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vendredi, 19 août 2011

HOUELLEBECQ ET LA FIN DU MONDE

Donc Jed Martin est tombé amoureux des cartes Michelin. Il se fait une sorte de nom avec ses photos de cartes. Le titre de son exposition est d’ailleurs : LA CARTE EST PLUS INTERESSANTE QUE LE TERRITOIRE. Cela tombe bien : la Compagnie Financière Michelin est intéressée par cette mise en valeur inattendue. Et puis c'est l'occasion pour lui de tomber un peu amoureux d’Olga. Bref, je ne vais pas vous le refaire. Le premier thème du livre, c’est d’abord l’état du monde, pas brillant, on l’a vu. 

 

Le deuxième thème, c’est le monde de l’esthétique, ou plutôt le monde de la beauté. Le père est architecte : la beauté qu’il élabore reste lestée par l’ « utile », le fonctionnel, le monde concret. En l’occurrence, il conçoit des stations balnéaires. Il peut y avoir (c’est même souhaitable) de l’art dans l’architecture, mais par principe, ça n’encourage pas l’oiseau à déployer ses ailes, ou alors il s’agit d’un oiseau attaché au sol, trop lourd pour voler, en quelque sorte. 

 

Au passage, il est foncièrement positif que l'adjectif "totalitaire" soit accolé par Michel Houellebecq au nom de Charles-Edouard Jeanneret, dit Le Corbusier, qui est l'Albert Speer (architecte d'Adolf Hitler) des démocraties modernes. Cet architecte au nom intouchable aujourd'hui, et quasiment sacré, est celui qui a, en quelque sorte, inventé la séparation de l'espace humain en fonctions. 

 

C'est vrai qu'il attendait, pour achever les "parcours piétonniers", que les habitants aient dessiné leurs cheminements avec leurs pieds. Mais segmenter la vie humaine selon le moment de la journée (pour résumer : habitat, travail, consommation), il faut raisonner en termes, non seulement, de gestion de la population humaine, mais c'est, en plus, totalitaire. Regardez, par curiosité, ses projets pour Paris ou Rio de Janeiro. Voilà, c'était au sujet de l'architecture nazi. 

 

Jed, quant à lui, est un artiste. Il part de ses « objets de quincaillerie », dont l’exposition forme un « hommage au travail humain ». Il prend ensuite de l’altitude, avec les cartes Michelin, pour regarder le monde d’en haut, avec tout le sens conféré par les dessins, les formes, et puis surtout les noms. 

 

Puis il devient peintre, avec des tableaux qui représentent le monde, ou plutôt qui essaient de dégager une signification du spectacle du monde. Les titres disent quelque chose : « Bill Gates et Steve Jobs s’entretenant du futur de l’informatique », « Michel Houellebecq écrivain », « Aimée, escort-girl », « L’architecte Jean-Pierre Martin quittant la direction de son entreprise ». 

 

Wong Fu Xin, un essayiste chinois qui a travaillé sur le peintre, le voit « désireux de donner une vision exhaustive du secteur productif de la société de son temps ». Le roman, à travers le personnage de Jed Martin, parle bien du monde. Et il en dit quelque chose. Bon, je ne vais pas plaquer mes considérations vaseuses, mais ça a quelque chose à voir avec l’étriqué qui enserre l’humanité depuis que l’économique (pour ne pas dire le financier) est seul aux manettes. 

 

« Je veux rendre compte du monde… Je veux simplement rendre compte du monde ». C’est ce que répète Jed Martin qui, ayant pris de l’âge et marqué le monde de l’art de son empreinte, est interviewé pour la revue Art press. Pour dire, la dernière partie de son œuvre consistera, le matin, à poser son caméscope, à cadrer, par exemple « une branche de hêtre agitée par le vent », ou « une touffe d’herbe, le sommet d’un buisson d’orties, ou une surface de terre meuble et détrempée entre deux flaques ». Il déclenche, et vient récupérer son matériel le soir ou le lendemain. Il en tire par montage des « œuvres », « qui constituent sans nul doute la tentative la plus aboutie, dans l’art occidental, pour représenter le point de vue végétal sur le monde ». LE POINT DE VUE VEGETAL SUR LE MONDE. Je ne sais pas pourquoi, mais cette trouvaille m’enchante. 

 

Il y aura aussi ces « composants électroniques », qu’il asperge d’acide sulfurique pour « accélérer le processus de décomposition ». A la suite d’un long travail qu’il est inutile de détailler, il aboutit à de « longs plans hypnotiques où les objets industriels semblent se noyer, progressivement submergés par la prolifération des couches végétales ». 

 

Il fera subir un sort analogue à des photographies laissées à « la dégradation naturelle », puis à des « figurines jouets, représentations schématiques d’êtres humains ». On aura constaté que la place de l’homme, dans tout ça, est si réduite qu’elle a pour ainsi dire disparu. Si tout ça n’est pas de la métaphore ! La ficelle est même un peu grosse. Dommage que tout cela soit tout de même un peu trop explicité à la fin. 

 

A suivre (ben oui)...

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