jeudi, 13 octobre 2022
VOUS AVEZ DIT "DÉCOUPLAGE" ?
Donc Emmanuel Macron fait depuis quelque temps une promotion effrénée du mot "SOBRIÉTÉ", fixant à la population française ordinaire — je veux dire celle qui tire de plus en plus la langue — un objectif de 10 % de réduction de sa consommation de gaz, d'électricité et (qui sait ?) de tout un tas de bonnes choses qu'elle mettait dans son assiette, sans se rendre compte du crime qu'elle commettait contre la nature. Qu'importe les 19°C dans les maisons, on mettra des moufles, des doudounes et des snowboots.
Moyennant quoi, j'ai entendu tout récemment le même Emmanuel Macron, en même temps qu'il vantait de sa langue gauche les mérites de la dite sobriété, faire l'éloge, au moyen de sa langue droite, de la nécessaire croissance économique, hors de laquelle il n'aperçoit pas la moindre chance de salut.
« Attention, nous prévient monsieur Macron, la sobriété ne signifie surtout pas la décroissance !!! » (je cite en substance, et même en "substantificque mouelle"). On le comprend : il tremble à l'idée qu'une France "décroissante" perde des emplois, des industries, des compétences et des places dans le classement des grandes nations, mais redoute en revanche qu'elle gagne des défilés de néo-gilets-jaunes vaguement syndicaux et de plus en plus remontés, de plus en plus en colère et de plus en plus denses.
Mais c'est là que les Athéniens s'atteignirent, que les Perses se percèrent, que les Mèdes m'aidèrent et que les Satrapes s'attrapèrent. Comment faire ? Oui, comment faire pour tenir les deux bouts de la chaîne sans tomber dans "l'opprobre du ruisseau" (ça, c’est Boby), je veux dire dans les contradictions les plus contradictoires ? Parce que, si l'on a déjà vu passer des escadrilles d'oxymores dans le ciel fertile en inventions lexicales de nos politiciens, celui-ci, soyons-en sûrs, est le champion toutes catégories, battant à plates coutures ses concurrents immédiats, "croissance verte" et "développement durable".
La vérité, c'est que les gens qui chantent les louanges de la croissance économique, optent résolument, souvent sans se l'avouer, pour le réchauffement climatique. D'un certain côté, on les comprend, parce qu'ils se disent que si l'on a une activité économique soutenue, tout ira bien pour l'emploi, les salaires, la consommation, les cotisations sociales et les futures retraites. Plus ces données s'imposent du fait de la situation dans laquelle se débattent les travailleurs, plus la question du réchauffement tend à s'effacer dans les esprits à l'horizon de la nécessité présente : il faut pouvoir finir le mois. L'urgence de la survie personnelle est prioritaire sur les préoccupations climatiques.
En revanche, si l'on prétend lutter sincèrement contre le réchauffement climatique, cela implique ipso facto qu'on admet et même revendique la décroissance, c'est-à-dire la réduction de l'activité économique, principale responsable de toutes les prédations actuelles, et par conséquent la baisse de la consommation de biens et de ressources. Et donc un acheminement inéluctable vers une certaine idée de la pauvreté : la vérité de l'humanité d'aujourd'hui, c'est qu'elle doit revenir à la pauvreté, aux nécessités vitales et au sens du tragique de la condition humaine. Voilà ce qu'on trouve, quand on va chercher sous le faux-nez de l'idée de sobriété.
C'est là qu'interviennent les experts en formulations, les poètes de l'euphémisme, les chantres de la quadrature du cercle et les jongleurs du théorème de Fermat en matière de langage et de pansements verbaux (« Sois sage, ô ma douleur, et tiens-toi plus tranquille ! »). En feuilletant rageusement leur Littré (pas celui de la "Grand-Côte"), leur Grand Dictionnaire Larousse ou leur Grand Robert, ils sont tombés sur le mot "découplage". C'est ainsi que, dès le 31 mai 2022, le journal Le Monde a pu libeller comme suit un de ses titres.
"Difficile", le "découplage" : tu l'as dit, bouffi !
Ça veut dire quoi, "découplage" ? En gros et en dehors des sens premiers (domaines de l'électrotechnique et de la vénerie), le mot signifie "séparer". C'est-à-dire que ceux qui le prononcent rêvent tout éveillés d'une croissance économique enfin débarrassée des menaces que font peser les gaz à effet de serre. Eh oui, la voilà, l'équation insoluble : comment "découpler" des activités économiques florissantes et leurs effets mortifères ? Cela veut dire : que faire pour que des actes humains soient libérés de leurs conséquences, innocents de tout ce qui arrive en aval ? C'est là que ça devient presque drôle.
Comment continuer à fabriquer de l'abondance et de la prospérité sans porter atteinte à la sécurité climatique ? Comment faire pour produire du confort et des conditions de vie plus faciles à l'humanité entière — on en est très loin — sans détruire à notre détriment les équilibres naturels qui ont vu naître et se développer la civilisation que nous connaissons ?
La vérité, c'est qu'on ne peut pas. ON NE PEUT PAS. Le découplage, c'est de la blague. Pour une raison très simple : on ne peut avoir de la croissance économique sans faire croître, en même temps et en proportion, la consommation d'énergie, puisque ce sont précisément les activités économiques, industrielles qui, grandes consommatrices de fossiles, sont les plus grandes productrices de biens, de services, de confort et de CO². Bon, je ne vais pas revenir sur la rengaine : on sait tout ça par cœur (voir pour cela Jean-Marc Jancovici). Pour consommer de l'énergie, il faut en produire. D'où l'appel désespéré aux renouvelables : le vent dans les pales des éoliennes et le soleil sur les panneaux photovoltaïque.
Faudra-t-il, pour satisfaire la voracité énergétique du système économique, laisser les fabricants d'éoliennes et de panneaux envahir nos espaces et étouffer nos paysages ? Même sans compter le CO² que produit le processus même de fabrication de ces moyens soi-disant « propres », l’entreprise consistant à reconvertir nos sales centrales existantes me semble hors de toute mesure. D’autant que le recours furieux au charbon par des pays comme la Chine ou l’Inde, « en attendant », laisse entrevoir, au moins à moyen terme, une embellie pour l'extractivisme et pour les sources fossiles d’énergie. « Dis, papa, quand est-ce qu'on sera sortis de l'auberge ? — Tais-toi, et tâche de survivre ! »
Je ne peux imaginer que monsieur Macron, dont la réputation d’intelligence n’est plus à vanter, n'est-ce pas, n’ait pas conscience du caractère oxymorique de la formule « croissance découplée de ses effets ». J’ai plutôt tendance à y renifler quelque chose qui ressemble à du mensonge. Et crânement assumé, "les yeux dans les yeux".
Voilà ce que je dis, moi.
09:00 Publié dans ECOLOGIE | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : écologie, emmanuel macron, sobriété, journal le monde, france, société, décroissance, croissance économique, découplage
vendredi, 23 septembre 2022
CEUX QUI ONT LA SOLUTION (3 et fin)
Pour en finir (provisoirement) avec l'inventaire des formules utilisées dans les journaux (principalement Le Monde) par ceux qui savent comment faire pour s'en sortir ou pour faire advenir la société dont ils rêvent, je présente aujourd'hui un dernier type d'expressions qui permettent à un rédacteur de sauter par-dessus l'obstacle du "il faut" qui fait par trop "magie-magie", tout en contournant la facilité un peu niaise offerte par le verbe "devoir" mis à toutes les sauces. Comme on peut le constater, nul besoin de ces tournures trop évidentes pour faire comprendre au lecteur toute la force de l'impérieuse injonction qu'on lui adresse.
Ces dernières locutions présentent cependant l'avantage de prendre les couleurs de l'objectivité, ou tout au moins de revêtir le déguisement de la neutralité, comme si leur utilisateur se lavait les mains de toute intention de sommation au lecteur, l'auteur de la formule disparaissant derrière elle : phrase sans verbe, ou verbe à l'infinitif, et autres issues de secours. Je note quand même la survie du mode impératif, qui en dit long sur la psychologie de celui qui tient la plume. Quoi qu'il en soit, en reniflant le derrière de toutes ces solutions, je ne peux m'empêcher de leur trouver une fragrance assez prononcée de faux-cul (malpropre).
Je veux bien, mais l'énoncé me reste assez obscur.
On trouve ça dans Le Progrès. La phrase est applicable en l'état à tous les festivals.
Ça y est : le grand mot du second quinquennat d'Emmanuel Macron est lâché. On n'a pas fini de le lire, de l'entendre et d'en être gavés. Ensuite, quand on se rendra compte que la sobriété ne suffit pas, on passera au mot "restriction". En attendant mieux.
Là, pas de mode impératif, mais c'est tout comme.
Le genre de formule baudruche qu'une épingle bien placée suffit à rendre à sa vraie signification.
Ouais, je vais en parler à Christiane Lambert, P.-D. G. de la F.N.S.E.A., vous savez ce clan dominé non par des paysans, mais par des chefs d'entreprises agricoles pour qui cultiver la terre ne relève pas d'une activité humaine mais d'un système industriel asservi à de merveilleux engins mécaniques comme à des intrants chimiques aux remarquables effets.
Ce titre me laisse coi, bien qu'on lise sans peine l'injonction "il faut" en filigrane derrière "en finir".
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MORALITÉ :
Tout ce qui ressemble, de tout près ou de très loin, à la formule "IL FAUT", est à considérer, sinon comme un mensonge, du moins comme une incantation incantatoire..
09:00 Publié dans DANS LES JOURNAUX, ECOLOGIE | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : journal le monde, journal le progrès, écologie, sobriété, emmanuel macron, christiane lambert, fnsea