georges Brassens, et plus précisément à la chanson « A l’ombre des maris » : « Si madame Dupont, d’aventure, m’attire, Il faut que, par surcroît, Dupont me plaise aussi ! ». Brassens a le « célibataire » difficile.
Mais la strophe que je préfère, et celle qui commente avantageusement l’ouvrage de Balzac, c’est l’avant-dernière : « Et je reste et, tous deux, ensemble on se flagorne. Moi je lui dis ʺC’est vous mon cocu préféréʺ. Il me réplique alors : ʺEntre toutes mes cornes, Celles que je vous dois, mon cher, me sont sacréesʺ ». Cet éloge, ce dithyrambe en l’honneur de la femme adultère (« Ne jetez pas la pierre ...») ressemble fort à une adhésion sans réserve à la théorie de Balzac développée à la fin de Petites misères … Cocu et content de l'être, en somme ?
Après tout, Balzac et Brassens, ça commence par la même lettre. Et ce sont deux célibataires. Rien de mieux pour partager une "philosophie" identique.
Voilà ce que je dis, moi.
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lundi, 23 décembre 2013
5 BALZAC : PHYSIOLOGIE DU MARIAGE
Physiologie du mariage se présente sous la forme de trente « Méditations de philosophie éclectique », réparties en trois blocs à peu près égaux : « Considérations générales », « Des moyens de défense à l’intérieur et à l’extérieur » et, pour couronner le tout, « De la guerre civile » (!). L’ensemble fait trois bonnes centaines de pages, dont la lecture est rendue réjouissante, du fait de la variété de la composition, où ruptures de ton, de registre ou de mode de narration alternent savamment les images et les leçons.
L’ensemble est parsemé d’ « aphorismes », souvent loufoques, parfois étranges, tel le cinquième : « Une femme qui fait la cuisine dans son ménage n’est pas une femme honnête ». Certains sont frappés au coin du bon sens : « Physiquement, un homme est plus longtemps homme que la femme n’est femme », même si ça ne plaira pas à toutes les ménopausées qui s’efforcent de rester fraîches, minces et lisses à coups de cosmétiques, de lifting, de jogging, de magazines féminins, de club de remise en forme (step, rameur, vélo d'appartement ...) et de surveillance du contenu de l’assiette. Remarquez, soit dit à leur décharge (si j’ose dire), les journaux font régulièrement des « sujets » sur ce qui se passe en matière de sexe dans les maisons de retraite, alors ...
Il faut préciser que Balzac différencie la femme « honnête » de la « vertueuse », et là j’avoue que, pour moi du moins, l’auteur se complaît à entretenir, sinon le paradoxe, du moins un certain flou. Il consacre pourtant un chapitre à chacune, et fait semblant de poser la question de savoir « si une femme honnête peut rester vertueuse ».
Son livre ne s’adresse pas à n’importe qui. Il faut se retenir de rire ou de se mettre le doigt sur la tempe à la lecture des « statistiques » que Balzac bricole en prétendant « cerner » son sujet. « Plaisanterie », ai-je d’abord envie de dire. Il aurait pu en effet s’épargner la peine de fabriquer des chiffres hypothétiques, et déclarer simplement que son propos était circonscrit à ce qui se passe dans la haute société, c’est-à-dire celle qui s’offre à ses yeux d’observateur redoutable. Les femmes du peuple, ce n'est pas sa tasse de thé. S'agissant de thé, il ne trempe ses lèvres que dans les porcelaines de l'élite. C'est une image.
Pour entrer dans son « échantillon représentatif », il faut en effet, sinon posséder un hôtel particulier, du moins avoir assez de moyens pour vivre dans le luxe, avec domesticité nombreuse, ameublement raffiné, équipage splendide et relations au ministère et à la Chambre. C’est en effet dans ce milieu que le regard des autres, impitoyable, est capable de percer en un clin d’œil les moindres secrets d’alcôve, et la germination éventuelle de ces excroissances cervidoïdes, à quoi se reconnaît l’inconduite des épouses.
Pour obéir en quelque sorte à la scientificité (réelle ou fictive) affichée par le titre (l’ouvrage se présente comme un traité de médecine : « Physiologie »), les titres des chapitres s’affublent souvent de déguisements scientifiques : « Statistiques conjugales », « Théorie du lit », où le caractère facétieux de l’auteur s’expose ouvertement.
Soit dit en passant, ce n’est pas pour me vanter, mais on trouve dans la Méditation XXII le mot qui donne son titre à ce blog : « Cependant cette scène est un véritable alexipharmaque [c’est moi qui souligne, évidemment] dont les doses doivent être tempérées par des mains prudentes ». Je rappelle que ce terme, formé de racines grecques, est le synonyme exact d’ « antidote », « contrepoison », « alexi- » voulant dire « qui protège » (dans Alexandre, par exemple), et « pharmaque » signifiant « poison » (comme dans « pharmacie »).
Parmi tous les hommes qui risquent de faire franchir aux épouses la barrière de leur vertu, l’ennemi public du mari, celui qui selon Balzac, a des chances de brandir l'épouse comme un trophée, c’est, en tout et pour tout, le « Célibataire ». Mais pas n’importe quel célibataire : en termes de statut social et d’aisance matérielle, rien ne le différencie de l’époux (comme on le voit dans l’illustration ci-dessus). La seule différence, c’est qu’il n’est pas marié, lui.
L’amusant dans l’affaire, c’est que Balzac ne s’est jamais marié, sauf à la fin de sa trop courte vie, après avoir pendant des années fait le siège de l’élue de son cœur, Madame Hanska. Même si son aspect n’avait rien à voir avec le portrait de la gravure, ça en dit long sur la façon dont il considérait les femmes des autres. Sa première conquête d’importance (au grand dam de sa propre mère) fut d’ailleurs une femme mariée, même si le mari avait eu la bonne idée de mourir avant, ce qui caractérise en général la situation des veuves.
En se permettant de devenir le « conseiller conjugal » des maris inquiets, et tout en montrant qu’il connaissait son sujet, Balzac se payait donc le luxe de se moquer d’eux en se donnant l’air de venir à leur secours. Ce n’est pas sans raison que le livre, à parution, suscita quelque émotion.
Voilà ce que je dis, moi.
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dimanche, 22 décembre 2013
4 BALZAC : PHYSIOLOGIE DU MARIAGE
Disons-le d’entrée de jeu : Physiologie du mariage n’est pas un roman. Le sous-titre éclaire déjà davantage la question : « Méditations de philosophie éclectique sur le bonheur et le malheur conjugal ». J'admire la triple ironie contenue dans "méditations", dans "éclectique" et dans "philosophie". Ce n’est donc pas un roman, mais ça n’empêche pas le livre d’être un merveilleux bijou de vachardise (voire de férocité à l’occasion).
L’auteur, célibataire endurci de tout juste trente ans quand paraît son « Traité », propose aux maris tous les moyens imaginables de se prémunir contre le risque inhérent, voire consubstantiel à l’institution maritale et à la vie dans l’état conjugal : le cocuage. Il fait semblant de leur donner tous les conseils pour ne pas avoir un jour « du cerf sur la tête » (Brassens, Le Cocu). Ce n’est pas pour rien que Balzac ne s’est marié qu’à la toute fin de son existence, et l’on peut admirer ici un formidable catalogue d’observations, par lequel il prétend faire le tour de la question en même temps qu’épuiser le sujet.
Il est certain que l’ouvrage a acquis un intérêt plus historique que pertinent dans le contexte actuel : le mariage, le régime matrimonial, la famille étant devenus ce qu’ils sont, une grande partie des remarques de l’auteur tombe à plat, si on les regarde avec l’œil des générations actuelles, habituées à obéir à leur moindre désir avant même d’en savoir davantage sur son origine, sa destination, ses conséquences et diverses considérations auxquelles seuls les plus anciens sont désormais accessibles.
Je veux dire que l’institution du mariage est devenue un supermarché où chacun trouve un produit à sa convenance, un produit dont une enquête marketing fine a permis de dessiner le « profil » adapté à sa « cible »; on pourrait dire aussi qu’elle est devenue un restaurant dont la carte proposerait tous les menus et tous les plats qu’il est possible de manger sur notre planète. Je veux dire évidemment que la notion même d’institution a pris du plomb dans l’aile, et que ce qui reste de son corps décharné agonise dans la liesse générale.
Pendant ce temps, une ribambelle de doctes intitulés « penseurs » et de cuistres autoproclamés « intellectuels », s’interrogeant sur le délitement du lien social et les moyens de le retisser, pondent des thèses sur le Progrès indéniable que constitue l’évolution dans les mœurs, tout en accompagnant, si ce n’est en précédant ou provoquant, par le contenu de leur « pensée », le dit délitement.
Michel Foucault et Pierre Bourdieu, entre beaucoup d’autres, ont fondé leur renommée sur leur talent à structurer et théoriser leur haine de l’ordre social, et en le « déconstruisant » patiemment et méthodiquement, pour en dégager et extirper l’insupportable odeur d’arbitraire. Jusqu’à faire découvrir au bon peuple ébahi, comme si c’était une nouveauté révolutionnaire, que la « culture » se différencie radicalement de la « nature », vieux cours de philo pour classes terminales d’après-guerre.
A cet égard, Physiologie du mariage apparaîtra, aux yeux des thuriféraires de cette « société en mouvement » (on se demande autant ce qu’est une société en mouvement : une société statique, ça n’existe pas, du moins aussi longtemps que les membres en sont en vie), comme un livre abominablement suranné, tout juste capable de motiver et d’intéresser je ne sais quel boutonneux soucieux d’accéder pas trop tard à une chaire en Sorbonne. Je ne sais pas vous, mais moi, quand j’ai refermé le livre, c’était comme si je m’étais abreuvé à la source Hippocrène. C’est sur le mont Hélicon, près de Thespies. Ah, le sabot de Pégase ! Je veux dire que je m’y suis « ressourcé ».
D’abord parce qu’on y retrouve une société où un partisan des institutions n’était pas encore considéré comme un ennemi public à anéantir. Ensuite parce qu’on sait, après ça, ce que c’est que la littérature. Et dire qu’il y a des gens d’un goût apparemment très sûr prêts à soutenir que « Balzac ne sait pas écrire » (citation d’un propos récemment entendu dans la bouche de quelqu’un d’éminemment sensé). N’en veuillons pas trop à la personne : de même que quelqu’un a dit : « Père, pardonnez-leur, car ils ne savent pas ce qu’ils font » (Luc, XXIII, 34, traduction du chanoine A. Crampon), certains ne savent pas ce qu’ils disent, et il ne serait pas charitable de leur en tenir rigueur.
Voilà ce que je dis, moi.
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