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lundi, 18 juillet 2022

CASTELLUCCI ET LES LIMITES HUMAINES

LIMITES HUMAINES ? CONNAIS PAS !!!

« A cerveau surchauffé, rien d'impossible ! », telle est la fière devise qui orne le front de Monsieur Romeo Castellucci, metteur en scène qui n'a peur de rien, à commencer par s'attaquer à des chefs d'œuvre qui nous dépassent, nous autres les humains ordinaires. Castellucci est un surhomme, il peut donc tout se permettre. Il peut se permettre, lui qui n'est pas comme nous autres, d'avoir des idées surhumaines — étant entendu qu'il ne saurait exister d'idées inhumaines.

En l'occurrence, la victime de monsieur le metteur en scène n'appartient même pas au monde du théâtre ou de l'opéra : de la musique pure. Et pardon ! Mais quelle musique ! Rien d'autre que la Deuxième Symphonie de Gustav Mahler ! Celle qui, pour son infortune, a été baptisée (peut-être par le compositeur lui-même, allez savoir - mais moi je ne veux pas le savoir) "Résurrection".

Remarquez que Castelluci n'en est pas à son premier méfait : il avait déjà exercé de sérieux sévices dans la morgue où il avait entreposé le Requiem de Mozart pour lui faire subir dissection et défiguration post-mortem. Peur de rien, je vous dis !!! Cette fois, le géant génial a osé poser ses bottes de sept lieues pleines de terre et d'audace en plein milieu d'une œuvre que j'affectionne particulièrement, pour de multiples raisons.

La première de ces raisons réside dans le deuxième mouvement, le magique "andante moderato", dont j'ai appris par cœur la longue mélodie artistement développée, qui vient me tenir compagnie la nuit en cas d'insomnie, et qui me donne le frisson quand elle me vient à l'esprit. Un Monument !


Zubin Mehta à la baguette.

La deuxième raison, c'est évidemment tout le reste de la symphonie avec, au premier chef, l'intervention des voix (Schwarzkopf et Rössl-Majdan dans la version Klemperer, Maria Stader et Maureen Forrester dans la version insurpassable de Bruno Walter), puis du chœur, qui dotent les deux derniers mouvements d'une puissance capable d'élever l'auditeur à des hauteurs vertigineuses.

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MAHLER SYMPH 2 RESURRECTION BRUNO WALTER.jpg

Il y a, pour moi, dans la musique de la deuxième symphonie de Gustav Mahler, quelque chose qui touche au sacré. C'est déjà dire qu'imaginer d'imposer un spectacle visuel à cet événement grandiose qu'est son exécution, et avec, par-dessus le marché, une mise en scène tout ce qu'il y a de "spectaculaire", ça tient de la profanation. Il y a des choses qui ne se font pas. Un peu de "common decency", monsieur Castellucci.

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Photo de Monika Rittershaus.

Je n'ai pas honte de le dire : je n'ai pas vu le spectacle, et je dois bien avouer que je n'aurais pas été effleuré par l'envie d'en dire quoi que ce soit si je n'avais pas lu la prose séveuse et charnue qu'une Marie-Aude Roux visiblement inspirée a consacrée à la prestation dans le journal Le Monde du jeudi 7 juillet dernier. 

Voici comment la journaliste raconte le passage par Castellucci du Requiem de Mozart à la Deuxième de Mahler : « Le finale mozartien, dans une verticalisation spectaculaire du plateau, telle celle d'une benne à ordures, livrait les hommes à l'engloutissement, dont ne restaient que vêtements épars et terre foulée. Cette fois, c'est un immense bourbier ponctué de tumulus et de remblais — 550 tonnes charroyées, terre ocre de la Durance, tourba noire de Lettonie — qui a envahi le vaste plateau du Stadium ». On dira que c'est logique : après l'hiver glacé de la messe des morts, le printemps palingénésique de la symphonie. 

Ha ! le mec ! trop fort ! Il a fait venir cinq cent cinquante tonnes de terre ! Sans doute afin que les figurants dûment enterrés puissent se dresser au moment décisif pour le plus grand effroi des spectateurs qui ont payé d'avance les sensations fortes annoncées ! Le raisonnement de Castellucci semble être : "Ils en veulent ! Qu'est-ce que je vais leur mettre !" Sans hésiter, il convoque l'ONU, ce qui devient, sous la plume de Marie-Aude Roux : « Sur le plateau, les équipes du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés ont déployé hommes et femmes en combinaison blanche et gants de latex bleu. Le premier mort exhumé, d'un réalisme étudié a des allures christiques. Il sera allongé sur une housse blanche. Au ballet des scientifiques, médecins, photographe médico-légal, débarqués de gros camions au fil de différentes sections musicales, répond la danse immobile des morts sortis de la gangue noire de l'anonymat ». Quand je disais que la journaliste s'est sentie inspirée !! 

Difficile de se faire une idée de ce que pense Marie-Aude Roux de la musique produite par Esa-Pekka Salonen « à la tête d'un orchestre de Paris des grands soirs », sinon que c'est la musique qui finit par emporter la "victoire", après une lutte qu'on imagine acharnée avec le spectacle castelluccien. On est bien content, parce que, dans son texte, c'est quand même Castellucci qui s'offre la part du lion, au point qu'on se demande où est passé Mahler. La journaliste s'est apparemment laissé fasciner par les trouvailles époustouflantes du spectacle visuel.

La peste soit de ces metteurs en scène qui, en présence des chefs d'œuvre de la musique, se croient littéralement tout permis. Il faut aussi en vouloir à Salonen, le chef, de s'être prêté à ce massacre. Complicité de meurtre, ça devrait s'appeler !

Vivement la Déclaration Universelle des Limites Humaines !!!

Voilà ce que je dis, moi.

09:00 Publié dans MUSIQUE | Lien permanent | Commentaires (0)

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