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jeudi, 06 février 2014

23 BALZAC : ETUDE DE FEMME

Cette Etude de femme est une toute petite chose, quelque chose qui se situerait entre l’anecdote et la nouvelle courte. Pas tout à fait un fait divers, puisqu’elle se passe en circuit privé, mais qui fait le tour des salons à la mode, sur l’air de : « Tu ne connais pas la dernière ? ». Pas de quoi se relever la nuit, mais une dizaine de pages où Balzac parvient à peindre une société en mouvement, juste en appuyant à quelques reprises sur le déclencheur de son œil photographique.

 

Dans ce texte, je préviens, on assiste à un festival de formules, de trouvailles et de fusées verbales. En fait, Balzac raconte ici la gaffe monumentale d’Eugène de Rastignac, un Eugène débutant, naïf et emprunté, soupirant étourdi, commise aux heureux temps de ses débuts dans le monde parisien.

 

Occupé à séduire Mme de Nucingen, il lui écrit une lettre où brûle le foyer incandescent de son amour juvénile et inexpérimenté. Or l’histoire a débuté en portant la caméra sur Mme de Listomère, dont je conseille la lecture intégrale et réitérée d’un portrait littérairement éblouissant. Mariée à son marquis de mari, homme insignifiant mais à la situation enviable, elle possède assez de savoir-faire et de virtuosité pour ne présenter aucun défaut dans sa cuirasse d’épouse-modèle qui montre qu’on peut concilier sans problème piété irréprochable et urbanité mondaine.

 

La gaffe d’Eugène, encore jeune et inexpérimenté, consiste à écrire une lettre enflammée d’amour brûlant à Mme de Nucingen, oui, l’épouse du banquier richissime cité dans Le Père Goriot. Oui, mais malheureusement, sur l’enveloppe qu’il demande à son domestique d’aller porter à destination, il inscrit le nom de Mme de Listomère. Quand il s’en rend compte, il est trop tard, le mal est fait. Il est vrai que sa longue conversation de la veille avec la dame lui a laissé sans qu'il s'en doute une impression plus vive qu'il ne pensait.

 

Mme de Listomère lit donc la lettre et décide de « consigner à sa porte » l’insolent Rastignac. Par chance, quand il se présente chez Listomère, celui-ci l’introduit auprès de sa femme. Première erreur, il a attendu quatre jours pour tenter de dissiper le quiproquo, le temps que s’installent réflexions, idées et fantasmes.

 

Deuxième erreur, quand la marquise, qui a fini par croire au contenu de la lettre, l’interroge, il veut à toute force la détromper (au lieu, évidemment, de tenter sa chance, c’est tout au moins l’arrière-pensée de Balzac). Vexée par ce qu’elle prend pour des impertinences, par curiosité, elle voudrait bien savoir qui était la véritable destinataire.

 

A tout hasard, elle prononce le nom de « Nucingen », à quoi il répond « Pourquoi pas ? ». Résultat : « Cette confidence causa une commotion violente à madame de Listomère ; mais Eugène ne savait pas encore analyser un visage de femme en le regardant à la hâte ou de côté ». Il faut croire qu'elle n'a pas été totalement insensible au jeune homme et à la lettre qu'elle a reçue de lui. Peut-être aurait-elle aimé qu'il se mette à lui faire la cour. Qui sait ? Emue et flattée, elle se serait peut-être laissée aller. Or il la blesse par maladresse. Mais la marquise se venge du jeune étourdi en lui rappelant son « lapsus calami », car c’est bien le nom de Listomère qui figurait sur l’enveloppe, et c’est bien de sa plume qu'il est sorti.

 

Mais pour que Balzac parlât de l’inconscient et de ses manifestations dans les lapsus ou les actes manqués, il eût fallu qu’il lût dans je ne sais quelle boule de cristal la future venue au monde d’un certain Sigmund Freud.

 

Pour conclure, Etude de femme n’est certes pas un ouvrage de fond de La Comédie humaine, mais ce très court récit, brillamment mené, montre à quel point Balzac excelle à synthétiser en quelques pages diversité des points de vue et vivacité des images.

 

Voilà ce que je dis, moi.

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