mardi, 16 août 2011
MERCI TONTON GEORGES (2)
Je ne vais pas me mettre à énumérer les chansons de GEORGES BRASSENS. Ce n’est pas que ça me déplairait, mais ça vous fatiguerait assez vite. Tiens, dans quelle chanson trouve-t-on : « Ainsi que deux bossus tous deux nous rigolâmes » ? Dites un peu pour voir. Cette formule (qu’on trouve dans « La fessée ») me fait rire. En gros, « les-chansons-de-brassens », je me suis vautré, que dis-je, immergé dedans longuement.
Chose curieuse, il a fallu mon premier séjour en Allemagne, dans la belle maison (« Probstei ») de Möckmühl de la comtesse VON MOLTKE, pour que je découvre « Grand-père », chanson dans laquelle il s’agit d’enterrer le pépé, mais « chez l’épicier, pas d’argent pas d’épices ; chez la belle Suzon, pas d’argent, pas de cuisse ». Donc là, ils n’ont pas le premier sou pour le cercueil, puis pour la messe, puis pour le corbillard.
Mais heureusement, grand-père se venge : « Or j’avais hérité de grand-père une paire de bottes pointues », grâce auxquelles il botte le train des salauds : « C’est depuis ce temps-là que le bon apôtre (…) a une fesse qui dit merde à l’autre ». Réjouissant. « Mon prince on a les dames du temps jadis qu’on peut. » Je dirai, par rapport à ce qu’on fait aujourd’hui : on a les rappeur qu’on peut. Il va de soi que CLARA (CLÄRLÄ pour les intimes) ne comprenait pas le moindre traître mot. Mais elle savait beaucoup d’autres choses.
Un fils de la maison, pour dire que le français n’avait de mystère pour personne dans la famille, avait dans sa chambre la collection à peu près complète du « Livre de poche », en plus de me flanquer de vraies raclées aux échecs.
Il y a tellement peu à jeter dans le grenier de GEORGES BRASSENS que je m’en veux un peu de déplorer une petite anicroche, oh, presque rien, un fétu, une misère. C’est dans la troisième strophe de « Quatre-vingt-quinze pour cent », vous savez, cette chanson qui proclame que dans 95 % des cas, « la femme s’emmerde en baisant ». Qu’est-ce qui lui prend de faire la liaison ? Mystère. Si la femme, dans ses ébats amoureux, crie « pour simuler qu’elle monte aux nues », dit-il, « c’est à seule fin que son partenaire se croie un amant extraordinaire ». On lit bien « croie », c’est bien le subjonctif présent : la liaison est donc une faute. Peut-être est-elle volontaire ?
GEORGES BRASSENS s’est, entre autres, immergé dans la poésie française. Il en a mis en musique une flopée, en commençant par des poèmes de PAUL FORT, qui ne sont pas trop ma tasse de thé. Mais il a fait quelques absolus chefs d’œuvre, où la musique est tellement bien adaptée aux contours du texte qu’on peut dire qu’elle les épouse. Le problème, ensuite, c'est que le poème n'existe plus pour lui-même : la musique s'est emparée de lui, et ne le lâchera plus. Tiens, ça n'a rien à voir, mais essayez d'écouter le début de la 5ème symphonie de BEETHOVEN sans entendre « La pince à linge » par Les Quatre Barbus !
Le premier est un poème d’ANTOINE POL : « Les passantes ». Je me rappelle ce séminaire de sémiotique, animé par le prétentieux BERNARD PARRET, qui se piquait de connaître l’opéra, et dont le discours s’était révélé d’une insondable vacuité, au grand dam de mon ami YVES J., musicien de profession. L’autre animateur, BRUNO GELAS, soutenait que dans l’opéra, le texte n’est pas fait pour être compris. Texto !
Il y avait là, aussi et surtout, une jeune femme qui avait aimanté le regard de tout ce qui était masculin dans la salle. Le plus drôle, c’est que nous avions été plusieurs, après coup, à lui parler de cette chanson, dont PATRICE E. Je ne sais pas quelle pouvait être l’impression de cette femme, d’avoir été l’objet de cet hommage fasciné. « Alors, aux soirs de lassitude, Tout en peuplant sa solitude Des fantômes du souvenir, On pleure les lèvres absentes De toutes les belles passantes Que l’on n’a pas su retenir. » ANTOINE POL n’entendit jamais la chanson, parce que BRASSENS était tellement maniaque qu’il ne voulait la livrer que poussée à la perfection.
LAMARTINE est l’auteur, lui, du magnifique « Pensées des morts ». ROGER BELLET, mon professeur, ne voyait dans toute sa poésie qu'une sorte de « jus sirupeux » (authentique). « C’est la saison où tout tombe Aux coups redoublés des vents ; Un vent qui vient de la tombe Moissonne aussi les vivants : Ils tombent alors par mille, Comme la plume inutile Que l’aigle abandonne aux airs, Lorsque des plumes nouvelles Viennent réchauffer ses ailes A l’approche des hivers. » Est-ce que ce n’est pas très beau ?
Et puis j’ai découvert, somme toute très récemment, une chanson que je ne connaissais pas, parce qu’elle ne figurait pas dans les vinyles 33 tours : « A mon frère revenant d’Italie ». Pour le texte, c’est ALFRED DE MUSSET. Un petit miracle de nostalgie ironique (ou d’ironie nostalgique). Un petit miracle aussi de mariage avec la musique : une introduction à la pointe de la guitare par JOEL FAVREAU, l’inébranlable contrebasse de PIERRE NICOLAS, et c’est parti.
« Ainsi mon cher, tu t’en reviens D’un pays dont je me souviens Comme d’un rêve, De ces beaux lieux où l’oranger Naquit pour nous dédommager Du péché d’Eve. » Et puis : « Ischia ! c’est là qu’on a des yeux, C’est là qu’un corsage amoureux Serre la hanche. Sur un bas rouge bien tiré Brille, sous le jupon doré, La mule blanche. » Je regrette beaucoup que ce ne soit pas la dernière chanson du disque, car « Le roi boiteux » casse l’ambiance.
Pour résumer, les chansons de GEORGES BRASSENS sont tellement gravées dans mon disque dur qu'elles ressortent parfois spontanément, comme par exemple au réveil, où je me récite "Le grand chêne" ou "Le vingt-deux septembre". Voilà.
09:00 | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : georges brassens, chansons, musique, poésie, littérature, paul fort, antoine pol, lamartine, alfred de musset, joel favreau, pierre nicolas