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jeudi, 24 avril 2014

QUE PEUT LE POLITIQUE ?

DE L’IMPUISSANCE DU POLITIQUE 4/4

 

ELLUL 1 JACQUES.jpgOh certes, ce n’est pas le pouvoir de décider. Mais, pour revenir à Jacques Ellul, il signale dans son livre d’entretiens A temps et à contretemps (avec Madeleine Garrigou-Lagrange) qu’il était obligé de se fier aux auteurs des dossiers qu’on lui présentait, sans en connaître précisément le contenu, encore moins les tenants et aboutissants : « On me fournissait des dossiers qui ne s’appuyaient pas sur des études sérieuses ou encore on me demandait de donner ma signature, juste ma signature ». Mais lui au moins, il n’a envisagé qu’un court instant de faire carrière dans la politique.

 

Car lui, ce qu’il voulait, c’est proprement exercer une action sur le réel, une action dont le but unique était de modifier les structures mêmes de l’organisation sociale. Il a abandonné quand il a vu que ce n’était pas possible : 

 

« Et nous nous sommes heurtés par exemple au quadrillage des partis politiques traditionnels, exactement les mêmes qu’avant-guerre. Les radicaux-socialistes et les socialistes notamment, avec leurs permanents, bloquaient rigoureusement tout. (…) Et nous nous trouvions en présence de vieux matois chevronnés qui savaient comment on fait une réunion politique et comment on la bloque. Les réseaux politiques se sont reconstitués instantanément. C’est lors de cet échec et de ces manipulations que j’ai conçu une défiance et même une détestation à l’égard des milieux politiques. Je ne parle pas seulement de la classe politique dirigeante mais de la micro-classe, des responsables de sections et de comités à l’échelon local, c’est désolant et irrécupérable ».

 

Cela a beau être dit en 1981 à propos des années suivant la Libération, qui contesterait la validité d’un tel propos, une fois appliqué à la situation de la France aujourd’hui ? On peut toujours nous bassiner, à longueur de télévision, de radio et de journaux que la France est une société bloquée du fait de la crispation des Français sur les avantages acquis ou des fonctionnaires cramponnés à leurs privilèges, ce discours accusatoire ne tient plus debout.

 

Ce qui est sûr, c’est que les bonnes volontés qui se sont manifestées à l’occasion d’un séisme comme la 2ème guerre mondiale, ont vite été mises au pas, prises en tenaille entre l’élite administrative des hauts fonctionnaires de l’Etat et une classe politique soucieuse de se rétablir et de se conserver. Jacques Ellul était sans doute naïf en 1945, mais une fois refermée la parenthèse de l’Etat français pétainiste, la vie normale a repris son cours, avec les mêmes structures, la même organisation et les mêmes mécanismes. Aucune bonne volonté ne résiste à la puissance d’une telle inertie.

 

Or une structure, dès lors qu’elle existe, veut à tout prix se pérenniser. Comme dans la fourmilière, où peu importe l’identité de chaque fourmi, pourvu que la fonction soit exercée au bénéfice de la fourmilière entière, l’Administration existe par elle-même. La tête du ministre peut changer, les services demeurent, avec leurs habitudes, j’allais dire leurs routines.

 

Il y a fort à parier qu’un tel système est irréformable. S’il vient à l’idée de monsieur Manuel Valls de vraiment « réformer en profondeur » (comme il l’annonce et comme cela se susurre avec complaisance), n’en doutez pas : la réforme se fera aux dépens du peuple. Ne comptez pas sur les élites politiques pour se réformer. Ne comptez pas non plus sur les élites administratives qui composent la haute fonction publique pour accepter que quiconque leur impose de se réformer.

 

Or les élites politiques et les élites administratives (auxquelles il faudrait ajouter les élites économiques et médiatiques) constituent le cœur du système qui conduit la France aujourd’hui. J’attends de tous ces gens confortablement installés dans l’existence un signe qui me permettrait de ne pas désespérer d'eux et des leurs gesticulations bavardes, médiocres et impuissantes.

 

Par exemple, ils pourraient passer aux aveux, comme Lionel Jospin, alors premier ministre, avait commencé à le faire, avant de se faire balayer par Le Pen en 2002. Et pourtant, qu'avait-il dit comme énormité ? Ah oui : « L'Etat ne peut pas tout ». Comme Rocard autrefois, avec son : « La France ne peut pas accueillir toute la misère du monde ». L'expression "... ne peut pas ..." est un tabou absolu. Un homme politique qui avoue son impuissance à façonner le réel commet un suicide politique. Il sait que s'il déroge au principe sacré du « N'avoue jamais », politiquement cramé, il met fin à sa carrière.

 

C'est la raison pour laquelle nous pouvons attendre longtemps. La classe politique française, en chemise et la corde au cou, façon Eustache de Saint Pierre et Bourgeois de Calais en 1347, ce n'est pas pour demain. C'est dommage : ç'aurait été particulièrement jouissif. Pour une fois.

 

Voilà ce que je dis, moi. 

 

NB : Il va de soi que je n’ai pas parlé ici des contraintes qui pèsent sur les politiques français du fait de la « construction européenne » (laissez-moi pouffer, quoique jaune) ou de la « mondialisation économique », deux raisons supplémentaires de désespérer de l’avenir. Inutile, je crois, d’en rajouter. 

 

 

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