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lundi, 12 mars 2012

HERMANN BROCH : LES SOMNAMBULES

Les Somnambules, de HERMANN BROCH 

 

Je m’en excuse par avance auprès de ceux (et surtout de celle – coucou, M.) que mes petites notes de lecture rebutent, mais je veux rendre un hommage appuyé à une grande œuvre littéraire du 20ème siècle, écrite par HERMANN BROCH entre 1928 et 1931, c’est-à-dire, il est bon de le souligner, avant l’avènement du nazisme au pouvoir.  

 

Voilà un bouquin tout à fait ambitieux, dont les actions, situées de 1888 à 1918, chevauchent le passage au nouveau siècle. Il raconte, en gros, le début de la fin de l’Europe.  On a déjà vu ça avec L’Homme sans qualités, de ROBERT MUSIL. Tiens, c'est drôle, ce sont deux Autrichiens.  

 

J’ai dit LES actions, parce qu’il s’agit en fait d’un triptyque, qui met en scène trois personnages : l’officier noble Pasenow figurant le « Romantisme » ; le comptable Esch, l’ « Anarchie », et le déserteur Huguenau, le « Réalisme ». Un livre extraordinaire.

 

Une citation, p. 441, pourrait bien être à l’origine de ce pavé de plus de 700 pages : « ll est significatif qu’une époque complètement dévolue au trépas et à l’enfer doive nécessairement vivre dans un style qui n’est plus capable de produire d’ornement. ». L’architecture comme art de l’espace, la musique comme se résolvant en espace, l’architecture comme synthèse de la vie dans un espace donné, l’ornement étant comme la quintessence de ce rapport à l’espace.

 

Premier livre : Pasenow, ou le Romantisme. L’action se passe donc en 1888. Joachim von Pasenow fera une carrière militaire. Son identité se confond avec l’uniforme : « Ce qui est fait est fait, et quand on a pris l’habitude, dès sa dixième année, de porter l’uniforme, celui-ci vous entre dans la chair comme une tunique de Nessus et nul, Joachim moins que tout autre, ne peut alors dire où finit son moi, où commence l’uniforme. » 

 

Il épousera la fille de la famille noble qui possède le domaine jouxtant celui de son père et réapparaîtra dans la dernière partie en Général Pasenow, rigide et, en un mot : militaire. Pour parodier le dernier titre paru de CHLOÉ DELAUME, on pourrait le désigner comme « un homme avec personne dedans ».

 

Dans la première partie, il hésite beaucoup au sujet de son avenir : doit-il suivre le chemin de ses inclinations ou de ses devoirs ? Il croise la route de la sensuelle Ruzena, Polonaise de basse extraction, aux tentations de laquelle il succombe, mais avec un certain sentiment de culpabilité de classe. Il croise la route de Bertrand, l’aventurier brillant et libre de ses désirs et de ses ambitions. 

 

Mais il se conformera à l’exigence de la tradition, et épousera la carrière des armes et Elisabeth, qu’il apprécie modérément, mais qui appartient à la même caste. Elle sera d’ailleurs courtisée et momentanément séduite par le flamboyant Bertrand.  Le monde dans lequel se déroule le roman semble exténué. Est-ce que l’ordre règne, se demande-t-on, devant les visibles ferments du désordre ? 

 

« Quatorze minutes se sont écoulées depuis le premier signal et sitôt que l’aiguille aura atteint la quinzième minute, Peter, le domestique, administrera trois coups discrets au plateau de bronze. » (p. 111). L’ordre ancien semble s’imposer par la force, comme le vieux comte s’approprie le sac postal pour, seulement après, distribuer le courrier aux uns et aux autres. Mais les signes ne manquent pas qui montrent que l’ordre ancien se défait. Pasenow a parfois l’impression qu’il est réglé comme dans un cirque. Peut-être une autre façon de se dire qu’il est tout simplement vide. 

 

Deuxième livre : Esch ou l’anarchie. L’action se passe en 1903. August Esch est un comptable, un employé de commerce de trente ans. Il se fait virer de son emploi. Son ami infirme, Martin  Geyring, est un syndicaliste connu, sans doute anarchiste. Le point de ralliement est le café de la mère Gertrud Hentjen, lieu relativement minable. 

 

La femme a trente-six ans et est veuve depuis quatorze ans. Esch, qui épousera la mère Hentjen, fume des cigares bon marché. Il rêve au nouveau monde. Il rêve d’y produire des spectacles de luttes féminines, pour lesquelles il commence d’ailleurs à recruter. Il trouve un emploi dans une grosse entreprise de commerce international, qui appartient au Bertrand du premier livre, qui mène une carrière de grand commerçant international. On est dans un temps où les individus sont devenus interchangeables.  On sent parfois pointer la tentation philosophique. 

 

C’est ici qu’est mentionné le somnambulisme : les somnambules sont les voyageurs du train qui dorment leur vie et ont cessé de croire aux discours de la « science » et de la « politique » (les « ingénieurs » et les « démagogues »). Le somnambule est l’homme à l’état gazeux, entre veille physique et envol spirituel : prisonnier.

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

A finir demain.