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dimanche, 26 février 2012

PÊLE-MÊLE D'UN CARNET DE LECTURE (6)

JEUX POUR ACTEURS ET NON ACTEURS, Augusto Boal.

 

Je ne suis pas homme de théâtre, ça commence à se savoir, je me fais une raison. Mais enfin, il m’est arrivé de mettre le nez dans la question. Je retiens de ce bouquin deux anecdotes. Ou : « Comment se mettre dans la peau du personnage ? ». L’auteur est un metteur en scène brésilien.

 

 

Une jeune actrice n’y arrive pas, mais alors pas du tout. Elle est censée avoir passé une nuit à jouir sexuellement avec son amant, elle est dans le plaisir absolu et absolument assouvi. Le metteur en scène lui demande ce qui ne va pas. Elle est embarrassée, puis finit par avouer qu’elle est encore vierge. L’auteur lui suggère alors de se souvenir de quelque chose qui lui a donné un immense bonheur. Elle joue la scène à la perfection. L’auteur lui demande comment elle y est arrivée : « Je me suis souvenue du moment où, sur la plage d’Itapuan, j’ai mangé trois glaces à la suite, sous un cocotier ».

 

 

Un acteur  fait pleurer tout le monde en jouant un personnage qui est sur le point de se tirer une balle dans la tête. Il explique qu’il se souvient de son enfance, vécue dans une banlieue excessivement pauvre. Chaque fois qu’il prenait une douche, celle-ci était tellement froide, voire glacée, qu’il fixait avec une horrible angoisse la pomme de douche.

 

 

KAPUTT, Curzio Malaparte.

 

Un livre sur la guerre. L’auteur est correspondant pour un journal italien, quelque part entre Pologne et Finlande. Il côtoie les Allemands de près.  Un ton de tristesse noble, de compassion pour l’humanité. L’auteur montre, par sa façon de décrire les Allemands, pourquoi ils ne pouvaient que perdre la guerre.

 

 

Histoire du Général qui pêche le saumon dans une rivière, mais tombe sur un poisson qui ne se laisse pas faire, et qui dicte même sa loi. Sur les deux rives, son escorte militaire. Lui, au milieu de la rivière, est irrésistiblement entraîné par la force de l’animal. Et le combat dure, dure. Au bout du compte, il ordonne à son aide de camp d’abattre le saumon à coups de pistolet : « Hermann, erschiess ihn ! ». Belle image de l’Allemand en guerre, bientôt défait.

 

 

De même, la scène du banquet auquel participent des dignitaires nazis (dont HIMMLER, je crois bien) qui finissent, complètement ivres, par sombrer dans le ridicule en se conduisant ni plus ni moins que comme des porcs.

 

 

LA PEAU, Curzio Malaparte.

 

Souvent baroque et excessif, mais le sens certain de la création littéraire (la littérature est plus forte que la réalité). Est littérature ce que je dis et fais être littérature. Par rapport à Kaputt, le livre est plus centré sur quelques scènes magistrales, particulièrement travaillées.

 

A Naples, la grande dame qui, dans son palais, se déshabille pour parer de ses vêtements une jeune fille morte. La scène de la « sirène » dans un aquarium, lors d’un repas plus ou moins protocolaire, avec une Américaine puritaine étriquée.

 

 

Et puis la scène de la peau du Juif, qui donnes son titre au livre : sur une route d’Ukraine, où des juifs en pagaille ont été mis en crois, un juif a été écrasé par un char. Les habitants du village viennent, la nuit, décoller la peau de l’homme, et retournent au village en la portant, toute sèche, au bout d’une fourche, comme un drapeau (drap-peau).

 

 

Sur le champ de bataille de Monte Cassino, repas des officiers : cet homme qui montre, dans son assiette, les os d’une main qu’il vient de manger. Ce sont des os de poulet. Mais, en les disposant de manière très particulière, il fait croire aux autres que c’est la main d’un zouave qui vient d’être arrachée par un éclat d’obus, et que la déflagration a projetée dans la marmite ou mijotait le repas, et qu’il a consciencieusement dépiautée et dégustée.

 

 

LA CHANSON DES GUEUX, Naguib Mahfouz.

 

Une narration « à l’arabe », peu soucieuse de cartésianisme. Une recherche de symbole assez simple : 10 chapitres, 10 générations d’une lignée familiale. Un fondateur, bâtard sublime, qui disparaît mystérieusement, inaugurant la légende. L’hésitation entre le bien (vertu, pauvreté, droiture) et le mal (pouvoir, argent, concupiscence). Lutte où le mal triomphe souvent. Versatilité de l’opinion, vénalité des uns, cruauté des autres. La vie livrée au vent et aux humeurs. La main de la fatalité. Le cycle de la vie et de la mort. L’auteur réussit à faire d’un petit quartier d’une ville le centre d’un microcosme entier de la société humaine. Livre qui surprend, déroute et surprend nos habitudes de lecture.

 

 

LA MORT ME VIENT DE CES YEUX-LÁ, Rexhep Qossia (Redjep Tchossia). 1974

 

Livre déroutant et fort, structuré en 13 « contes » (chapitres). L’auteur a cherché à placer son récit à la lisière de l’individu et de la collectivité. Le Kossovo apparaît en tant qu’entité, et entité niée. La narration met en scène des individus, mais jamais ils ne sont qu’individus, et portent toujours avec eux l’idée de nation.

 

 

LES TAMBOURS DE LA PLUIE, Ismaïl Kadaré.

 

Admirable, l’art avec lequel Kadaré, en parlant du 15ème siècle, et de la tentative de conquête de l’Albanie par les Ottomans, évoque de façon nette le 20ème siècle. Peut-être les communistes. Il évoque en effet la lutte de l’Ouest contre l’Est : Skanderberg détruit les caravanes d’approvisionnement de Venise ; en face, le but est de pervertir l’identité nationale. Cette armée turque qui se fait littéralement « manger » par la ville ! Jeu entre l’intérieur et l’extérieur (défense et attaque). 

 

 

Je ne comprends pas que l'on n'aime pas la littérature.

 

 

Voilà ce que je dis, moi.