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vendredi, 05 novembre 2021

JULES SYLVESTRE, PHOTOGRAPHE ET LYONNAIS

En farfouillant dans le riche "Fonds Sylvestre" de la Bibliothèque Municipale de Lyon, j'ai fini par me faire des réflexions, évidemment, sur la façon  des faire des photos, sur la manière de choisir un sujet, un angle, une lumière, une distance, etc. Mais j'ai aussi et surtout découvert une collection de photos difficilement surpassable pour qui veut se faire une idée des transformations que la ville a connues — et bien souvent subies à son corps défendant — au cours de la seconde moitié du XIX° siècle et de la première du XX°.

J'ai vite appris que faire le distinguo entre les photos dont Sylvestre était l'auteur et celles qu'il avait rachetées pour faire partie de son fonds n'est pas toujours facile. Car les fiches de la BML sont parfois surprenantes, qui présentent Sylvestre comme l'auteur de photos prises circa [= ca] 1860, alors qu'il est né en 1859. Le photographe au berceau, quoi !!!

CIRCA 1860 AUTEUR JS.jpg

Un exemple de notice de la BML, livré sans autre modification que la police de caractère. 

titre[L'Eglise Saint-Georges vue depuis la rive gauche de la Saône]
date de prise de vue[ca 1860]
lieu d'éditionLyon (Rhône)
période1848-1870
genre iconographiquevue d'architecture
sujets (lieux)
droitsCreative Commons - Paternité. Pas d'utilisation commerciale. Pas de modification.
localisationBibliothèque municipale de Lyon / P0546 SA 03-31
technique1 photographie positive : tirage noir et blanc, d'après calotype ; 19,5 x 25,5 cm
descriptionPrise de vue depuis le quai Fulchiron.
note à l'exemplaireCliché Sylvestre, tirage de Guy Borgé.
***

Soit il y a erreur sur l'attribution, soit (pourquoi pas ?) Sylvestre a pris, plus tard, un cliché du verre positif (c'est comme ça, à tort ou à raison, que je comprends "d'après calotype"). Il faut savoir que Jules Sylvestre, quand il a été solidement établi, a collectionné un grand nombre de photographies de ses contemporains et prédécesseurs, et que la BML ne fait pas toujours la distinction entre les clichés pris par Sylvestre en personne et ceux qu'il a achetés au cours de son existence. Le tout est fondu dans le « Fonds Sylvestre ». Bon, mieux vaut le prendre à la rigolade, le problème est modérément regrettable et il ne faut pas trop chinoiser. Je suis quand même heureux, par exemple, que les photos de Louis Froissart (j'en ai déniché une cinquantaine dignes d'intérêt) apparaissent sous le nom de celui-ci, quoiqu'appartenant au "Fonds Sylvestre".

Le photographe a installé son magasin, son laboratoire, peut-être son domicile et semble-t-il une salle de projection non loin de la préfecture, à l'angle de la rue de Bonnel et du quai Augagneur. L'édifice ne manque pas d'originalité, comme on peut le voir ici. La photo est de 1962, nous disent les Archives Municipales de Lyon. On peut voir dans le fond un bout du toit de la préfecture.

RUE BONNEL 1962 AUGAGNEUR SYLVESTRE.jpg

En 1962, venant du quai Lassagne, je passais dans le coin une fois par semaine pour faire un peu de sport rue de l'Epée après avoir fait une halte indispensable au 39 cours de la Liberté, et je dois avouer que je n'ai jamais fait attention au curieux décor ... qui n'allait pas tarder à disparaître. Car l'îlot défini par les rues Pravaz et Bonnel (N/S) et par le quai et le cours de la Liberté (E/O) devait laisser place à un jardin auquel on donna le nom du brillant et fameux Résistant Charles Delestraint, mort en déportation.

Au cours de mes déambulations photographiques dans le fonds Sylvestre, je n'ai quasiment pas trouvé de photo signée de sa main en direct sur le verre. Une exception remarquable : les funérailles de Sadi Carnot, assassiné à Lyon en 1894. Cela fait un peu photo officielle, car le cliché était sans doute destiné à une large diffusion, quand on observe la calligraphie soignée : « Les funérailles de Carnot — Sylvestre ».

1894 06 FUNERAILLES CARNOT JSYLV.jpg

C'est d'ailleurs l'occasion de redire tout le mal que je pense des tirages de Guy Borgé, qui dans tout son travail donne la priorité absolue à l'impression de fondu sur la précision du trait. Regardez plutôt.

1894 06 FUNERAILLES SADI CARNOT.jpg

Je pourrais souligner mon point de vue en comparant quelques détails après grossissement, mais je préfère conclure avec deux beaux tirages. Le premier, qui est de 1887, montre ce qui était alors l'Ecole de Médecine. Ce n'était plus la Médecine, mais les Lettres qu'on y enseignait quand j'ai commencé à fréquenter ce bel établissement quelque quatre-vingts ans plus tard (faites le calcul et tirez-en les conclusions que vous voulez). Je trouve géniale l'idée de placer l'appareil très bas pour saisir toute la largeur pavée du quai Claude Bernard, et j'apprécie en particulier le piqué précis de l'image.

1887 FAC DE LETTRES CLAUDE BERNARD FJSYLV.jpg

Le second représente ce qui deviendra plus tard la place Benoît-Crépu, après démolition de quelques bâtisses. Auparavant, l'endroit s'appelait Port-Sablé, ne me demandez pas pourquoi. L'image me paraît belle par l'équilibre des lumières et des ombres. Et puis je dois dire que les étais visibles et la façade couverte d'affiches ne sont pas pour rien dans l'affection que je porte à cette photographie présentée comme l'œuvre de Jules Sylvestre.

1901 PORT SABLé BENOÎT CREPU.jpg

dimanche, 17 octobre 2021

RENÉ LANAUD, PHOTOGRAPHE

1991 11 10 LIBRAIRIE DIOGENE M. AVON.jpg

Cette photo a été prise rue Saint-Jean le 10 novembre 1991. Quand je suis tombé dessus sur le site de la B.M.L., j'ai eu la surprise de reconnaître l'une des personnes présentes à l'image. Car on est au 29, rue Saint-Jean (maison Le Viste), là où un nommé Avon a fondé la librairie Diogène en 1974. C'est justement lui qu'on voit, dix-sept ans plus tard, installé dans son fauteuil dans son attitude favorite, devant le magasin à profiter du soleil de novembre. Je doute (je peux me tromper) que René Lanaud ait su exactement quelle figure de la librairie lyonnaise d'ancien il immortalisait ainsi : il faut avoir connu Avon.

1991 11 10  M. AVON.jpg 

Avon avait une conception tranquillement épicurienne de l'existence. En affaires, il était direct et redoutable : « Je suis ardéchois », avouait-il en guise d'explication. Sa barbe dense et proliférante devait être pour quelque chose dans l'"explication". Cela ne m'a pas empêché [j'ai eu cette chance], juste à l'ouverture de son échoppe (ce n'est que plus tard que c'est devenu une "entreprise"), de lui acheter pour une somme outrageusement modique les Œuvres Complètes d'Alfred Jarry.

C'était l'édition 1948 de René Massat (Fasquelle et Kaeser), et en tirage de tête s'il vous plaît (N°F22 sur "grand vélin filigrané Renage"). Une belle édition toujours méprisée par le cercle des Vestales du Collège de 'Pataphysique, qui veillent hargneusement sur les mânes du père du Père Ubu, et qui persistent à coller des guillemets à "complètes" au prétexte l'inventaire des œuvres et l'établissement des textes manquent de sérieux. Même si ces cerbères n'ont pas entièrement tort, et qu'il faut leur reconnaître une grande rigueur, leur susceptibilité au sujet de tout ce qui concerne Alfred Jarry montre tous les symptômes de la maladie sectaire. 

En 1974, M. Avon débutait à peine, il n'était sans doute pas au courant des prix du marché et il essayait de mettre un peu d'ordre dans la masse de livres qu'il avait achetés pour inaugurer son commerce. A sa décharge, il faut ajouter que quatre des huit volumes avaient subi une très vilaine reliure d'amateur, dotée de quatre "faux nerfs", viles boursouflures comme des cicatrices mal soignées, du plus mauvais effet. M. Moura, le relieur de la rue Sala à qui j'avais confié la tâche de réparer les dégâts, avait fait une mine apitoyée.

La maison s'est bien rattrapée ensuite : il m'est arrivé d'assister à une vente aux enchères où le successeur d'Avon, un barbu plus falot mais aux puissants moyens, devenu une sorte de terreur sur la place de Lyon, a gardé d'un bout à l'autre de la vente la main levée, au point de rafler l'intégralité des lots (ou presque : le commissaire priseur a dû lui en vouloir, car plus personne n'osait enchérir contre lui).

Rue Saint-Jean, en face de "Diogène", sévissait J.P.C., un moustachu caractériel qui vendait d'occasion, aux clients dont la tête lui revenait, des disques de jazz (c'était l'époque des vinyles), en particulier des exemplaires du service de presse, reconnaissables à l'encoche que l'éditeur y découpait dans un des angles supérieurs. Je n'ai jamais su sur quels indices il s'appuyait pour refuser mordicus de vous délivrer quelque petit trésor dissimulé sur les rayons du bas.

Aux dernières nouvelles, je me suis laissé dire que la librairie Diogène a des soucis avec le propriétaire des murs : il semblerait que le loyer exigé soit soumis à la même scandaleuse logique spéculative que celle qui, après avoir failli détruire le Café de la Cloche (rue de la Charité), a jeté dehors la pizzeria Carlino (rue de l'Arbre-Sec), au grand dam de Carlino lui-même, de ses amis et de la foule des amateurs qui fréquentaient le lieu. J'aime à penser que, si Avon était encore aux manettes, on aurait droit à un beau spectacle bien "musclé" entre le propriétaire et son locataire.

Je me dis qu'il est loin, à Lyon, le temps où un père de famille nombreuse au revenu somme toute modeste avait malgré tout les moyens de loger sa smala entière dans les 300m² d'un superbe appartement du quai Lassagne où il pouvait se donner des airs de grand bourgeois, sur le parquet "Versailles" et sous un plafond à 4,2 mètres, où le thermomètre en hiver avait du mal à dépasser le seuil des 14°C à hauteur d'homme.

Voilà ce que je dis, moi.