vendredi, 10 février 2017
L’IDÉAL OLYMPIQUE
La vignette qui suit est tirée de L'Onde Septimus (2013), sorte d'hommage de l'éphémère trio Jean Dufaux, Antoine Audin, Etienne Schréder à Edgar Pierre (E.P.) Jacobs, père du tandem BD formé par le capitaine Francis Blake, l'impeccable soldat des services de renseignement, et le professeur Philip Mortimer, le savant émérite connu dans le monde entier, tandem dessiné de la dichotomie philosophique classique, qui oppose "l'Action" et "la Pensée", bien qu'il arrive à Blake de penser et à Mortimer d'agir (je blague).
Celui des trois auteurs qui a écrit les dialogues a, dans cette vignette, eu un éclair de génie, en mettant dans la bouche d'un des méchants de l'histoire une formule très proche d'une autre bien connue (à une variante près) : "citius, altius, fortius", la devise offerte par le père Henri Louis Rémy Didon (1840-1900), le Dominicain qui l'a inventée, à Pierre de Coubertin, fondateur de l'olympisme moderne.
"Plus loin, plus haut, plus fort", dit le méchant, membre d'un quatuor de fascistes qui n'ont qu'une obsession : réhabiliter la mémoire du professeur Septimus (l'alias du docteur John Wade), le génial et diabolique inventeur de l'oméga wave, apparu et disparu dans l'album La Marque jaune (« Nous nous repentons, oui, nous nous repentons. »). "Plus vite, plus haut, plus fort", disait le père Didon.
Il faut être culotté pour mettre un quasi-clone de la devise olympique dans la bouche d'un fasciste. Et pourtant, à bien y regarder, c'est assez astucieux. Car cette devise est en soi un éloge de la performance. Or le monde économique n'attend rien d'autre des individus, des entreprises et des Etats que le même dépassement de soi attendu des sportifs dans les stades où ils s'efforcent indéfiniment d'accroître la productivité de leurs muscles. L'esprit olympique est la traduction dans le sport de l'esprit de l'ultralibéralisme, qui a fait de la performance et de la compétition le modèle absolu (et exclusif) du fonctionnement des sociétés.
Quand on réfléchit à la place néo-divine du sportif dans l'imaginaire contemporain, au fait que Leni Riefenstahl, la cinéaste d'Adolf Hitler, avait intitulé son film Les dieux du stade (le titre allemand était Olympia), et au rôle que les nazis avaient assigné au stade , on se dit que dans la formule "plus vite, plus haut, plus fort" il est permis d'apercevoir en filigrane un souvenir vaguement fasciste. Certains proposeraient même d'y voir davantage qu'un souvenir.
Note : la pertinence du propos tenu dans la vignette ne sauve malheureusement pas l'album du trio Dufaux-Audin-Schréder, dont le scénario dépasse les bornes de l'abracadabrantesque (un vaisseau spatial façon L’Énigme de l'Atlantide dans les tréfonds du sous-sol londonien, une armée de professeurs Septimus envahissant les rues de Londres, ...).
09:00 Publié dans BANDE DESSINEE | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : bande dessinée, e p jacobs, blake et mortimer, baron pierre de coubertin, jeux olympiques, esprit olympique, devise olympique, idéal olympique, citius altius fortius, plus vite plus haut plus fort, professeur septimus, la marque jaune, colonel olrik, père didon, leni riefenstahl, les dieux du stade, l'énigme de l'atlantide
Les commentaires sont fermés.