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mercredi, 14 novembre 2012

DES MONUMORTS HUMAINS

Pensée du jour :

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"RUPESTRE" N°20

 

(lettre à ANDRÉ R., le lendemain de l'incendie du Bazar de la Charité, le 4 mai 1897, où sont mortes plusieurs grosses pointures féminines de la toute haute société parisienne) : « J'espère, mon cher André, ne pas vous scandaliser en vous disant qu'à la lecture des premières nouvelles de cet événement épouvantable, j'ai eu la sensation nette et délicieuse d'un poids immense dont on aurait délivré mon coeur. Le petit nombre des victimes, il est vrai, limitait ma joie. Enfin, me disais-je tout de même, enfin ! ENFIN ! voilà donc un commencement de justice ».

 

LÉON BLOY

 

 

Résumé : je termine aujourd'hui, à l'occasion du 94ème anniversaire de la fin de la grande catastrophe de 14-18, dont l'Europe n'est pas près d'avoir fini de payer les intérêts, une petite évocation de ces constructions entreprises en 1920 dans les 36.000 communes de France, en l'honneur de leurs 1.700.000 morts.

 

 

Tout en persistant à penser que qualifier ces morts de « héros » est aussi absurde que la guerre qui les a engloutis. Il suffit, pour se rendre compte que c'est une Histoire sans héros (titre d'une BD de DANY), de lire DORGELÈS (Les Croix de bois), BARBUSSE (Le Feu), REMARQUE (A l'Ouest rien de nouveau), JÜNGER (Orages d'acier), augmentés de quelques Français et de quelques Allemands.

 

 

 

En tout cas, faire du 11 novembre une cérémonie militaire, c'est, de la part de la nation, un extraordinaire abandon de souveraineté : l'armée est au service de la nation, et non l'inverse. C'est faire preuve d'un aveuglement presque aussi coupable que, par exemple, le crime commis par le colonel DIDIER, le 8 octobre 1914, sur la personne de JEAN-JULIEN CHAPELANT, qu'il a fait fusiller ligoté à son brancard dressé debout contre un pommier, parce qu'il a eu la mauvaise idée d'échapper, grièvement blessé, aux Allemands.

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LE CHEF MITRAILLEUR CHAPELANT 

 

Le colonel DIDIER l'a fait exécuter pour l'exemple, tenez-vous bien, pour « capitulation en rase campagne ». Il ne faudrait pas confondre la nation avec sa composante armée, surtout depuis qu'elle n'est plus faite de conscrits, mais de professionnels. Qui jugera le colonel DIDIER ? JEAN-JULIEN CHAPELANT s'est montré certainement plus "héroïque" que ce salopard galonné. Qui a intérêt à réduire la nation à l'armée chargée de la défendre ?

 

 

 

J'en reviens aux monuments. Je montre en couverture d’un des albums ci-contre la photo de celui de Pléhédel (22). Cette femme couverte d’un ample capuchon n’a peut-être l’air de rien, mais elle tend le poing d’une façon qui a quelque chose à voir avec le célèbre geste ganté de noir de TOMMIE SMITH et JOHN CARLOS sur le podium du 200 mètres aux Jeux Olympiques de 1968. photographie,littérature,léon bloy,bazar de la charité,europe,france,monument aux morts,première guerre mondiale,guerre 14-18,roland dorgelès,les croix de bois,henri barbusse,le feu,erich maria remarque,à l'ouest rien de nouveau,ernst jünger,orages d'acier,français,allemands,11 novembre,armée française,pléhédel,tommie smith,john carlos,jeux olympiques 1968,picarde maudissant la guerre,paul auban,rené quillivic,bretagne,plouhinec,plozévet,carhaix,fouesnant,pirre fresnay,la grande illusion,boïeldieu,éric von stroheim,aristide maillol,ernest gabard,bande dessinée,dany,histoire sans héros

 

 

 

 

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PLEHEDEL 22

 

En Bretagne, RENÉ QUILLIVIC, né à Plouhinec, privilégia dans les monuments qu’on lui commanda, la figuration du deuil, en montrant un père (Plozévet), une mère (Carhaix), la sienne propre (Plouhinec, ci-dessous), une sœur (Bannalec), tous inconsolables de la perte subie. On lui doit également Fouesnant, Plouyé, Pont-Croix, Saint Pol de Léon, Loudéac, …

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RENÉ QUILLIVIC POUR PLOUHINEC 29

(sa propre mère, la tête inclinée vers - regardez la plaque - combien de noms d'une ville qui comptera environ 4.400 habitants en 1990 ?)

 

J’ai plus de mal à comprendre le choix de certaines communes ou paroisses (rares, heureusement, j’en ai collecté 9 !), dont le choix s’est porté sur un modèle (dont je n’ai pas identifié les promoteurs) qui fait du poilu un jeune homme du beau monde, les jambes noblement croisées, élégamment accoudé à la plaque portant les noms des morts. C’est sûr que celui-ci, comme Boïeldieu (PIERRE FRESNAY) dans La Grande illusion, devait blanchir ses gants avant de se lancer à l’assaut hors de la tranchée (rappelez-vous ce que dit ERIC VON STROHEIM à PIERRE FRESNAY en gants blancs, qui fait semblant de s'évader pour permettre à GABIN de le faire vraiment : « Che fais tirer, Boeldieu ! »). Et ce n’est pas l’ange qui le couronne de lauriers qui est fait pour arranger les choses.

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BEYRIES 40

 

Pour finir sur ce sujet (avant la prochaine fois), il faut quand même parler des quelques grands artistes, comme ARISTIDE MAILLOL, qui eurent parfois l’élégance de travailler gratuitement. MAILLOL poussa cette élégance jusqu'au raffinement généreux, en réalisant gracieusement, dans et pour sa région de naissance, les monuments de Céret, Elne, Port-Vendres et Banyuls.

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OEUVRE D'ARISTIDE MAILLIOL POUR CÉRET 66

 

 Et j’ai rendu hommage, en un autre temps, à ERNEST GABARD, plus récemment à DINTRAT (Montfaucon, 43). Ceux-là ne travaillèrent pas à la chaîne, et ce que nous voyons de leur travail reste – qu’on me passe cette confidence, si c’en est une – émouvant.

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OEUVRE D'ERNEST GABARD POUR JURANÇON 64

 

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

 

lundi, 27 février 2012

DU POILU DANS TOUS SES ETATS

La Grande illusion est d’autant plus un grand film que l’illusion est partagée par des gens très opposés. Les uns vont voir la magnifique illusion de la fraternité de deux aristocrates poussés à se combattre par des raisons étrangères à leur monde. Les autres vont voir la grandiose illusion de la fraternité de Maréchal et Boïeldieu, l’aristocrate et l’homme du peuple, que tout, dans leurs « rapports de classes », oppose. Bref, le film est extraordinairement polysémique, et donc inépuisable quant aux interprétations possibles. On dit que c’est une des caractéristiques des chefs d’œuvre.

 

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C'EST JULIEN CARETTE QUE JE PRÉFÈRE

(juste à côté du casque à pointe) :

PAS DE PLUS BEL ACCENT PARIGOT 

 

La guerre de 14-18 a cependant des à-côtés étranges. On ne visite hélas pas assez le champ de bataille du « Mont Linge ». C’est vrai qu’il « parle » moins au visiteur depuis qu’il a été, en quelque sorte, « restauré », voire « reconstruit ». Je l’ai visité « en l’état », comme on dit à propos d’un livre assez amoché qu’on veut vendre, en général à bas prix. C’est un souvenir inoubliable.

 

 

Il y avait une espèce de baraque branlante, qui faisait office de musée, dans laquelle un personnage incertain faisait office de gardien. Dans une pièce assez vague faisant office de lieu d’exposition, on pouvait voir, posés simplement sur une sorte d’établi ou d’étagère faisant le tour, une incroyable diversité d’objets faisant office de collection permanente. Aucune institution n’avait encore mis son nez ou son argent dans ce qui est désormais un, tenez-vous bien, « site touristique ».

 

 

L’aspect le plus spectaculaire de tout le lieu était cependant situé à l’extérieur : ce qui restait des tranchées de 14-18. La partie allemande bien à l’abri des pentes plongeant vers la plaine du Rhin, avec ses redoutes maçonnées, ses grottes aménagées et ses tunnels, et tout juste la crête de coq d’une avancée au sommet, pour empêcher les Français de dévaler.

 

 

La partie française, la sommitale donc, était bien plus dégagée, avec des vallonnements si l’on veut, mais, somme toute et dans l’ensemble, bien plus praticable. Et plus mortifère, sur le plan stratégique. Et pas besoin de connaître les lois de la balistique pour se rendre compte que l’artillerie allemande, dissimulée dans la pente ou hors de portée dans la plaine, avait de bonnes chances de toucher au but à tout coup, alors que les canons français faisaient courir bien peu de risques aux soldats « ennemis », naturellement abrités par la forte déclivité de la pente.

 

 

Le côté spectaculaire et saisissant de ce théâtre des opérations, c’était à l’époque où je l’ai découvert, ce qui restait des tranchées, de vagues sillons creusés dans le sol, entremêlés de barbelés complètement rouillés. L’essentiel n’est pourtant pas là, mais dans l’infernale proximité de la première ligne française et de la première ligne allemande. Dans leur point le plus rapproché, je n’exagère pas en disant que quatre-vingts centimètres les séparaient.

 

 

Maintenant rassurez-vous : l'office du tourisme a pris tout ça en main, a soutiré des subventions. Tout est désormais bien maçonné et visitable : c'est comme à Oradour-sur-Glane, on veille à ce que les ruines ne tombent pas en ruine au carré. Pas comme les pentes du Hartmannswillerkopf, où Monsieur SAX, l'instituteur de Hartmannswiller, m'avait emmené en expédition, et où tout est certainement resté « en l'état ».

 

 

Le Mont Linge, avec sa ligne de front en papier à cigarette, il faut le voir pour le croire. En tendant le bras, les soldats « ennemis » pouvaient se serrer la main. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle les chefs, des deux côtés, faisaient « tourner » les régiments en présence à cadence accélérée, tant il est vrai qu’on tue plus difficilement quelqu’un dont on voit le visage et dont on connaît le prénom, la région, le métier. Rien de plus facile aussi, les longues nuits de veille, que de faire franchir la frontière à quelques cigarettes.

 

 

On a appelé ce genre de « problème » (d’un point de vue militaire) des « fraternisations ». Le soldat GERVAIS MORILLON, par exemple, raconte comment il a vu des Allemands sortir de leur tranchée sans armes, officiers en tête, et venir serrer la cuillère aux Français, échanger à boire, à manger, à fumer. D’autres racontent la trêve du 24 décembre 1914, et la partie de football disputée entre les deux tranchées.

 

 

Il va de soi que de tels « problèmes » furent passés sous silence, et rigoureusement interdits. Sans doute pour « atteinte au moral des armées ». Comme quoi on peut en conclure que la guerre sert l’intérêt des chefs qui, se connaissant, ne s’entretuent pas, au détriment des troufions, qui auraient fait de même si on les avait laissé faire.

 

 

Certains monuments aux morts, en particulier ceux qui ne sont pas sortis des usines spécialisées, mais ont été confiés au savoir-faire des artisans locaux, immortalisent des gestes ou des attitudes, et donnent vie à des moments précis de la « vie des tranchées ».

 

 

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IL FAUT IMAGINER LE BONHOMME ENTIER

(COTIGNAC, recto)

 

Je pense au monument de Cotignac (83570) : on voit dépasser la tête de la sentinelle, mais en allant voir la « face cachée », le verso, on découvre la personne entière du bonhomme, tout absorbé dans son « devoir » de surveillance. Sauf erreur, je ne crois pas qu’il y en ait un seul analogue sur le territoire français. Je pense au monument de Canchy (80150), où l’on voit une sentinelle assise, le regard fixé sur les lignes adverses, qui semble dire : « Qu’ils y viennent ! ». 

 

 

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CANCHY - 80150

 

Mais évidemment, on ne peut pas empêcher certaines communes (la vie à l’arrière ne s’est évidemment pas arrêtée) d’exalter le courage des poilus. Je pense au « Hardi les gars ! » de Beuvillers (14100), à son cousin de Beaugency (45190) et à quelques groupes, comme ceux d’Aigurande (36140), de Pau (64000) ou de Pierrefonds (60350).

 

 

LE MYTHE 

 

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BEAUGENCY (45)

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BEUVILLERS (14) : HARDI LES GARS !

 

 

 

Voilà, je me retournerai encore, de temps en temps, sur ces traces trop élégantes de ce qui n’est rien d’autre que la plus grande boucherie volontaire des temps modernes. Ceux qui veulent en voir un aspect plus « réaliste » peuvent se plonger dans plusieurs œuvres de JACQUES TARDI, en bandes dessinées (C’était la Guerre des tranchées, Varlot soldat, Putain de guerre !, …).  J’espère que le lecteur ne m’en voudra pas trop.

 

 

 

LA REALITE

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JACQUES TARDI

C'ETAIT LA GUERRE DES TRANCHEES

(notez les deux modèles de casques,

et la similitude des uniformes)

 

J'aime bien les histoires, les contes, les légendes, les mythes en général, mais je crois que TARDI, en montrant ces morceaux d'hommes éparpillés, ces intestins pendant aux barbelés, ces crânes qui éclatent, nous raconte bien mieux la réalité du suicide de notre continent européen que n'importe quelle commémoration plus ou moins militarisée, plus ou moins héroïsée.

 

 

Voilà ce que je dis, moi.