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vendredi, 14 novembre 2014

QUE RESTE-T-IL DE 14-18 ?

UN DÉTOUR PAR LE MONT LINGE

 

Ce qui reste de 14-18 ? Un peu au nord (une trentaine de kilomètres ?) du Hartmannswillerkopf (voir hier), on trouve le « Mont Linge » (il faudrait plutôt dire "collet du Linge"). C'est situé au-dessus de la vallée de Munster, qui s'ouvre à la hauteur de Colmar. Pas forcément évident à trouver, si je me souviens bien. Enfin, peut-être qu'aujourd'hui, avec la "signalétique" ...

LINGE COLLET.jpg

J'ai découvert le lieu un peu par hasard. J'avais déjà commencé à photographier les monuments aux morts chaque fois que je traversais un village, un bourg, une ville, une cité. Vous ne pouvez pas vous tromper : il y en a dans toutes les communes de France (36000 environ), à part quelques-unes qui, de deux choses l'une, n'ont envoyé aucun homme au combat, ou bien les ont tous vus revenir. Autant dire que ça ne fait pas beaucoup.

C'était avant que la manie des « lieux de mémoire » et du « devoir de mémoire » ait gagné les autorités (Mitterrand ?) et convaincu quelques bonnes volontés qu'il fallait faire quelque chose pour empêcher la nature, en reprenant ses droits, de faire disparaître les traces de ce qui s'est passé là, pendant les quatre ans de la première guerre mondiale, et avec une sauvagerie particulière entre juin et octobre 1915, pour ce qui concerne le Linge.

Je peux vous dire qu'avant les travaux de restauration entrepris pour reconstituer les lieux, on ne pouvait pas aller partout, loin de là. Pas de parking : vous gariez la voiture au bord de la petite route, à côté d'une petite bâtisse qui avait l'air de pas grand-chose, et qui faisait office de musée. Une seule petite pièce où étaient entreposés des objets, rouillés pour la plupart, parfois méconnaissables, qu'un gardien épisodique (et bien entendu bénévole) trouvait ici et là, en parcourant la crête, beaucoup de douilles évidemment.

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J'y suis retourné il y a quelques années. Je n'ai rien reconnu. Le site était devenu propre et net. Des tracés rectifiés, des tranchées maçonnées, plus rien à voir avec le fouillis de piquets et de barbelés entre lesquels il fallait faire attention en posant le pied. Le plus curieux, je n'ai pas retrouvé comme j'en avais gardé le souvenir ces deux tranchées de première ligne, l'allemande et la française, qui se faisaient alors face, non : qui étaient carrément nez à nez.

IGN L8.jpg

Il me semblait en effet que dans leur premier état, la proximité des deux boyaux aurait permis aux soldats des deux camps de se serrer la main tant ils étaient proches. Ils pouvaient se regarder dans le blanc des yeux, les "ennemis". J'aurais dit que moins d'un mètre les séparait. J'ai entendu dire que c'était d'ailleurs la raison qui obligeait les commandements à maintenir un rythme rapide de rotation des unités, sans doute des fois que les types auraient perdu l'envie de se tirer dessus, à force d'échanger paquets de cigarettes et boîtes de conserve.

MONT LINGE 9.jpg

Les positions ennemies étaient militairement de valeurs très inégales : les Allemands avaient eu tout le temps de creuser de grands trous dans la pente de la montagne dominant la plaine d'Alsace, d'aménager dans ces cavernes des casemates bétonnées, de disposer leur artillerie bien à l'abri, tandis que les Français, occupant le terrain en retrait de la crête, plus proche de l'horizontale, étaient beaucoup plus exposés. Les lois de la balistique sont implacables : vu l'angle de la pente où étaient blottis les Allemands, la précision des mortiers français était très aléatoire. En comparaison, celle des canons d'en face était mortelle. Mais ça ne les a pas empêchés de mourir en nombre, eux aussi. La preuve :

MONT LINGE 13 BAERENSTALL CIM MILIT ALL.jpg

Fallait-il retaper de tels lieux au motif qu'on ne doit pas oublier ? Les laisser en l'état, quitte à permettre à la nature de faire disparaître les traces ? Honnêtement, je n'en sais rien. Cela fait deux pour et deux contre. Ben oui, deux avantages et deux inconvénients, quoi.

S'il m'avait fallu décider, s'il n'avait tenu qu'à moi, suivant ma pente personnelle, j'aurais laissé la montagne en l'état. Il faut faire preuve de modestie devant le monde. Toujours cette volonté de voir le temps faire son œuvre, et de jauger ce qu'il fait des œuvres humaines, y compris des guerres industrielles, comme l'a été celle de 14-18.

Rien qu'à l'idée de voir les futurs cars de touristes déverser leurs hordes d'appareils photo bavards et futiles, collectionneurs de choses mortes, bipèdes indifférents à tout, qui se promènent pour se désennuyer sur une terre que le sang de tant de morts a rendue sacrée, je dis non. Trop pour moi.

Je pose la question : qu'y a-t-il de sacré, pour le touriste ? A tout prendre, je préfère encore le pèlerin. A condition que ce soit un vrai, et pas un de ces touristes déguisés, vous savez, de ceux qui veulent pouvoir dire ensuite qu'ils ont, par exemple, « fait Compostelle ».

Voilà ce que je dis, moi.