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jeudi, 20 mars 2014

33 BALZAC : LE RÉQUISITIONNAIRE  (1831)

Dans mon souvenir, quand on entre dans le château de Saché, on tombe sur une (ou deux ?) bibliothèque vitrée, dans laquelle la Vestale qui veillait sur les lieux et les mânes de Balzac, je veux parler de Paul Métadier, qui avait acheté le domaine en 1926 et en avait fait un musée tout à fait intéressant. Je crois bien que Métadier habitait quant à lui le joli prieuré attenant, comme une marque de respect, voire de déférence, que dis-je, de révérence. Il avait raison. Je peux me tromper.

 

Métadier, entre autres façons de rendre un culte à la divinité, a écrit un remarquable bouquin, Balzac en Touraine (1968, nombreuses photos de Robert Thuillier), où il consacre évidemment plusieurs pages à Saché et aux séjours que l'écrivain a fait chez monsieur de Margonne, poussé par deux raisons : échapper pour un temps à ses créanciers et travailler, travailler, travailler. On raconte qu'il n'était pas rare de le voir travailler douze ou quinze heures par jour. Un forçat.

 

Aujourd'hui, penchons-nous sur Le Réquisitionnaire. Une très courte nouvelle (moins de vingt pages), romanesque et tragique. L’action se passe en 1793. Madame de Dey, veuve d’un lieutenant général, n’a pas voulu émigrer, dans l’unique souci de conserver à son fils Auguste l’immense fortune familiale.

 

Quittant la cour, elle s’est réfugiée dans ses terres de Carentan, où elle s’est mise, par politique, à recevoir les principaux bourgeois de la ville, en plus de la noblesse habituelle : « Elle recevait le procureur de la commune, le maire, le président du district, l’accusateur public, et même les juges du tribunal révolutionnaire ». Diplomate avec ça, mais dangereux. D’autant que plusieurs ne dédaigneraient pas d’épouser cette jolie veuve de trente-huit ans. L’époque est à la méfiance généralisée.

 

Elle voue au dernier porteur du nom une passion dévorante de mère. Or on est en pleine année de la Terreur. Auguste a rejoint l’armée des émigrés. Et le jour où elle ferme sa porte à tout le monde, évidemment, tout le monde voit sous la roche une anguille à sa façon : moins une maladie qu’un secret.

 

En tout cas les soupçons s’accumulent, et les hypothèses se mettent à fleurir : pour l’un, tout cela cache un prochain retour clandestin du fils ; pour l’autre, il s’agit d’un prêtre réfractaire ; pour d’autres, on se prépare à cacher un Chouan ou un Vendéen, un noble évadé des prisons de Paris, voire un amant.

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DANS LA CHAMBRE DE BALZAC AU CHÂTEAU DE SACHÉ

Un négociant d’une grande probité se présente au château pour avertir Mme de Dey qu’elle a intérêt à recevoir de nouveau, comme à l’accoutumée. Il vient en ami. La dame lui montre alors une lettre, écrite par son fils, qui lui annonce son incarcération à la suite de l’expédition de Granville. Il lui fait ses adieux, au cas où, mais la prévient de sa prochaine évasion et la prie de l’attendre pendant au moins trois jours, ce qui explique les préparatifs fiévreux observés par plusieurs observateurs.

 

Morte d’inquiétude, la comtesse est sur des charbons ardents. Mais rien ne se passe comme attendu. Quand un jeune homme qui n’est pas sans ressemblance avec Auguste de Dey se présente à la mairie comme réquisitionnaire pour recevoir son billet de logement.

 

Le maire, croyant identifier Auguste sous les traits du citoyen qui se présente sous le nom de Julien Jussieu, l’envoie, d’un ton ironique, au château, au moment même où l’accusateur public met le marché entre les mains de la comtesse : le fils espéré dispose d’un délai de sept heures. Passé le délai, il sera obligé par ses fonctions de mener une perquisition, espérant faire buisson creux (il aimerait bien épouser la veuve). 

 

Le réquisitionnaire, une fois au château, est directement conduit à sa chambre, sans voir la comtesse. Celle-ci est dans tous ses états. Comme le maire, elle est convaincue que c’est son fils. Dès que l’accusateur est parti, elle monte à la chambre pour embrasser Auguste. Horreur, ce n’est pas Auguste, mais bel et bien le citoyen Julien Jussieu. Le coup est atroce.

 

La comtesse ne s’en remet pas et meurt dans la nuit. Mais pas de regret : au même moment, Auguste est fusillé dans le Morbihan.

 

La force de ce tout petit récit tient à la façon dont Balzac nous fait entrer dans les angoisses de la mère, mieux, nous les fait partager. S’y ajoute l’ironie terrible du quiproquo. Tout cela mené à l’économie, avec même, je dirai, une rudesse un peu sèche, qui fait d’autant mieux ressentir l’ambiance de danger permanent et omniprésent dans laquelle baigna toute la période de la Terreur.

 

Chapeau l’artiste.

 

Voilà ce que je dis, moi.

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