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mardi, 04 mars 2014

30 BALZAC : LA FEMME DE TRENTE ANS

Le quatrième chapitre de l’ouvrage composite est à mon avis le plus impressionnant, le plus spectaculaire et le mieux fabriqué. On commence par un récit à la première personne, où le narrateur se donne comme témoin de la scène. Et ce qu’il décrit, c’est d’abord la vue merveilleuse qu’il a d’un Paris disparu, non seulement celui d’avant sa mise au cordeau et son quadrillage par les lubies impériales de Napoléon III assisté du baron Haussmann, mais aussi celui d’avant la révolution de 1848.

 

Ce tableau général ne manque pas d’intérêt historique, mais débouche sur une sorte de « Scène de la vie privée » pas piquée des hannetons. Celui qui se donne comme narrateur et témoin (à la première personne) évoque en effet une scène saisie dans une sorte d’intimité familiale, mais qui comporte quelque chose de bizarre : un homme et une femme se promènent en compagnie de deux enfants.

 

Le premier, un petit garçon, est l’objet de toutes les tendresses et cajoleries de l’homme. Le deuxième, un enfant vêtu comme le premier quoique plus chichement, est en réalité une fille, dont le regard sournois et dur surprend le narrateur-témoin, et qui reste constamment à distance. La jalousie est épaisse à couper au couteau.

 

Au moment où l’homme rejoint son tilbury et son cocher qui l’attendent non loin, la mère fait moins attention au petit garçon, qu’elle perd un instant de vue. C’est le moment que la petite fille saisit : alors que le garçon est au sommet d’un talus, elle le pousse violemment. Il tombe, roule sur le talus, ne trouve rien pour s’arrêter et tombe dans la rivière. Celle-ci s’appelle la Bièvre, qui sauf erreur fut la rue des tanneurs parisiens (avant d'être la rue d'un certain François Mitterrand). Pour dire que l’eau est épaisse et sale.

 

Le garçon disparaît dans les eaux brunes de la Bièvre. La fille, qui s’appelle Hélène, pousse un cri, alertant la mère qui, arrivée en courant sur les lieux, ne peut que constater la disparition tragique de l’enfant de l’adultère. Il y a de la vengeance conjugale dans ce meurtre : la petite fille à rendu justice à son père légitime en supprimant le fruit du péché, dont les deux amants (on a compris : Julie d’Aiglemont et Charles de Vandenesse) l’ont faite le témoin gênant. J’avoue que cette histoire marche du tonnerre, avec l’évidence de ce qui tranche violemment dans le vif.

 

L’épisode suivant (toujours le chapitre IV) met en scène un notaire comme Balzac les aime, c’est-à-dire stupide et borné à faire barrir  ou blatérer un cheval de grande race (je propose aussi : "hennir un chien qui se bidonne"). Cet importun s’interpose entre les deux amants, qui sont évidemment Charles de Vandenesse et Julie d’Aiglemont, en leur imposant sa présence au-delà du seuil légal, parce qu’il n’a pas compris que le marquis n’a été envoyé au théâtre avec les deux enfants que pour laisser champ libre à l’amour des amants. Plus demeuré que le notaire Crottat, tu meurs.

 

L’intérêt de l’épisode est contenu dans la double raison de l’échec du complot amoureux et adultère, car, à part l’importunité du notaire, quand le grand barbu, sur la scène du théâtre où les enfants ont été emmenés, jette dans la rivière un petit garçon très gentil et aimé, Hélène s’est mise à pleurer, sans pouvoir expliquer pourquoi. D’où la fuite précipitée. Ce quatrième chapitre, démarré et achevé en pure comédie, est tout d’un coup lardé d’une flèche tragique. Julie, entendant ce récit fait par son mari (il ignore évidemment tout des faits racontés dans le début du chapitre), reste si pétrifiée de saisissement que celui-ci se met à soupçonner quelque secret à lui dissimulé.

 

Le cinquième chapitre, quant à lui, j’ai bien envie de dire qu’il est conçu et conduit de façon abracadabrante. Ah c’est sûr, il y a de la passion et du spectaculaire, mais tout cela est soumis au bon vouloir du romancier, ici d’un parfait arbitraire. Disons que ça part dans tous les sens. Le général, sa femme et ses enfants sont douillettement installés dans leur maison de campagne, la soirée est la paisibilité même. Le général est béat de bonheur. Soudain, le destin frappe violemment à la porte.

 

Un homme demande asile, mais sous la condition du secret le plus absolu. Le militaire donne finalement sa parole, et abrite le fugitif dans une pièce située juste au-dessus du salon familial. Quand les gendarmes, qui poursuivent celui qui est un criminel (il vient de hacher le crâne du baron de Mauny), font irruption à la porte, la mère demande à Hélène (la même qu’au début du IV), jeune fille, d’aller voir qui est enfermé à l’étage au-dessus, la décision d’Hélène est prise : elle partira avec l’homme qui fuit.

 

C’est ce qui arrive. Reniée par son père, on n’entend plus parler d’elle. Mais le destin (encore lui !) les mettra de nouveau en présence. Le général, blessé « jusques au fond du cœur d’une atteinte imprévue aussi bien que mortelle », va faire fortune au-delà des mers, et y réussit au-delà de ses espérances.

 

Le malheur veut que le bateau du retour, sur lequel il a embarqué, paisible navire commerçant chargé des richesses amassées par quelques négociants et par le marquis lui-même, soit attaqué par le bateau corsaire du « Capitaine Parisien », qui n’est autre que l’assassin inconnu du jour fatal, et dont la femme n’est autre qu’Hélène d’Aiglemont. Le contraste est saisissant. Hélène vit dans l’opulence des rapines opérées sur mer par son époux. Grand seigneur, le pirate laisse au général la vie sauve et la fortune, et le fait conduire à terre.

 

L’épilogue de l’aventure se situe dans une auberge des Pyrénées. Madame d’Aiglemont ayant fait un séjour « aux Eaux » avec sa dernière fille Moïna, importunée pendant toute une nuit par les gémissements d’un enfant dans la chambre à côté, elle découvre qu’il n’est autre que son petit fils, dont la mère est Hélène.

 

Tous deux meurent d’épuisement et d’inanition, mère et fille en conflit inexpiable. On comprend que le navire du corsaire a fait naufrage. J’ai oublié de dire que le général avait eu le temps de mourir (de sa belle mort), sans avoir pu comprendre le secret criminel qui liait sa femme et sa fille.

 

Le dernier chapitre (« La vieillesse d’une mère coupable ») raconte la triste fin d’une femme qui a toujours vécu à l’abri du besoin, c’est sûr, mais qui, « mal jetée dans la vie » (mais qui connaît les chansons de Benoît Vauzel ?), l’a grossièrement ratée, et dès le départ. Moïna, sa fille préférée, à qui elle a passé tous les caprices, est devenue Mme de Saint-Héreen. M de Saint-Héreen voyage au loin. Le fils de Charles de Vandenesse, Alfred, est l’amant de cœur de l’épouse délaissée.

 

Il a réussi en peu de temps à perdre Mme d’Aiglemont dans l’esprit de sa fille (vieille vengeance recuite dans le cœur de son père ?), qui a fini par la mépriser radicalement. On a encore droit ici à une petite tirade sur LA FEMME (« La physionomie des femme ne commence qu’à trente ans (…) mais dans la vieillesse, tout chez la femme a parlé (…) ») assez haute en couleur. Rien n’y fait : la fille est impitoyable avec sa mère, et quand celle-ci, dans le sable, aperçoit la trace de la chaussure d’Alfred de Vandenesse, elle sent toute l’acuité du mépris de sa fille pour elle. C’en est trop, elle s’effondre et meurt peu après.

 

En somme un bien curieux ouvrage qui, sans trop d’unité, faute d’avoir été conçu d’une seule pièce au départ, laisse des impressions contrastées, avec des points très forts qui marquent le lecteur, mais aussi d’autres dont on se demande ce qu’ils font là. Je suis d’accord avec ceux qui disent qu’il y a quelque chose d’extravagant dans la conception et la composition de l’ouvrage.

 

Voilà ce que je dis, moi.

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