Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

mercredi, 28 janvier 2015

CHRISTINE ANGOT A LA HAINE 4/?

4

 

Pendant que Christine Angot fait sa chochotte à touiller sa tisane tiède dans sa petite tasse, Michel Houellebecq nage au large : il a la brasse littéraire large et puissante. Christine Angot déteste Michel Houellebecq, parce qu’il écrit des romans au tranchant très affûté. Elle lui reproche sa consistance, sa compacité. Peut-être même sa masculinité. Mais je ne suis pas psychanalyste.

 

« Pourvu que le monde ne ressemble pas à ce que décrit Michel Houellebecq ! », se dit-elle terrorisée, recroquevillée dans le terrier de son for intérieur, en tremblant et en croisant les doigts pour conjurer le mauvais œil. Pour moi c'est clair : ceux que Houellebecq fait hurler sont dans une grave dénégation de la réalité telle qu'elle est. Ils mentent. Je vais vous dire, ils ont l'horrible pétoche à l'idée qu'il a probablement raison : la civilisation a échoué. Nous assistons au retour à la sauvagerie des âges farouches.  

 

La page de Christine Angot publiée par Le Monde daté 16 janvier expose aussi une sorte de théorie de la littérature selon Christine Angot. Ainsi, par exemple, elle affirme que, quand Houellebecq répond à quelqu’un qui lui demande ce qu’il pense de François, le protagoniste de Soumission : « Réponse sur un ton aussi docte que désabusé : je ne sais pas, on ne sait pas, quand on écrit, on ne sait pas. On ne juge pas ».

 

Elle le cite : « Je ne sais pas, on ne sait plus, quand on fait un roman on ne sait pas » (Modiano a dit à peu près la même chose à Stockholm). Mais c’est pour le contester catégoriquement : « Bien sûr que si on sait. C’est même tout l’intérêt. Comprendre. Faire comprendre. Sentir, faire sentir. Et pouvoir juger quand même ». Ah, maintenant, le romancier devient un instituteur charger d'expliquer. Et de faire la morale. Mais pour comprendre et faire comprendre, je ne me fierais pas trop à la comprenette délabrée de Christine Angot.

 

Je signale que la littérature n'est pas faite pour expliquer ou démontrer. Les plus grands écrivains n'expliquent rien : ils montrent. Le parti pris démonstratif de certains romanciers aboutit presque infailliblement à des livres médiocres. C'est ce que fait Houellebecq. Elle soutient ensuite que « l’auteur sait, aussi bien que le dessinateur, ce qu’il pense de ses personnages ». Tout ça après avoir curieusement admis qu’ « un roman même plus ou moins cynique ne se juge pas sur le plan moral ».

 

Au fond, après avoir feint de placer sa détestation de Houellebecq sur le terrain littéraire (« chercher la petite bête cachée derrière les apparences » au lieu de regarder la réalité en face), Christine Angot suggère que, dans sa conception de la littérature, l’auteur ne peut se dispenser d’avoir une attitude morale (l'auteur pense quelque chose de ses personnages : quelle drôle d'idée !). Voilà : le grand mot est lâché. La clé qui tente de verrouiller le couvercle policier et judiciaire sur la fantaisie, la liberté du créateur. La création littéraire a sa nécessité interne. Soumission offre un exemple lumineux de ce principe. Et ça, ça ne plaît pas. L’article du Monde est une façon pour Angot de manier le bâton sur le dos virtuel de Michel Houellebecq. Qui en a vu d’autres.

 

S’il dit qu’il ne pense rien de ses personnages, il faut sans doute le croire (je renvoie au petit bouquin très éclairant de Mauriac Le Romancier et ses personnages). Car si Houellebecq juge quelque chose, roman après roman, c’est d’abord (et peut-être seulement) le monde qui est le nôtre, le monde implacable de l’après Guy Debord, le monde de la science toute-puissante et aveugle (Les Particules élémentaires), du spectacle et de la marchandise.

 

Soumission, le dernier en date, n'est-il pas insupportable parce qu'il montre l'avènement tout en douceur d'un système totalitaire (même "modéré") ? N'est-il pas, avec ses airs de politique-fiction, une simple extrapolation imaginée à partir du tableau lamentable offert par nos démocraties exténuées ? N'est-ce pas ça, au fond, qui choque le plus les détracteurs de l'auteur ? Ça, précisément, qu'ils ont la trouille de regarder en face ?

 

L’art désespéré (La Carte et le territoire) de Jed Martin pris dans la frénésie de dire que le monde n’a plus rien à dire en matière d’esthétique (et le reste) ; la marchandise sous toutes ses formes qui assiège et envahit l’individu ; le sexe (Plateforme) réduit à sa fonction de machine hygiénique et lucrative, dans des sociétés et des systèmes qui font croire qu’il faut croire encore en une Vérité : les « Valeurs ». Les Droits de l'Homme. Tout ça.

 

L’individu réduit à sa fonction d’électron qui se croit libre et doté de droits toujours plus « innovants ». C’est cela que Houellebecq met sous le nez de l’homme actuel : l’impasse. La nasse. Houellebecq ôte le faux-nez de la modernité. Il met à nu - avec quelle élégance dans le geste ! - ses tripes moribondes et pestilentielles. La justesse du diagnostic du balzacien Michel Houellebecq saute aux yeux de tous ceux qui refusent de se bercer d'illusions maternantes. Christine Angot a la bêtise maternante.

 

Et je vais vous dire, c’est cela qui n’est pas supporté. Ah ça, on peut dire que le Houellebecq, ça fait vomir. J’ai cité Richard Millet, qui fait aussi figure de vomitif pour les « bonnes âmes », mais j’aurais pu aussi bien rappeler, parmi les pères fondateurs de ceux qui, en d’autres temps, auraient été jetés tout vivants dans les chaudrons de bave bouillante de l’Inquisition, la haute figure de Philippe Muray qui, c’est le moins qu’on puisse dire, ne s’en laissait pas conter par la « modernité ».

 

Ce que ne supportent pas les Christine Angot et autres contempteurs de Michel Houellebecq, c’était déjà ce que ne supportaient pas les détracteurs de Philippe Muray, qui leur mettait sous le nez la part maudite qu’ils portaient en eux-mêmes et qu’ils ne voulaient ni regarder en face, ni renifler : la négativité. Autrement dit le Mal. Combien sont-ils, les prêcheurs, à braire et blatérer dans les médias : « Le Mal, c'est pas bien ! Le Mal, c'est pas bien ! Le Mal c'est pas bien ! ». Je pense à l'abbé Edwy Plenel, à Caroline Fourest, aux objurgations et admonestations de François Hollande. A tous les moralistes qui font tribune sur basse-cour.

 

Le consensus moral actuel autour de l’Empire du Bien (un titre de Philippe Muray) nous fera tous crever. Tant que le monde actuel n’aura pas trouvé un moyen de mettre des mots pour mettre enfin un visage sur les nouveaux avatars du Mal ; pour enfin le regarder droit dans les yeux, tous les Philippe Muray et les Michel Houellebecq seront haïs par toutes les Christine Angot.

 

Voilà ce que je dis, moi.

Les commentaires sont fermés.