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mardi, 17 décembre 2013

3 BALZAC : LES CHOUANS

Dès le début des Chouans, on est dans une ambiance de guerre : la colonne de Hulot marche vers le sommet de La Pèlerine, emmenant la troupe des conscrits que Fougères devait fournir à la République, et qu’on a eu les pires difficultés à recruter. On est en 1799. 

Sur le plan romanesque, je comprends mal le surgissement de Marche-à-Terre sur la route : Balzac aurait voulu mettre la puce à l’oreille de Hulot, il ne s’y serait pas pris autrement. Or, qu’est-ce qu’une embuscade, je vous le demande ? Car c’est sa présence qui incite le chef à la méfiance et à la prudence, et qui permettra aux soldats de ne pas être anéantis. D’accord, ça permet à Balzac de planter ce personnage central, mais bon.

 

Une scène assez marrante se déroule ensuite : les Chouans attendent plus loin sur la route une voiture (une « turgotine ») pour la piller. Il paraît qu’elle recèle une coquette somme en or. Cette idée de pillage, qui fait horreur au « Gars », gentilhomme chevaleresque, est défendue par Madame du Gua, l’autre figure royaliste du roman : « Mais d’où venez-vous donc, pour croire que vous vous servirez des Chouans sans leur laisser piller par-ci par-là quelques Bleus ? Ne savez-vous pas le proverbe : ʺVoleur comme une chouetteʺ ? Or, qu’est-ce qu’un Chouan ? ». C’est vrai, on dit que « Chouan » est fait sur « chat-huant », mais est-ce bien sûr ?

 

Or le drôle de l’affaire, c’est que l’or trouvé dans la voiture appartenait à la dite Madame du Gua, et il est trop tard pour elle pour courir après les pillards, qui se sont égaillés dans la nature. On retrouvera beaucoup plus tard un autre personnage pittoresque, qui se cachait comme un vil pleutre tout au fond de la turgotine : monsieur d’Orgemont, de Fougères, dont la maison recèle une particularité tout à fait romanesque, prouvant que la Révolution a honteusement engraissé un certain nombre de gens malins. Il est vrai qu’il manquera alors de se faire griller les pieds par quelques Chouans qui veulent lui faire avouer où il cache sa caverne d’Ali Baba.

 

Je laisse de côté tout ce qui se passe dans l’auberge où ce petit monde se retrouve (Bleus, divers voyageurs et, dans l’ombre, les Chouans), en notant juste l’art avec lequel Balzac met le lecteur dans l’ambiance de vigilance méfiante et prudente qui habite et guide tous les personnages dans leurs propos : personne ne sait à qui il a à faire, et nul ne peut se fier à quiconque. Je recommande aussi le dialogue de joute amoureuse que l’auteur met dans la bouche du Gars et de Marie.

 

Je m’attarde juste sur le personnage de Francine, une Bretonne, la dame de compagnie de Marie de Verneuil, l’envoyée de la République en général et de Fouché en particulier. Il se trouve que Francine est la fiancée de Marche-à-Terre, qui se prénomme Pierre. Elle surprend la fin des consignes que Madame du Guâ donne à ce dernier, dont Francine obtient la promesse qu’il épargnera la vie de sa maîtresse, à qui elle doit tout.

 

Les circonstances feront qu’il tiendra sa promesse mais, si je puis dire, sans l’avoir voulu. Hulot a donc envoyé sa démission au Directoire, pour cause de commandement féminin. Ses deux amis, Gérard et Merle, qui commandent la troupe en son absence, se laissent attirer au domaine de La Vivetière, château de Madame du Gua. Le guet-apens est si évident que le lecteur se demande pourquoi les Bleus se laissent ainsi manger sans réfléchir. Excès d’une confiance curieusement placée.

 

Car c’est au château que se trouve réunie toute la conspiration royaliste et, pendant que les soldats s’endorment en toute quiétude, les taillis alentour se peuplent d’une faune chouanne armée jusqu’aux dents, et qui n’attend qu’un signal pour passer à l’action. Je passe sur les péripéties. Les deux officiers sont assassinés, comme la soixantaine d’hommes qui ont cru en la parole de gentilhomme du marquis de Montauran, le « Gars ».

 

Balzac à cette époque est loin d’être légitimiste : excepté Montauran, les royalistes de la rébellion chouanne n’ont aucune dignité, et sont présentés comme de petits comploteurs de bas étage, comme on le verra plus tard lors du bal organisé à Saint-James, où leurs âmes basses s’inquiètent auprès du Gars de ce qu’ils recevront du Roi en retour de leur « dévouement ».

 

Marie de Verneuil échappe presque par miracle au carnage, et parvient à s’enfuir avec Francine dans une voiture conduite par un postillon terrorisé. On la retrouvera retranchée à Fougères, où Corentin lui a trouvé une maison à louer, et où la garnison a retrouvé son Commandant en la personne de Hulot, dont la démission a été refusée.

 

J’ai omis de parler de Corentin. Ce n’est pas très grave, parce que le personnage, s’il apparaît très régulièrement, ne joue qu’un petit rôle dans la mécanique du roman. C’est l’espion chargé par Fouché de superviser toute l’opération dont Marie est l’instrument, et de veiller à la mener à bonne fin.

 

En dehors de sa manigance pour tendre un piège au Gars (une fausse lettre de lui à Marie), le seul intérêt qu’il présente est l’aversion totale à son égard manifestée par Hulot. Le fait que Balzac lui prête l’ambition et l’espoir de convoler un jour avec Marie ne parvient guère à lui donner de la consistance.

 

Le militaire, à l’esprit direct et droit, et le policier, armé de ruses et de calculs, ne sauraient se comprendre, tant ils voient l’action différemment. Ils se sépareront à la fin sur cette parole de Hulot : « Puisque ta besogne est finie par ici, fiche-moi le camp, et regarde bien la figure du commandant Hulot, pour ne jamais te trouver sur son passage, si tu ne veux pas qu’il fasse de ton ventre le fourreau de son bancal ». Rien de mieux qu’une bonne haine (un bancal est un sabre ; mon Larousse 1903 donne cet exemple, aujourd'hui exotique : "Les gendarmes sont armés de BANCALS").

 

Car Hulot, en militaire aguerri, n’éprouve point de haine envers l’ennemi qu’il est chargé de combattre. Lorsque le Gars, après son mariage intime avec Marie, échoue à fuir Fougères et gît sur un brancard à côté de Marie qui agonise (elle avait revêtu les habits de son récent mari pour détourner de lui l’attention des soldats, en vain), Hulot lui promet de transmettre son message à son jeune frère, réfugié en Angleterre : « Le marquis put encore remercier par un signe de tête son adversaire, en lui témoignant cette estime que les soldats ont pour de loyaux ennemis ». Ah, la chevalerie !

 

On comprend, une fois le livre refermé, pourquoi Balzac, concevant l’immense cycle de La Comédie Humaine, a inclus Les Chouans a posteriori dans les « Scènes de la vie militaire », dont il est au demeurant le seul épisode. Certains y voient son premier chef d’œuvre. On peut le dire.

 

Voilà ce que je dis, moi. 

Commentaires

Pardons mais j'aurais finalement été plus marqué par l'esthétique et le mouvement du film que celui du livre dont je ne garde pas un bon souvenir, hélas

Écrit par : chirurg | mercredi, 18 décembre 2013

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