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mardi, 29 avril 2014

REBONJOUR MONSIEUR MAIGRET

Ce doit être la fatalité, ou alors une malédiction, allez savoir. Depuis que j’ai fait le tour du monde de l’écrivain Henri Bosco, quand j’ouvre un bouquin d’un écrivain, je me sens obligé d’ouvrir les autres. Ça s’est passé comme ça avec Balzac, voilà que ça se reproduit avec Georges Simenon. Pour le moment, j'en suis à une dizaine de Maigret. Cela veut peut-être dire que j'y trouve un intérêt. Lequel ?

 

M. Gallet, décédé (1930)

 

Apparemment, c’est un crime : dans une auberge de Sancerre, un homme est mort. Non seulement il a la joue arrachée par une balle tirée d’une distance ce sept mètres, mais il a dans le flanc, l’entaille d’un poignard qui a touché le cœur. C’est M. Gallet, représentant de la maison Niel et Cie pour toute la Normandie, et à ce titre supposé à Rouen. Du moins si l’on en croit la carte postale expédiée de cette ville par son mari. Elle croit à une erreur.

 

Ce n’est pas une erreur. C’est une imposture : il y a douze ans que la maison Niel et Cie a remercié M. Gallet, douze ans que celui-ci fait semblant d’aller vendre sa camelote en simili-argent, alors qu’en réalité, sous l’alias de M. Clément, il écume toute l’aristocratie finissante quoique royaliste, pour lui soutirer des sous au prétexte de « défense de la cause ». Eh oui, M. Gallet alias Clément était devenu un vulgaire escroc.

 

En fait, quand il est né, M. Gallet ne portait pas ce nom, mais celui ô combien plus prestigieux de « de Saint-Hilaire ». Malheureusement, dernier rejeton de la famille, il s’est retrouvé tellement désargenté qu’il a accédé à la demande de l’ambitieux et dynamique Gallet de lui vendre son patronyme. J’espère que vous suivez : Saint-Hilaire n’est pas plus Saint-Hilaire que Gallet n’est Gallet, ni même Clément.

 

Pour faire simple, autant on avait, dans Pietr-le-Letton, le dévoilement d’une gémellité, source de la mystérieuse confusion d’identité entre deux frères, dont l’un était le chef de bandes internationales de perceurs de coffres et de murailles, autant on a, dans M. Gallet, décédé, une confusion d’identités reposant sur une substitution. Drôle quand même de constater que les deux premiers Maigret développent ce même thème de l’identité vue sous l’angle judiciaire, non ?

 

Même si la chute (la solution, si l’on veut) est pour le moins tirée par les cheveux. Ce jumeau de bandit qui a toujours été fasciné par son frère et qui pourtant, au début du bouquin, le tue dans les toilettes du train pour prendre sa place à la tête du réseau criminel, bon, je veux bien, mais bof. Quant à la façon dont le soi-disant « M. Gallet » organise son suicide de façon à faire porter les soupçons d’un crime sur le soi-disant « Saint-Hilaire », franchement, je me dis que Simenon pousse le bouchon.

 

Ce qui est rigolo, c’est que ces bouquins se lisent très bien malgré tout. La façon dont l’auteur semble mettre le lecteur à la place du commissaire et de lui donner ses yeux, ses oreilles, voire son cerveau, constitue selon moi la caractéristique principale de son « style ».

 

Cela me donne l’impression (je dis bien l’impression) d’en être toujours au même point que Maigret dans le suivi de l’enquête. Au moins au tout début. Même si je sais qu’à partir d’un moment, celui-ci prend de l’avance sur moi, que son pas s’accélère et que ses certitudes prennent une consistance pour des raisons qui nous échappent. Ce qui attire dans les Maigret tient peut-être tout simplement au rythme. Ou plutôt au tempo, d'abord plutôt lent (c'est quand Maigret patauge). Au deux tiers, on sent que la silhouette du commissaire se redresse, qu'il respire mieux, que ses épaules retrouvent leur carrure.

 

Bon, c’est sûr qu’il s’agit d’une technique : le romancier met son protagoniste et son lecteur sur la même ligne de départ, comme si celui-ci était l’égal du policier. Il entre de plain-pied dans l’histoire, familièrement en quelque sorte. A l’écrivain, ensuite, de lui démontrer qu’un bon flic façon Maigret, s’il est devenu un commissaire dont le nom apparaît régulièrement dans les journaux, c’est pour la raison qu’il a une forme de supériorité.

 

Je me demande si ce n’est pas ce mélange de proximité égalitaire (« mon semblable, mon frère... ») et d’ascendant distancié (« et voilà le travail, petit ! ») qui a fait le large  succès du commissaire Maigret. Familiarité et supériorité, en somme.

 

Simenon, ce dragueur impénitent – qui déclarait sans forfanterie apparente avoir « possédé » 3000 femmes dans sa vie – a appliqué dans ses œuvres un principe analogue en littérature et en amour. Mettre le lecteur dans sa poche ou une femme dans son lit suivait la même marche à suivre.

 

D’une part tu t’intéresses à la mignonne en te mettant à sa portée et tu t’efforces de la mettre en valeur, d’autre part tu te débrouilles pour produire à la fois, à ton propre sujet, l’impression d’un mystère capable de la captiver et de la promesse de son dévoilement. On appelle ça la séduction. Ses polars semblent obéir à la même logique séductrice.

 

Ça a l’air simple, dit comme ça. La force de Simenon est d’avoir élaboré les principes de la chose et de les avoir mis en œuvre.

 

La théorie et la pratique, quoi.

 

Voilà ce que je dis, moi.

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