samedi, 23 mai 2015
ÉCOLE À LA DÉRIVE : NATION NAUFRAGÉE
Je suis assez étonné par une des caractéristiques du débat sur la réforme du Collège. Le lecteur de journaux, l’auditeur, le téléspectateur se voient assener à répétition cette constatation brutale et péremptoire : « Le collège en France, par rapport à tous les voisins européens, est le plus inégalitaire ». Même si la réalité est incontestable (150.000 « déchets » par an, ce n'est pas mal du tout), la mise en avant de cet argument par les réformateurs, Hollande-Valls-Belkacem en tête, me semble pour le moins curieuse.
Les tâches qui incombent à l’école deviennent de plus en plus écrasantes. Car il n’y a pas que l’ « inégalitaire » des « chances ». Il y a aussi l’ « inégalitaire » garçon-fille et la « reproduction » des « stéréotypes » de « genre ». Le premier réflexe de tous les importants qui causent dans le poste, face au moindre « problème de société », est de s’exclamer, scandalisés : « Mais enfin, que fait l’école ? ». Il faut que ce soit dit : si tout va si mal dans la société, c’est la faute de l’école.
Comme si la barque n’était pas assez chargée, on exige encore de l’école qu’elle « éduque à la citoyenneté », qu’elle « enseigne la tolérance » et le « respect des différences ». Qu’elle devienne le centre névralgique de la « lutte contre l’antisémitisme », du « combat contre le racisme » et « contre l’islamophobie », de la « guerre au sexisme et à l’homophobie ». N’en jetez plus, la cour est pleine.
C’est sûr, l’unanimité se fait autour d’un même appel, d’une même prière, d’un même espoir, d'une même invocation pathétique : c’est à l’école de sauver la société. C’est de l’école que la société attend désormais le salut. Comme si toute la vie de la collectivité émanait de cette essence suprême : l’Ecole (« républicaine » en général et si possible).
Ma parole, ils sont tous tombés sur la tête. En vérité, les Hollande-Valls-Belkacem enfilent les mensonges et racontent toute l’histoire à l’envers. C’est la société qui fabrique l’école, et non le contraire. C'est pour se fabriquer elle-même, plus tard, on est bien d'accord, mais il reste que c'est la société qui veut l'école, et non l'inverse.
Les inégalités constatées dans le système éducatif sont un produit direct des inégalités visibles au sein de la société. Pour les corriger, il faut que la société commence par se corriger elle-même. L'école suivra. L’état de l’école reflète l’état de la société. Si elle est inefficace à produire de l’égalité, c’est que la société elle-même y a échoué.
Si elle est tiraillée à hue et à dia, c’est que la société est elle-même profondément divisée, fragmentée, éclatée. Ecoutez donc, une seule fois, la demi-douzaine d’intervenants dans un débat sur le collège : pas deux pour mettre en avant la même priorité. C'est bien simple, un consensus national sur l'école est aujourd'hui hors de portée, inimaginable. Et personne n'a l'envergure et l'autorité pour imposer une solution viable, pragmatique et de bon sens.
En gros et de loin, on perçoit bien deux camps, mais irréconciliables : ceux pour qui l’école est d’abord le lieu de la transmission des savoirs à même de faire progresser la nation ; ceux pour qui elle est le lieu idéal pour égaliser les conditions sociales. Résumons : un conception nationale du système éducatif, frontalement opposée à une conception dogmatique, idéologique, voire politique. Ceux qui ont travaillé opiniâtrement à casser l'école française depuis quarante ans sont principalement des idéologues pleins de dogmatisme. Et ne parlons pas de tous ceux qui souffrent de pédagogite aiguë, et prêchent l' « enseigner autrement » et les « méthodes innovantes ».
La société fabrique l’école qu’elle se donne les moyens de mériter, je ne sors pas de là. L’état actuel de l’école préfigure l’état futur de la société présente (le pronostic est donc sombre). L’école n’est pas une fin en soi : elle est un outil entre les mains de la société pour se façonner en vue de devenir ce que la société a projeté qu’elle voulait devenir.
Que veut la société française aujourd’hui ? Bien malin qui pourrait le dire. La France est-elle encore une nation parmi les nations ? Est-elle au contraire le phare des « valeurs », de l’égalité et des droits de l’homme ? Il y a fort à parier que, sans la première, le second est condamné à disparaître. Qui veut une nation forte, aujourd'hui, en France ? Même pas la Le Pen, malgré ses couinements de rat dans le gruyère.
Pas d’école sans projet d’avenir collectif. Je dirais même : sans projet d’avenir national. Mais la France est-elle en mesure de se projeter dans l’avenir ? Quel responsable politique est aujourd’hui capable de proposer une vision d’avenir ? Ils sont tous à se demander comment on pourrait colmater les brèches et les fissures dans la coque du navire (à noter que navire et avenir font anagramme). Une zizanie féroce oppose les membres de l'équipage. Pour varier l’image : ils sont tous à dénoncer « la France panier percé ». C'est bien connu : « La France n'a plus les moyens ».
Dans cette France idéologique et dogmatique, à cet égard, le fait de supprimer toute filière risquant de favoriser telle catégorie de la population, autrement dit la hantise obsessionnelle de l’élitisme, a quelque chose d’absolument dément. Toutes les « filières d’excellence » sont suspectes a priori de favoriser les favorisés. Et ce sont d’anciens excellents élèves qui les font passer à la trappe.
Je signale à ce sujet que la suppression des classes bilangues et européennes aura un effet paradoxal au lycée de Wissembourg : je sais en effet de source sûre que les bons élèves qui y fréquentent ces sections pour passer un bac, entre autres, en allemand, sont souvent d’origine turque. Eh oui ! Le collège va produire de plus en plus de « déchets ».
Si l'école en France ne va pas bien, c'est que la France va mal. Pourquoi voudriez-vous qu'il y ait une Ecole, quand il n'y a plus de Nation ?
Voilà ce que je dis, moi.
09:00 Publié dans DANS LES JOURNAUX | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : france, société, nation, politique, système éducatif, réforme collège, françois hollande, najat vallaud-belkacem, manuel valls, éducation nationale, marine le pen, wissembourg