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samedi, 08 février 2014

25 BALZAC : ADIEU (1830)

Résumé de l’épisode précédent : la « Grande Armée » est en lambeaux, et les derniers lambeaux espèrent franchir la Bérésina.

 

Jusqu’à aujourd’hui, je ne savais pas bien pourquoi je mettais dans ce blog des comptes rendus de mes lectures. Je l’ai fait abondamment pour Henri Bosco récemment, je recommence avec Honoré de Balzac. Je crois avoir compris. Certains me diront : « C’est pas dommage ! ». Peut-être. En fait, j’essaie de mettre en forme les souvenirs de mes lectures. Pour l’instant, je n’ai pas trouvé plus juste : mettre en forme les souvenirs de mes lectures. Et accessoirement des impressions ainsi produites. Après tout, ce n’est déjà pas si mal.

 

Je ne veux pas résumer cet épisode du 29 novembre 1812 raconté par Balzac, qui tient en une vingtaine de pages, dont je conseille vivement la lecture aux amateurs de sensations fortes, où l’auteur donne libre cours à son génie de la peinture de genre. La description de ces débris d’une armée défaite, dont la dernière chance de survie est d’emprunter le dernier pont sur le fleuve, est d’une belle intensité tragique. La plupart des hommes se laissent aller, résignés et sans réactions. Ceux qui tiennent encore semblent retournés à la barbarie. Bref, le sentiment de la terrible catastrophe à laquelle la folie guerrière de Napoléon a mené sa « Grande Armée » est puissamment dépeint par l’auteur.

 

Le baron de Sucy, qui a demandé à un fidèle grenadier, Fleuriot, de sauver le comte de Vandières et sa femme (dont il est amoureux, et c’est réciproque), sera fait prisonnier par les Russes. Il n’est revenu (on est alors en 1819) que depuis à peine un an au moment du récit. La comtesse, au moment de franchir la Bérésina, a crié un seul mot à son amant : « Adieu ! ».

 

Rendue folle par les mauvais traitements, la solitude et la faim supportés pendant son très long périple de retour à travers l’Europe, elle n’a plus que ce mot à son vocabulaire.  Après mille péripéties, elle est récupérée par son oncle médecin, le docteur Fanjat, qui entreprend de veiller sur elle et de la protéger. Elle se livre à mille excentricités arboricoles dans le parc des Bons-Hommes. Elle vivrait nue si le grenadier Fleuriot ne lui avait appris à mettre quelques vêtements.

 

Sachant cela, Philippe de Sucy décide alors d’entreprendre de la guérir à tout prix, et d’abord de s’en faire reconnaître. Peine perdue, elle reste absente, même si une fois, dans son sommeil, elle a prononcé « Philippe ». Il renonce à se suicider après l’avoir tuée (il avait apporté les pistolets pour cela), et se réfugie dans une de ses terres, n’ayant rien abandonné de son projet de guérison.

 

La folie grandiose du projet du baron est, chez lui, de reconstituer méticuleusement le décor entier dans lequel ils se sont vus avant leur séparation, le moment où elle traverse la Bérésina, ce dernier moment où elle a crié son « Adieu ! » pathétique, et où sa raison abdiquée s’est immobilisée.

 

Il rase ses bois, sculpte ses collines, creuse une nouvelle Bérésina sur laquelle il jette un pont. Il attend que l’hiver ait couvert tout ce paysage de neige, puis, aussi satisfait de son décor que dut l’être Victor Fleming de sa reconstitution d’Atlanta dans Autant en emporte le vent, il court aux Bons-Hommes pour y chercher Stéphanie de Vandières. Monsieur Fanjat accepte de participer au stratagème démesuré et généreux, et se débrouillera, grâce à un peu d'opium, pour que sa nièce se réveille au matin dans ce décor trompeur.

 

Le baron, qui a pris soin de revêtir plusieurs centaines de paysans d’ « uniformes délabrés » et de les dissimuler un peu partout parmi des cabanes en bois qu'il a fait incendier, a revêtu de drôles d’habits pour aller chercher sa belle : « Il portait les vêtements souillés et bizarres, les armes, la coiffure qu’il avait le 29 novembre 1812 ». On est alors en janvier 1820.

 

Au signal imitant un coup de canon, « mille paysans poussèrent une effroyable clameur … ». Stéphanie, terrorisée, saute de la voiture, voit ce paysage, voit un homme en train de jouer du sabre. C’est le baron Philippe. Elle regarde tout, longuement : « … puis elle passa la main sur son front, avec l’expression vive d’une personne qui médite ». Autour, tout le monde a fait silence. Balzac note que « le docteur pleurait ».

 

Alors se produit le miracle tant attendu : Stéphanie « tourna vivement la tête vers Philippe et le vit » (souligné par l’auteur). Elle est soudain de nouveau de plain pied dans le monde réel. Balzac a particulièrement soigné les effets produits pas ce retour de l’absente parmi les hommes, décrit comme une sorte de renaissance à l’humanité.

 

Revenue à la vie, elle se jette dans les bras du colonel, mais c’est pour y mourir aussitôt, en lui soufflant une dernière fois : « Adieu, Philippe. Je t’aime, adieu ! ». Ce qu’il gardera pendant encore dix ans, comme un fantôme qui le hante, c’est le dernier sourire qui errait sur le visage de sa belle maîtresse. Il tiendra dix ans, puis se brûlera un jour la cervelle.

 

On dira : veine « romantique » de l’inspiration balzacienne, où l’auteur ne craint pas d’user de grands effets de manche pour produire de l’émotion à coups de lyrique, de pathétique et tout ce qu’on voudra. J’en suis d’accord, mais je mettrai au défi de faire aussi bien ceux qui font la fine bouche, et d’essayer de peindre aussi parfaitement la scène du 29 novembre 1812 sur la Bérésina, ou alors le tableau de la comtesse folle sautant presque de branche en branche dans le parc des Bons-Hommes, ou encore le moment de sa résurrection et de sa mort dans les bras du baron.

 

Je peux attendre longtemps.

 

Voilà ce que je dis, moi.

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