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lundi, 23 décembre 2013

5 BALZAC : PHYSIOLOGIE DU MARIAGE

Physiologie du mariage se présente sous la forme de trente « Méditations de philosophie éclectique », réparties en trois blocs à peu près égaux : « Considérations générales », « Des moyens de défense à l’intérieur et à l’extérieur » et, pour couronner le tout, « De la guerre civile » (!). L’ensemble fait trois bonnes centaines de pages, dont la lecture est rendue réjouissante, du fait de la variété de la composition, où ruptures de ton, de registre ou de mode de narration alternent savamment les images et les leçons.

L’ensemble est parsemé d’ « aphorismes », souvent loufoques, parfois étranges, tel le cinquième : « Une femme qui fait la cuisine dans son ménage n’est pas une femme honnête ». Certains sont frappés au coin du bon sens : « Physiquement, un homme est plus longtemps homme que la femme n’est femme », même si ça ne plaira pas à toutes les ménopausées qui s’efforcent de rester fraîches, minces et lisses à coups de cosmétiques, de lifting, de jogging, de magazines féminins, de club de remise en forme (step, rameur, vélo d'appartement ...) et de surveillance du contenu de l’assiette. Remarquez, soit dit à leur décharge (si j’ose dire), les journaux font régulièrement des « sujets » sur ce qui se passe en matière de sexe dans les maisons de retraite, alors ...

Il faut préciser que Balzac différencie la femme « honnête » de la « vertueuse », et là j’avoue que, pour moi du moins, l’auteur se complaît à entretenir, sinon le paradoxe, du moins un certain flou. Il consacre pourtant un chapitre à chacune, et fait semblant de poser la question de savoir « si une femme honnête peut rester vertueuse ».

Son livre ne s’adresse pas à n’importe qui. Il faut se retenir de rire ou de se mettre le doigt sur la tempe à la lecture des « statistiques » que Balzac bricole en prétendant « cerner » son sujet. « Plaisanterie », ai-je d’abord envie de dire. Il aurait pu en effet s’épargner la peine de fabriquer des chiffres hypothétiques, et déclarer simplement que son propos était circonscrit à ce qui se passe dans la haute société, c’est-à-dire celle qui s’offre à ses yeux d’observateur redoutable. Les femmes du peuple, ce n'est pas sa tasse de thé. S'agissant de thé, il ne trempe ses lèvres que dans les porcelaines de l'élite. C'est une image.

Pour entrer dans son « échantillon représentatif », il faut en effet, sinon posséder un hôtel particulier, du moins avoir assez de moyens pour vivre dans le luxe, avec domesticité nombreuse, ameublement raffiné, équipage splendide et relations au ministère et à la Chambre. C’est en effet dans ce milieu que le regard des autres, impitoyable, est capable de percer en un clin d’œil les moindres secrets d’alcôve, et la germination éventuelle de ces excroissances cervidoïdes, à quoi se reconnaît l’inconduite des épouses.

Pour obéir en quelque sorte à la scientificité (réelle ou fictive) affichée par le titre (l’ouvrage se présente comme un traité de médecine : « Physiologie »), les titres des chapitres s’affublent souvent de déguisements scientifiques : « Statistiques conjugales », « Théorie du lit », où le caractère facétieux de l’auteur s’expose ouvertement.

Soit dit en passant, ce n’est pas pour me vanter, mais on trouve dans la Méditation XXII le mot qui donne son titre à ce blog : « Cependant cette scène est un véritable alexipharmaque [c’est moi qui souligne, évidemment] dont les doses doivent être tempérées par des mains prudentes ». Je rappelle que ce terme, formé de racines grecques, est le synonyme exact d’ « antidote », « contrepoison », « alexi- » voulant dire « qui protège » (dans Alexandre, par exemple), et « pharmaque » signifiant « poison » (comme dans « pharmacie »).

Parmi tous les hommes qui risquent de faire franchir aux épouses la barrière de leur vertu, l’ennemi public du mari, celui qui  selon Balzac, a des chances de brandir l'épouse comme un trophée, c’est, en tout et pour tout, le « Célibataire ». Mais pas n’importe quel célibataire : en termes de statut social et d’aisance matérielle, rien ne le différencie de l’époux (comme on le voit dans l’illustration ci-dessus). La seule différence, c’est qu’il n’est pas marié, lui.

L’amusant dans l’affaire, c’est que Balzac ne s’est jamais marié, sauf à la fin de sa trop courte vie, après avoir pendant des années fait le siège de l’élue de son cœur, Madame Hanska. Même si son aspect n’avait rien à voir avec le portrait de la gravure, ça en dit long sur la façon dont il considérait les femmes des autres. Sa première conquête d’importance (au grand dam de sa propre mère) fut d’ailleurs une femme mariée, même si le mari avait eu la bonne idée de mourir avant, ce qui caractérise en général la situation des veuves.

En se permettant de devenir le « conseiller conjugal » des maris inquiets, et tout en montrant qu’il connaissait son sujet, Balzac se payait donc le luxe de se moquer d’eux en se donnant l’air de venir à leur secours. Ce n’est pas sans raison que le livre, à parution, suscita quelque émotion.

Voilà ce que je dis, moi. 

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