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mardi, 24 décembre 2013

6 BALZAC : PHYSIOLOGIE DU MARIAGE

Balzac a truffé sa Physiologie du mariage de choses succulentes. Tenez : « Avoir de la jalousie pour une femme dont on est aimé constitue de singuliers vices de raisonnement. Nous sommes aimés ou nous ne le sommes pas : placée à ces deux extrêmes, la jalousie est un sentiment inutile en l’homme ; elle ne s’explique peut-être pas plus que la peur, et peut-être la jalousie est-elle la peur en amour. Mais ce n’est pas douter de sa femme, c’est douter de soi-même.

Être jaloux, c’est tout à la fois le comble de l’égoïsme, l’amour-propre en défaut, et l’irritation d’une fausse vanité. Les femmes entretiennent avec un soin merveilleux ce sentiment ridicule, parce qu’elles lui doivent des cachemires, l’argent de leur toilette, des diamants, et que, pour elles, c’est le thermomètre de leur puissance ». Les psychologues, psychiatres et autres psychanalystes ne pourront pas dire qu’on ne leur a pas mâché la besogne : ils n’ont eu qu’à lire Balzac.

Alors l’amour, parlons-en. Il semble que pour lui, l’expression « amour conjugal » soit un oxymore, tout comme « soleil noir » (Nerval, dans El Desdichado) ou « feu glacé » (Shakespeare, dans Roméo et Juliette). C’est en tout cas ce qu’il veut montrer dans la nouvelle intitulée La Maison du chat qui pelote (j’en parlerai plus tard). Pour lui, si l’on épouse sous l’empire exclusif de la passion amoureuse, il faut s’attendre à de sévères déconvenues. Augustine, l’héroïne de ce récit, aura vécu au total dix-huit mois de bonheur consommé. Après ...

Dans la Physiologie, il accorde au couple une rallonge d’autant, ce qui nous mène à trois ans de parfait amour. L’époque moderne, avec les trois ans qu’elle prête en durée aux plus belles passions, croyait avoir inventé quelque chose de nouveau : c’est raté. Comme la plupart du temps, elle ne fait que recycler quelques déchets du passé dont, en les rhabillant aux couleurs de la mode du jour, elle s’enorgueillit à tort d’être la génitrice géniale et généreuse.

Cela me fait penser à ce mien proche qui voulait à toute force me convaincre du génie d’Antoni Gaudi (Barcelone), que j’admirais depuis belle lurette. J’ai beau le savoir, je m’étonne toujours que certains s’ingénient à croire que le monde est né avec eux. Pour dire que l’époque moderne a un vrai problème avec le passé. Ce n’est pas pour rien que l’épidémie symbolique du futur qui nous guette s’appelle la maladie d’Alzheimer. Bref.

Une fois écoulées les trois années de « Lune de Miel » (titre de la Méditation VII), aucun mari ne doit s’étonner de voir apparaître les « premiers symptômes » (titre de la Méditation VIII) du mal qui guette le moment propice de contaminer l’épouse et qui risque prochainement de le « minotauriser » (selon le Robert historique, le terme a été créé par Balzac), c’est-à-dire de transformer son front lisse en trophée de chasse au cervidé pour tous les célibataires passant à proximité de sa femme.

C’est même écrit noir sur blanc : « Deux personnes se marient-elles, les sbires du Minotaure, jeunes et vieux, ont tous ordinairement la politesse de laisser entièrement les époux à eux-mêmes. Ils regardent un mari comme un ouvrier chargé de dégrossir, polir, tailler à facettes et monter le diamant qui passera de main en main, pour être un jour admiré à la ronde ». Il faudrait citer tout le paragraphe. Et dire que certains (suivez mon regard jusqu’à avant-hier) prétendent que « Balzac ne sait pas écrire » ! Elle peut toujours s’aligner, tiens !

On pourrait se scandaliser du regard que Balzac jette, d’une part sur les femmes (un simple objet, fût-il précieux, passant de main en main), d’autre part sur les hommes cocufiés (qui sont la risée de tous), et critiquer sa misogynie autant que le pessimisme de sa philosophie. Mais n’évoque-t-il pas quelque part le cas de ce jeune homme qui, à vingt ans, a « jugé le monde » et qui, en décidant d’en tirer le meilleur parti possible pour lui-même, a opté pour la voie décidément la plus raisonnable ? Comme il écrit (dans la Méditation XXVIII) : « Hélas ! mes frères, nous n’avons pas fait la nature ! ».

Partant de ce principe, le célibataire attend sagement « le moment où les époux commencent à se lasser du septième ciel ». Un signe qui ne trompe pas, à ses yeux, après le temps suffisant où le couple se sera retiré du monde pour jouir pleinement de sa félicité et se gaver du corps de l’autre et du plaisir qu'il en tire, c’est lorsque il émerge enfin de sa Thébaïde enchanteresse : « Du moment où vous reparaissez, ensemble ou séparément, au sein de la société, que l’on vous voir assidus l’un et l’autre aux bals, aux fêtes, à tous ces vains amusement créés pour fuir le vide du cœur, les célibataires devinent que votre femme y vient chercher des distractions ; donc, son ménage, son mari l’ennuient ».

S’ensuivent tous les signes montrant l’évolution de la situation : « Jamais vous ne l’aurez vue plus soigneuse à vous plaire. Elle cherchera à vous dédommager de la secrète lésion qu’elle médite de faire à votre bonheur conjugal, par de petites félicités qui vous font croire à la perpétuité de son amour ; de là vient le proverbe : Heureux comme un sot ». Si ceci n’est pas savoir écrire, alors je me fais moine trappiste. Sachez qu’il m’en coûterait, pour deux ou trois raisons qui ne regardent que moi, et que je n’ai donc pas à exposer ici.

Voilà ce que je dis, moi. 

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