jeudi, 08 novembre 2012
VOUS AVEZ DIT LACAN ?
Pensée du jour :
"RUPESTRE" N°1
« L'indignation ne saurait en aucun cas être une attitude politique ».
TALLEYRAND
(à transmettre à STEPHANE HESSEL)
Résumé : j’ai beaucoup d’estime pour l’anthropologue, l’historien, le sociologue, bref, pour le spécialiste de « sciences humaines » quand, sans rien céder sur ce qu’il y a de « pointu » dans la doctrine, il parvient à créer une œuvre qui ait des qualités littéraires.
Je n’en ai guère pour ceux, tels DENIS GUEDJ ou JOSTEIN GAARDER, qui passent par le roman pour faire une sorte de propagande simplificatrice à la "petite semelle" (excusez-moi). Ils ne sont que des intermédiaires entre la discipline et le grand public, des « vulgarisateurs », qui peuvent bien sûr briller sur les plateaux de télévision. Ils vous disent : « Moi je sais. Je vais tout vous expliquer, voyez comme je suis bon ». Mais ils se révèlent à la fois des romanciers infirmes et de piètres professeurs. De plus, cette attitude a quelque chose de toute à fait déplaisant.
Le vrai savant qui consent à faire entrer son lecteur dans la Science par le biais de la littérature est donc un esprit supérieur. EINSTEIN disait : « Il faut s'efforcer de rendre les choses simples, mais pas plus simples ». Réciproquement, la Science contenue dans la littérature est infiniment supérieure à ces balbutiements de pédagogues empêtrés et de vulgarisateurs à succès, mais aussi supérieure aux plus arides traités austères de science pure.
S’il en est ainsi, c’est que la dite Science, dans les ouvrages que je privilégie, ceux dont je parle, n’apparaît que comme un élément parmi d’autres dans ce qu’on appelle communément LA VIE. C’est cette science-là que BALZAC a élaborée et transmise dans La Comédie humaine.
C’est pour ça que je tire mon chapeau à quelques psychanalystes. Tiens, je me rappelle une histoire de cas racontée par un monsieur MASUD KHAN (quelque suspecte que soit sa réputation par ailleurs) dans un numéro de la Nouvelle revue de psychanalyse (n° 24, « L’emprise »), repris dans Passion, solitude et folie (Gallimard, 1985), histoire intitulée La Main mauvaise.
Sans me rappeler le détail, je me souviens du drame épouvantable vécu par un artiste habité par un fantasme qu’il tâche de transformer en œuvre d’art (y a-t-il un vélo en bois ?), jusqu’au jour où le hasard d’une rencontre féminine le met face à des circonstances et un déroulement d’événements qui ressemblent trait pour trait (et de façon épouvantable) aux forces de son fantasme. J’ai oublié s’il devient fou à la fin, ou quoi.
Dans mon souvenir, ce récit ne présente guère (en dehors des références proprement psychanalytiques) de différence avec les ambiances qu’on trouve dans les nouvelles, par exemple, de MAURICE PONS (Douce-amère, Denoël, 1985). MAURICE PONS, parmi les romanciers, est sûrement ce qu’on peut appeler un « petit maître ». Mais parmi les petits maîtres, c’est un bon.
Pour moi il reste le bel auteur de quelques livres qui ont tracé leur sillage indélébile (il faut le faire, non ?) dans mon imaginaire, au premier rang desquels le lent, lugubre et remarquable Les Saisons. Il y a aussi Rosa et le complètement foutraque La Passion de Sébastien N. (bêtement rebaptisé Le Festin de Sébastien pour sa réédition au Dilettante, une histoire de droits, j'imagine).
Le héros finit par dévorer une automobile, des sièges à la carrosserie, avant de s’élancer à toute allure sur les routes, carburateur refait à neuf. Mais ça finit mal. Pris en chasse par deux motards : « … il alla s’écraser, la tête en avant, contre un pylône de béton édifié au milieu de la chaussée en prévision de l’éventuel projet du futur tronçon de l’autoroute Moyenvic-Vézelise ». Alors, « une bouillie d’organes et d’ossements se répandit sur la chaussée, mêlée à des fragments d’acier et des débris de tôle ». « A l’aube, les fossoyeurs et les ferrailleurs de Verveine, accourus en hâte, se disputaient ses restes ». Comme foutraque (et comme fantasme), on ne fait pas mieux.
Je reviens à DIDIER ANZIEU, dont je vantais les mérites hier, pour la lisibilité de L’Auto-analyse de Freud. Il se trouve qu’ELISABETH ROUDINESCO parle de lui dans sa biographie de JACQUES LACAN. Et pour cause : le premier coup d’éclat de celui-ci est la thèse qu’il soutient et publie en 1932 : De la Psychose paranoïaque dans ses rapports avec la personnalité (Seuil, 1975, rééd.).
Je me fiche éperdument de ce qu’y raconte le père du « lacanisme ». Ce qui m’a interpellé, c’est que ce livre traite du cas de MARGUERITE PANTAINE. Car c’est un « cas », au sens psychiatrique. Il se trouve que cette femme, à 38 ans, est allée attendre l’actrice HUGUETTE DUFLOS à son arrivée au théâtre Saint-Georges, qu’elle a sorti de son sac un couteau de cuisine et qu’elle a tenté de l’assassiner. Après quoi elle fut solidement hospitalisée pour paranoïa.
Dans le livre de LACAN, elle est devenue « Aimée », ou « le cas Aimée ». Le peu que je retiens du livre, c’est que LACAN refuse de faire résulter la folie d’ « Aimée » d’un désordre organique. Pour lui, la folie est une composante « comme les autres » de l’existence, une donnée possible de la vie humaine (je simplifie). Et, dit-il, si tout le monde est potentiellement fou, tout le monde n’a pas la liberté de le devenir. Je trouve l’idée passionnante.
D’autant plus passionnante qu’il se trouve que MARGUERITE PANTAINE est la mère de DIDIER ANZIEU. C’est ce que la biographie de LACAN m’a appris. DIDIER ANZIEU qui est devenu ensuite un des plus importants psychanalystes français. Ces circonstances ont quelque chose d’éminemment romanesque, ne trouvez-vous pas ?
D’autant que, d’après ROUDINESCO, LACAN s’est assez mal conduit avec « Aimée », et qu’il s’est servi d’elle plus qu’il n’a eu le souci de sa santé mentale. Il s’en est servi, plus qu’il ne l’a servie, comme d’un tremplin professionnel inespéré. Aux yeux d’ « Aimée » : « … il lui avait volé son histoire pour construire une thèse. Quand il devint célèbre, elle en fut dépitée et sentit resurgir en elle un fort sentiment de persécution. Jamais elle ne lui pardonna de ne pas lui avoir restitué ses manuscrits » (p.257).
Et, après la mort du maître, ROUDINESCO eut beau intervenir auprès du tout-puissant exécuteur testamentaire de LACAN, son gendre JACQUES-ALAIN MILLER, pour faire rendre à DIDIER ANZIEU, le fils de MARGUERITE, les cahiers rédigés par celle-ci pendant son enfermement à l’asile, le gendre ne daigna même pas répondre. Ce dédain constitue une signature morale. Avec quelque chose d'une odeur infamante. Une odeur de faux-cul. Et de cynisme racinaire.
VOUS AVEZ DIT JACQUES-ALAIN ?
Voilà ce que je dis, moi.
09:00 Publié dans LITTERATURE | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : photographie, vulgarisation, denis guedj, jostein gaarder, le théorème du perroquet, le monde de sophie, science, sciences humaines, littérature, balzac, la comédie humaine, psychanalyse, masud khan, passion solitude et folie, la main mauvaise, nouvelle revue de psychanalyse, nouvelles, maurice pons, douce-amère, les saisons, didier anzieu, jacques lacan, élisabeth roudinesco, l'auto-analyse de freud, sigmund freud, le cas aimée, paranoïa, psychose paranoïaque, jacques-alain miller, albert einstein
dimanche, 18 mars 2012
PÊLE-MÊLE D'UN CARNET DE LECTURE (10)
Signé Picpus, de GORGES SIMENON
Un bon petit Maigret. L’histoire d’un homme qui est mort, mais que tout le monde croit encore en vie : le médecin Le Cloaguer a jadis sauvé la vie de la fille d’un Argentin richissime, qui lui alloue, à lui en personne et tant qu’il est vivant, une rente annuelle de 200.000 francs. Il meurt bêtement. Sa veuve le fait emmurer dans une villa du midi et le remplace, pour continuer à toucher la rente, par un clochard qui lui ressemble, qu’elle tyrannise et terrorise. Mais un certain M. Blaise découvre le pot aux roses, et fait chanter la dame, avec l’aide d’un malfrat de la Côte, Justin. Maigret, comment fait-il, va tout deviner. Quel homme ! What a man ! C’est vite lu.
La Grande fugue, d’ANDRÉ FRÉDÉRIQUE
Ce roman est partiellement autobiographique : c’est le dernier de l’auteur, qui s’est suicidé en 1957, avant son achèvement. L’action, selon son propos liminaire, se conforme à l’exigence d’unité de temps : une journée. Sur la page de titre, après lecture (6 juillet 2008), j’avais écrit : « Que livre étrange, inclassable, désespéré ! ». Le héros se prépare à se marier. C’est l’occasion pour lui de revenir tant soit peu sur sa vie et de flinguer quelques personnages de son entourage dans des portraits tirés à bout portant. Le milieu est la bourgeoisie moyenne, avec tous les travers psychologiques et culturels. La dernière scène montre le héros habillé « en maître d’hôtel » et qui se sent anéanti de ridicule : « C’était fini, pour toute cette canaille il serait éternellement le type qui s’est marié en maître d’hôtel ».
Quelques nouvelles de STEFAN ZWEIG
Amok
Histoire d’un médecin expatrié en Malaisie, qui refuse de faire avorter une femme qui, après opération clandestine ratée, agonise et meurt. Lui est fasciné par le caractère indomptable de cette femme, irréductible. Il fait le serment que le secret sera gardé, obtient un faux certificat, retourne en Europe avec le cercueil et, dans le port de Naples, se jette sur le cercueil transbordé et disparaît avec lui dans l’eau.
La femme et le paysage
Atmosphère torride, extrême. Aventure fantasmatique entre le héros et une jeune fille. Il ne se passe rien, mais cela avec une intensité extraordinaire. On attend un orage, qui tarde à venir. La tension monte. Moment d’amour nocturne. La fille complètement hypnotisée. Puis au moment de l’irréparable, le charme se brise, et elle s’endort paisible.
Lettre d’une inconnue
Une femme qui va mourir écrit à un Don Juan qu’elle a éperdument et fidèlement aimé. Parmi toutes ses conquêtes, il a beaucoup de mal à se souvenir de cette petite jeune fille qu’il a allègrement, et à plusieurs reprises, au gré de la volonté de celle-ci, prise et délaissée. Seule la rose blanche qu’elle lui envoie chaque année témoigne de la réalité de la chose.
La ruelle au clair de lune
Un mari délaissé poursuit sa femme qui s’est dévergondée. Elle le méprise. La fin est ambiguë : s’agit-il d’une pièce d’or ou d’une lame de couteau ?
Vingt-quatre heures de la vie d’une femme
Une femme âgée raconte comment elle s’est laissé aller à une passion. A retenir, au tout premier plan des chefs d’œuvre littéraires : la scène des mains au casino, proprement géniale.
La Reine Margot, d’ALEXANDRE DUMAS
Il vaut mieux ne pas commenter ALEXANDRE DUMAS, mais bon, que voulez-vous, il faut ce qu’il faut, plus qu’hier et bien moins que demain. Remarquable roman « populaire », avec le portrait magistral d’un personnage puissant : Catherine de Médicis, tissant ses complots, ordonnant ses empoisonnements. Malgré le titre, c'est la reine mère qui plane sur l'ensemble du roman.
Conduite du récit intéressante, qui laisse une bonne place à l’implicite (peut-être par commodité romancière). Personnage assez bien défini aussi du futur Henri IV, dont Dumas arrive assez bien à rendre un aspect plausible de calculateur. Tout le roman baigne dans une atmosphère entre l’éclat extérieur, et ce qui se dit, se trame et se passe dans les couloirs, derrière les portes et les murs. Et cette reine, vingt dieux de vingt dieux, qui a un double de toutes les clés du château !
Voilà ce que je dis, moi.
09:35 Publié dans LITTERATURE | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : georges simenon, signé picpus, littérature, commissaire maigret, andré frédérique, la grande fugue, stefan zweig, amok, la femme et le paysage, lettre d'une inconnue, la ruelle au clair de lune, romans, nouvelles, vingt-quatre heures de la vie d'une femme, la reine margot, alexandre dumas, catherine de médicis