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dimanche, 08 juin 2014

MANUEL DE POLITICULTURE 1/2

J’ai déjà dit combien grande est ma détestation de cette créature étrange, de cette faune endémique (c'est comme ça qu'on dit) de la France, qui vit et se reproduit en exclusivité sur notre territoire, j’ai nommé le « politicien-français ».

 

La caractéristique la plus remarquable de l’espèce est sans nul doute sa grande homogénéité, résultat d’un long travail de sélection opéré sur un seul type individuel : le « premier-de-la-classe ». C'est ce qu'on appelle une race pure. Certains en rêvèrent, la France montre que c'est possible. Avec, comme c'était prévisible, la dégénérescence qui va avec le clonage et la consanguinité. Si Hitler avait été vainqueur, qu'est-ce qu'elle serait belle, aujourd'hui, la race aryenne ! On s'en rend compte en observant le « politicien français », frais émoulu du vingt-et-unième siècle.

 

Si on observe la croissance de l’espèce depuis les bancs du lycée jusqu’aux plus hautes responsabilités, on constate que cette homogénéité des parcours individuels, malgré les variables inévitables et les rares exceptions notables, est due à une particularité qui a fini par étonner les espèces comparables des autres pays.

 

Cette particularité peut se résumer à ce que les producteurs de tomates hollandais ("hollandais", tiens donc ! Suivez mon regard !) pratiquent sous le nom de « culture hors-sol », pour mettre sur nos tables, au plus fort de l’hiver, des fruits qu’ils ont pris soin de dépourvoir de toute saveur originale. On verra que les méthodes appliquées par tous les « politoculteurs » (ce sont les fermes hors-sol chargées de la production en série du « politicien-français ») de France aboutissent peu ou prou au même résultat insipide.

 

En effet, du lycée jusqu’à l’exercice du pouvoir, le « politicien-français » évolue en milieu stérile, soigneusement protégé de toute impureté, de toute atteinte microbienne ou virale susceptible d’émaner de ce que, pour la commodité, on appellera la « réalité-ordinaire ». Le « politicien-français » est à cet égard une extension de ce qu’on trouve en laboratoire sous le nom de « bébé-éprouvette ». Dans les maternités, ce sont des « couveuses ». Les circonstances diffèrent, mais le principe demeure : éviter toute contamination par la « réalité-ordinaire ».

 

Et toute l’espèce en est si bien protégée que, dans le cas exceptionnel et rarissime où quelque responsabilité gouvernementale est confiée à un individu d’une autre espèce, tous les commentateurs, journalistes et « politologues » (quel métier ridicule, quand on y songe ! C'est qu'il faut bien donner de l'emploi à des ratés de quelque chose !) tombent d’accord autour de l’expression « issu de la société civile » pour désigner l’exception.

 

En général, d’ailleurs, le dit individu ne tient pas très longtemps à son poste, pour une raison évidente d’incompatibilité génétique. En bonne physiologie, l’intrus concentre sur lui les attaques des anticorps, soucieux de préserver l’immunité de l’organisme.

 

Il en résulte une conséquence curieuse : la France est gouvernée (et de plus en plus) par une classe de gens qui prennent grand soin de rester toute leur vie puceaux de la réalité commune.

 

Trop triviale, sans doute, la réalité commune. Un cordon sanitaire (une ligne de fortification appelée, suivant les cas, « l'équipe des conseillers » ou « les réseaux» (qu'il s'agit de « réactiver» quand le besoin s'en fait sentir) est mis en place, comme une ceinture de chasteté, pour que nul ne porte atteinte à cette virginité. Dans ce bocal, nul n’ose imaginer quelque croisement que ce soit avec une autre espèce. Parler d’hybridation serait obscène.

 

La réalité commune, ils l’observent du fond de la salle obscure où les estafettes dévouées qu’ils ont envoyées « sur le terrain » reviennent pour projeter les films qu’ils y ont tournés sur ordre. C'est ainsi qu'ils découvrent la « vraie vie » des « vrais gens » (comme ils disent pour faire croire que …).

 

S'étant aventurés de la sorte en terre exotique, imprégnés du « spectacle » (salut Debord !) que les dites estafettes ont élaboré à leur intention, ils peuvent dès lors prendre les décisions les plus sages, mûrement réfléchies, pertinentes et adéquates. Après quelques années de salle obscure, involontairement comiques, ils appelleront ça « l’expérience acquise ». Comprenez : expérience en milieu confiné (comme pour les OGM). Et ils sont toujours prêts à dénoncer l'addiction des ados aux jeux vidéo, qui finissent par confondre le réel et le virtuel.

 

Les superbes vases clos (des vases de prestige), où l’on cultive les fruits, légumes et tubercules réunis au sein de l’espèce « politicien-français », prennent soin de préserver la pureté de l’atmosphère dans laquelle ceux-ci doivent baigner : la qualité et la beauté du produit, quand il arrive sur l’étal du marché, en dépend étroitement. Personne ne doute, en cas de non-respect du cahier des charges (que tous les producteurs de la branche ont signé pour valoriser l’ensemble de la filière), que le client qui fait son marché ferait la fine bouche et tordrait le nez devant tout ce qui manquerait de la brillance, de la rotondité, de la rubescence attendues.

 

Ces vases clos prestigieux portent les noms des différentes variétés d’origine : Henri IV (dit sobrement « H4 »), Louis-le-Grand, Janson (de-Sailly étant facultatif, quand on est initié). Les étapes suivantes sont appelées, tout aussi poétiquement, Sciences-Po, ENA, éventuellement HEC. Ajoutez, pour le plaisir, une pincée de « X-Mines-Ponts », un zeste de « Anciens de Normale », étant entendu qu’il n’est de bonne « Normale » que de rue d’Ulm.

 

Avec, pour le contraste, quelques mauvaises herbes basanées (Rachida Dati, Rama Yade, Vallaud-Belkacem) ou sulfureuses (Bernard Tapie, Ziad Takieddine) sur les bas-côtés pour montrer qu'on n'est pas chien, quand même. Et puis ça peut servir, car c'est vite arraché, en cas de problème, la mauvaise herbe. Les vrais problèmes surgissent quand les mauvaises herbes ont poussé vraiment trop près du « bon grain », et qu'il devient difficile de les en séparer (voyez Tapie).

 

Le « concours-de-sortie » ne joue qu’un rôle d’aiguillage vers la destination finale, réservant l’Inspection des Finances aux premiers de cette collection de « premiers-de-la-classe », qu’on appellera donc « premiers-premiers », ou « premiers-au-carré ». Le « concours-de-sortie » ne fait que précéder et annoncer l’entrée en fonction des tubercules ainsi sélectionnés pour figurer sur les étals proposant du « politicien-français ». Aux électeurs de faire leur marché.

 

En l'état actuel des choses, malheureusement, ceux qui font leur marché semblent avoir perdu la vue, le goût et l'odorat, pour ce qui est de la qualité des produits. Puisqu'ils élisent les mêmes depuis des décennies.

 

Mais c'est faire abstraction de l'abstentionniste, ce drôle de citoyen auquel les milieux « autorisés » prêtent toutes sortes de motivations étranges, alors qu'il est désormais l'exemple même de la lucidité à l'état incandescent. Mais ça, on peut être sûr que ça reste insondable au sondage. « Et vogue la galée ! », comme dit maître Alcofribas, qui ne se faisait guère d'illusions, mais qui n'en était pas moins ancré dans la vie comme peu d'entre nous sont capables de l'imaginer.

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

 

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