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mercredi, 08 janvier 2014

8 BALZAC : LA MAISON DU CHAT-QUI-PELOTE

Si Honoré de Balzac, dans La Paix du ménage, raconte une réconciliation conjugale obtenue grâce aux savantes manœuvres d’une vieille aristocrate rompue à toutes les intrigues, La Maison du Chat-qui-pelote, en revanche, examine comment, après la naissance d’une passion amoureuse entre deux jeunes gens égaux en sentiments, mais de classes sociales très différentes, après la concrétisation conjugale de cette passion, celle-ci boit la tasse et se noie au bout de quelques années de bonheur. Comment un couple que tout semblait unir indissolublement fait-il pour se désagréger impitoyablement ?

L’histoire commence rue Saint-Denis, devant une maison très particulière, « une de ces maisons précieuses qui donnent aux historiens la facilité de reconstruire par analogie l’ancien Paris ». Une maison à colombages (comme Balzac ne dit pas, mais : « ... aux X et aux V que traçaient sur la façade les pièces de bois transversales ou diagonales ... ») qui, à tout point de vue, est une vivante preuve d’antiquité, autrement dit de stabilité et de solidité.

Je dis « à tout point de vue » parce que monsieur Guillaume, patron de la boutique, autrefois premier commis de monsieur Chevrel, a pris la succession de celui-ci en épousant sa fille, et qu’il n’y a pas de raison que ça s’arrête. On a l’impression que les mœurs familiales sont léguées avec le bâtiment, avec une impression d’éternité, de permanence et de transmission. Il faut que ça se sache : on est ici dans le Commerce. C’est-à-dire qu’on est sérieux de père en fille et de beau-père en gendre.

Le monsieur Guillaume (portrait ci-dessus) de l’histoire ressemble à la fonction qui est la sienne depuis toujours : « La figure de M. Guillaume annonçait la patience, la sagesse commerciale, et l’espèce de cupidité rusée … ». Si la maison « Guillaume, successeur de Chevrel » a une belle renommée de solidité sérieuse et de sûreté en affaires, c’est qu’elle est tout à fait immobile. Je veux dire que Balzac offre ici une vision du Commerce tel qu’il doit être s’il veut avoir des chances de durer.

Le portrait de la famille Guillaume est à cet égard impitoyable, et l’on sent qu’il y a du vécu dans la peinture qu’il en fait. On ne saurait inventer sans l’avoir vue l’énergie de cette application déployée quand il s’agit de compter, de mesurer, de faire un inventaire et d’aligner des chiffres dans les colonnes d’un registre.

Le sérieux en affaires est incompatible avec des choses telles que la rêverie, l’amour ou la gratuité de l’art. Être sérieux, cela suppose d’avoir constamment l’attention fixée sur la notion de quantité. Un homme sérieux est tout entier orienté vers le concret et le matériel de la vie, et cela depuis le premier temps de l’éducation, comme on le constatera en suivant les destins respectifs de Virginie et Augustine Guillaume.

Elles sont en effet « éduquées » dans le seul et unique but de perpétuer l’entreprise familiale : tout ce qui se rapporte à l’imagination n’existe tout simplement pas, et ce qui est certain, c’est que tout ce qui ressemble à de l’amusement ou même simplement au plaisir d’être en vie n’a pas droit de cité chez les Guillaume.

Ce qui va les différencier, et plus tard les séparer, c’est le hasard, en la personne de Théodore de Sommervieux, vicomte de son état et, pour ne rien arranger, artiste peintre de talent. Le malheur d’Augustine a voulu que, passant devant l’antique maison, il a aperçu les yeux angéliques de la jeune fille, et que cela a suffi pour qu’il en tombe éperdument amoureux, au point de faire d’elle un portrait d’une si grande qualité que les responsables du Salon l’exposent sans barguigner.

Il a au surplus peint la scène familiale du repas du soir, qu’il a observée de la rue. Deux toiles qui font l’admiration de la foule des visiteurs de l’Exposition, et qui valent à Théodore les louanges du grand peintre Girodet (mort en 1824, soit six ans avant la publication : rien ne vaut de mêler un peu de réel à la fiction pour lui donner corps et vraisemblance).

A force de ruse et d’intrigue (madame Roguin), Théodore parvient à se faire admettre chez les Guillaume et, comme bien l’on se doute, il finit par épouser sa dulcinée. Le couple vit d’abord dans une sorte d’ivresse amoureuse, un bonheur vaporeux et léger planant sur un nuage rose. Un fils vient bientôt matérialiser ce bonheur éthéré, auquel, pendant une année entière, Augustine va consacrer tous ses soins assidus.

Et puis voilà, c’est la vie conjugale, on s’habitue, on se lasse, et c’est là que la vérité des différences initiales, irréductibles parce que situées à l’origine, vient semer sa perturbation dans le bonheur sans nuage de cet homme et de cette femme. Elle n’a aucune culture, aucune repartie dans la conversation qu’on tient dans les salons parisiens. Elle finirait, s’il continuait à sortir en sa compagnie, par porter sur lui l’ombrage de ses limites intellectuelles et de la maigreur de ses connaissances esthétiques.

Quant à lui, il était très « lancé dans le monde », avant de s’amouracher de cette boutiquière, fille de boutiquier. Il est donc logique que, au moment où le sentiment tiédit et où le désir se refroidit, il ai ait envie de nouveau de voir ses anciens amis d’atelier et ses anciennes connaissances de salon. Or, comme chacun sait, tous ces gens s’entendent à merveille sur le dos des « sentiments vrais » et des « attachements durables ».

Les yeux de Théodore de Sommervieux se décillent donc soudain, après le trop long sommeil de sa raison, pour se réveiller au bord du précipice de la bêtise d’Augustine, dans lequel il est hélas tombé. Mais pour mieux se relever, quand il se reprend à respirer l’oxygène de son atmosphère naturelle.

Quand Augustine prend conscience de son infortune, il est évidemment trop tard. Elle aura beau avoir l’audace de défier sa rivale en amour, la « duchesse de Carigliano », au sujet de laquelle elle a reçu d’une amie « quelques avis méchamment charitables », elle sera vaincue par le désamour qui a gagné son Théodore. Après s’être amèrement et inutilement plainte auprès de sa sœur Virginie et de ses parents, elle meurt à vingt-sept ans.

Virginie ? Elle se porte à merveille. Monsieur Guillaume, au moment de prendre sa retraite, a agréé la demande en mariage formulée auprès de lui par Lebas, le premier commis, qui est devenu son successeur. L’obstination concrète et mesurable du Commerce a aisément triomphé des vapeurs et des mirages des sentiments humains.

Balzac raconte ce qu’il a appris de l’âme humaine. Et ce n’est par forcément gai. Il n’est d’ailleurs pas certain qu’on puisse tirer une règle morale de cette histoire. Même si tout ça paraît bien pessimiste, je crois que pour Balzac, le monde est comme il est. Il faut le prendre ainsi. Ou alors se flinguer.

Voilà ce que je dis, moi.

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