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jeudi, 07 juillet 2022

ON DIRA PAS QU'ON SAVAIT PAS ...

... ON CONTINUERA À FAIRE COMME SI ON SAVAIT RIEN.

Autour de la série de cinq articles publiés par le journal Le Monde du 31 mai au 4 juin 2022.

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Voilà, le journal Le Monde donne l'impression que le grand mot est lâché : SOBRIÉTÉ (relayé dans l'éditorial annoncé par le mot "frugalité"). Il faudra encore bien des efforts et bien du courage à tous les politiciens et à tous les journalistes pour annoncer clairement, explicitement aux vastes populations ordinaires qu'au fil du temps, il y aura de plus en plus de choses dont elles devront purement et simplement SE PASSER.

Et ça, ça risque de leur rester en travers. Elles risquent de très mal le prendre. Vous vous rendez compte ? Quand les politiciens, pour se faire élire ou réélire, feront la promesse aux électeurs que demain, ils vivront moins bien, moins confortablement, moins agréablement, mais en revanche avec de plus en plus de tâches rebutantes ? Vers quels triomphes électoraux n'iront-ils pas quand ils se verront, par obligation de sincérité, en train de débeurrer la tartine ! De dédorer la pilule ! D'ouvrir l'horizon vers des lendemains qui déchantent ! Et comme ils les écouteront avec intérêt, les électeurs !

I

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Nous ne savons pas nous contenter de peu.

Eh oui ! Il est bien là, le problème : notre MODE DE VIE. Rappelez-vous ce que déclarait George W. Bush au lendemain des attentats du 11 septembre 2001 : « Ce n'est pas une poignée de terroristes qui fera que nous, Américains, accepterons de changer notre mode de vie ! ». Difficile de nous convaincre que nous vivons comme des nababs, hein. Pour nous, notre mode de vie, c'est la VIE NORMALE. Et pourtant, c'est la vérité : chaque fois que nous consommons (et peu importe quoi, "consommer" veut dire "faire disparaître"), nous croquons dans la planète, comme si nous en étions "maîtres et possesseurs". Comme si la nature faisait partie des "objets inanimés" sans âme.

Chaque fois que nous achetons un bien, utile ou non, durable ou non, nous nourrissons la bête insatiable qui n'est aucun de nous en particulier, mais qui est la somme de nous tous les humains, de ce que nous sommes, de ce que nous désirons, de ce que nous faisons. Nous ? C'est chacun de nous, c'est l'ensemble des machines que nous utilisons au quotidien dans nos maisons et au dehors, c'est les commerces où nous nous fournissons, mais c'est aussi les grosses entreprises qui extraient, transforment, transportent, produisent les matières et objets qui composent nos décors, nos paysages, nos conditions de vie. 

En résumé, nous, c'est le système entier dans lequel, bon gré mal gré, nous nous mouvons. Et dont chacun de nous est, qu'il le veuille ou non, complice. Et plus nous luttons, par souci démocratique, contre les inégalités planétaires de richesse, plus nous désirons, sincèrement ou hypocritement, hisser le niveau et la qualité de vie dans les pays pauvres pour qu'ils ressemblent un peu aux nôtres, plus vite et plus fort promettent de s'agiter les mandibules voraces de la bête insatiable qu'est l'humanité installée dans le ventre de la planète.

II

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Nous ne savons pas rester en place.

Ah ! La liberté d'aller et venir en tout sens, au gré de nos fantaisies ou de nos nécessités ! Ah ! La possibilité, en sortant de chez soi, de faire le tour du pâté de maison pour promener Rien (c'est le nom de mon Toutou, hé hé !), de se rendre chaque matin en ville pour bosser ou faire les soldes, de prendre l'autoroute pour aller voir tantine à Labastide d'Armagnac, voire l'avion pour filer en vacances à Bichkek, à Lilongwe, à Tromsø, à Brisbane, quand ce n'est pas Antofagasta. Comment s'appelle-t-il, ce smart-poète qui a publié un jour un recueil où chaque poème chic portait le cachet d'un hôtel chic, comme autant de lettres chics envoyées des quatre coins du monde chic ?

Quel est ce gouvernement péruvien qui envisage sérieusement de transformer le site entier du Machu Picchu en complexe touristique, avec un magnifique aéroport international où débarqueront les hordes, les meutes et les troupeaux de consommateurs de sites remarquables, qui n'auront rien de plus pressé que de faire des millions de selfies avec en arrière-plan une forêt d'autres Smartphones dressés, avant de s'engouffrer vite fait dans l'avion du retour parce qu'il n'ont qu'une semaine de vacances ? Quelle mouche vient de piquer la Chine pour qu'elle passe commande, si je suis bien informé, de plus de deux cents Airbus A320 ? Où en est la lutte au couteau entre Airbus et Boeing pour fabriquer et vendre par milliers des appareils chargés de remplir les carnets de commandes, de diminuer le taux de chômage et d'empuantir la haute atmosphère ? 

III

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Nous ne savons pas manger.

Que dire de l'alimentation des humains ? Que nous mangeons trop ou pas assez ? Que nous mangeons trop mal ou trop bien ? Que nous avons des façons pathologiques de grossir ou de maigrir ? Que trop de nourriture est jetée dans les pays riches et qu'on crève la dalle dans les pays pauvres ? Que la bouffe que nous vend l'industrie agro-alimentaire est bourrée d'ingrédients chimiques de la plus haute importance pour elle, pour ses actionnaires et pour le développement des maladies chroniques ? Que la même industrie agro-alimentaire saccage les sols où elle est implantée jusqu'à les rendre impropres à la production de quoi que ce soit ? C'est-il pas l'OMS qui déplore qu'il y ait davantage de morts du fait d'obésité que de malnutrition ?

 

IV

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Nous ne savons pas contrer les pulsions de notre striatum.

C'est dans le livre de Jean-Marc Jancovici et Christophe Blain que j'ai appris l'existence de cette ressource bien cachée de notre cerveau : le striatum, mis en évidence par Sébastien Bohler, polytechnicien, essayiste, docteur en biologie moléculaire, journaliste, spécialiste en neuroscience et auteur, entres autres, de Bug humain et Où est le sens ? Alors que le cortex « produit de la création, de l'abstraction, de la planification », le striatum, lui, « ne produit pas d'intelligence, mais du désir brut, de la motivation ». C'est ce dernier qui nous procure le plaisir quand nous obéissons à ses injonctions, grâce à la dopamine du circuit de la récompense (comme disent les neuro-machins).

Ce que je retiens de tout ça, à la page 188 du bouquin, c'est que
« le striatum nous pousse à toujours vouloir plus ».


C'est exactement la logique des Jeux Olympiques — "citius, altius, fortius" — que le monde a en vénération. Mais on peut dire que toute compétition sportive, et même toute compétition tout court (économique, scolaire ou autre), est bâtie sur le même modèle. Et vous pouvez remplacer "compétition" indifféremment par "concurrence", "challenge", "rivalité", "concours", "défi", "joute", "conflit", etc. Vous constatez que la logique de l'affrontement, que celui-ci soit pacifique ou guerrier, imprègne à tel point notre vocabulaire, notre esprit et notre imaginaire qu'on serait tenté d'en faire le moteur de la ... "Nature Humaine". 

Je retiens par conséquent que ce n'est pas demain la veille du jour où l'humain sera en mesure d'envisager la décroissance pour lui-même. Tout juste tolère-t-il l'absence de croissance chez les autres, tous les autres, à commencer par ceux qui sont depuis toujours habitués à ne rien avoir. Comme s'il était pré-programmé pour se soumettre corps et âme au commandement que le journaliste François de Closets faisait déjà semblant de dénoncer dans Toujours plus (Grasset, 1982). En face de ce soi-disant "brûlot", combien de lecteurs pour Vers la Sobriété heureuse (Pierre Rabhi, Actes Sud, 2010, voir le titre de la présente série du Monde) ? Rien qu'à voir la folle addiction généralisée de l'humanité au smartphone, à la 4G, au paiement soi-disant "sans contact", à la numérisation progressive et joyeuse de l'existence, on a le droit de ne pas trop espérer.

Dans la masse des humains, combien d'aspirants ermites ? Combien d'ascètes volontaires ? Combien de candidats stylites ? Combien de prétendants anachorètes ? Combien d'impétrants cénobites ? Combien parmi nous sont prêts à se tourner volontairement vers le renoncement à tout le superflu que nous offre le monde actuel ? Prêts à supporter la privation, la frustration, le manque de tous nos brimborions, bibelots et babioles ? Prêts à se contenter du strict nécessaire ? Prêts à remplacer par du travail tous les outils techniques qui nous facilitent l'existence ? Ne répondons pas tous à la fois. 

V

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Nous ne savons pas bâtir nos maisons.

On sait : le béton, ça peut être joli, mais en fait c'est pas bien, pas bien du tout. D'abord l'empreinte carbone, je te dis pas. Et puis toutes les "sky-lines" du monde barrées par des murailles de tours géantes, sky-scrapers et autres World Trade Centers, vous vous rendez compte de tout le sable qu'il a fallu extraire de tous les rivages pour faciliter le grignotage des côtes par les eaux salées et pour rendre toujours plus difficile la vie des gens qui vivent là ? Qu'est-ce qu'on attend pour construire "à l'ancienne", avec du bois, de la paille, de la terre et, tiens, pourquoi pas ? de la bouse de vache, puisqu'on ne saura bientôt plus quoi faire des troupeaux pléthoriques de bovins, quand les "vegans" auront pris le pouvoir et imposé leur loi par la force ? Qu'est-ce qu'on attend ? Eh bien qu'est-ce que vous attendez pour poser la question à l'industrie du BTP ? 

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