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mercredi, 29 octobre 2014

UN « CRÉTIN » PARLE AUX « CRÉTINS »

On me dit que je caricature et généralise quand je parle des Puissants, des Décideurs, des « élites dévoyées ». Eh bien demandez donc à l'éditorialiste du Monde de ne plus me traiter de "crétin". Qu'il retire ses propos et qu'il fasse des excuses. On a sa dignité : il n'avait qu'à pas commencer. Et puis d'abord, c'est celui qui le dit qui l'est.

CRETINS MARDI 21 OCT 2014.jpg

Mais voyons, monsieur, « élites dévoyées », il ne faudrait pas généraliser. Il ne faudrait surtout pas que les « élites dévoyées » se sentent stigmatisées. On en arriverait vite, rendez-vous compte, au « Tous pourris ! » qui « fait le jeu du Front National », n’est-ce pas. Le problème, c’est que je caricature, mais à peine. Eh bien ce n’est pas l’Editorial du Monde du 22 octobre (Place Vendôme, le créateur et les crétins) qui me convaincra du contraire. Au contraire.

 

Quand un homme ne sait plus quoi faire de son argent, comme je le disais, il le jette par les fenêtres. Il fait comme les pays pauvres ou en guerre (de préférence les deux), qui jettent dehors, et de préférence à la mer, toutes leurs populations superflues. Cela donne quelque chose qui s’appelle « N’importe quoi ». Et j’ajoute : « Pourvu que ça fasse de la mousse ». Surtout s’il trouve un Décideur complaisant, d’accord avec lui pour décréter : « Tout est permis », et à apposer sa signature au bas de l'autorisation. Plus qu'à poser le "plug anal" en pleine place Vendôme.

 

Les gens situés à proximité plus ou moins immédiate des bureaux sur lesquels on pose les papiers sur lesquels les « décideurs » sont invités à apposer le graffiti ou l’arabesque à l’encre de leur signature par des larbins distingués qui sortent des Grandes Ecoles, ces gens, dis-je, composent un potager et une faune qui, à force de grandir dans des serres séparées et d'être conservés dans des bocaux bien à l’abri du « plein champ » où prospère l'épaisse rusticité du « vulgum pecus », se font de celui-ci une idée aussi virtuelle que les images des jeux vidéo grâce auxquels ils prennent quelques moments de détente, entre deux stress insoutenables, là-haut, tout en haut de l’échelle.  

 

Puissants (détenteurs de l’argent privé) et Décideurs (détenteurs de la signature publique) ont donc adopté ce qui se fait de mieux dans le domaine de l’Art et de la Culture en matière de contestataires, réfractaires, insoumis, dissidents, marginaux, déviationnistes, provocateurs, immoralistes, subversifs, anticonformistes, anarchistes et j'en oublie sûrement.

 

Il est convenu dans le cahier des charges qu'il faut être dérangeant, déstabilisant pour ces étranges bestioles appelées « les gens », dont on décrète qu'ils sont pris dans des routines morales, lieux communs intellectuels, idées toutes faites et autres stéréotypes qu'il s'agit de faire voler en éclat, pour les rendre à la pureté de ... de quoi, au fait ?

 

C'est fou, quand on y pense, le nombre de gens de Spectacle et d'Art qui ont pour but d'agir sur le spectateur, le plus souvent en le mettant mal à l'aise, en l'obligeant à se remettre en question, en le tourneboulant, désorientant, abasourdissant. Comme on est à Lyon, j'ajoute "badibulguant". Tous ces gens sont d'un altruisme terrifiant et dévastateur. Jamais les "bonnes intentions" n'ont commis pareils dégâts. C’est à qui dénichera son Poseur de Bombes personnel, qu’il comblera de ses bienfaits s’il consent à poser celles-ci dans son musée personnel.

 

Damien Hirst et Jeff Koons se tirent la bourre pour savoir qui sera le mieux coté. Les nouveaux académiques pontifiants Daniel Buren ou Bertrand Lavier jouent les fripons, sans doute pour faire plus jeunes. Anish Kapoor s’en donne à cœur joie au Grand Palais, sans doute pour ne pas empiéter sur les plates-bandes versaillaises de Takeshi Murakami. Dans le fond, Paul McCarthy, dans ce paysage, fait figure de « Petit Bras » (je suis en cela d’accord avec monsieur Dagen, du Monde, si j’ai bien lu).

 

On a compris que, quoi qu’il arrive, aucun artiste digne de la Modernité ne saurait advenir sur le Marché de l’Art s’il ne commet aucune profanation. Il arrive que Puissants et Décideurs tolèrent qu'il se contente de proposer du "Jamais Vu", mais même le "Jamais Vu" doit rester exceptionnel.  Car le sacrilège et le blasphème sont des laissez-passer magiques. Du « Piss-Christ » d’Andres Serrano à la Crucifixion d’une femme par Bettina Rheims, par exemple.

 

Et l’ « artiste », le commanditaire et le mécène sont aux anges quand l’œuvre exposée a la joie ineffable et le bonheur sans mélange de se faire vandaliser. Quand l'artiste est arrivé à appuyer sur le bon bouton, celui de la fureur vindicative des "Crétins", qui n'attendaient que cette occasion pour passer à l'action. Quand l'étincelle de la provocation a remonté toute la longueur de la mèche, jusqu'au tonneau de poudre. 

 

Si le scandale n’est pas au rendez-vous, c’est que la mèche de la bombe était mouillée. HernaniPelléas, Le Sacre, Ubu, Déserts, tous les directeurs de salles rêvent de ces échauffourées merveilleuses, de ces émeutes ébouriffantes, de ces soulèvements délicieux, de ces batailles épiques en smokings et robes de soie dont on parle encore cent ans après, et plus.

 

« Encore raté », s’écrie alors, rageur, ce colonel Olrik de l’Art Contemporain, « mais je reviendrai, je me vengerai, je l’aurai, mon scandale ». Le scandale est désormais un investissement ; faire scandale est un but de guerre : tout doit être pensé pour l’atteindre, et d’abord le thème. La religion, le sexe sont des « créneaux porteurs ». Il y a aussi le caca : successeur de Piero Manzoni et de sa « Merda d’artista » (1961), Wim Delvoye s’est illustré avec sa féconde série (2000, 2001, 2003, 2004, 2005, 2006, 2007, 2009) des « Cloaca » et autres « machines à caca ». Il a aussi tatoué des cochons, et même le dos d'un certain Tim Steiner, dont la peau, qui a été vendue 150.000 euros en 2008, sera définitivement acquise par son acheteur à la mort de son porteur et possesseur. Furieusement excitant, n'est-il pas vrai, très chère ?

 

Je ne sais pas si vous avez remarqué, mais comme les œuvres d’art et expositions, les pièces de théâtre et spectacles de danse dont les médias parlent le plus sont ceux qui portent l’étendard de la « Transgression ». C’est au metteur en scène qui « transgressera » le plus, le mieux et le plus radicalement : la concurrence est impitoyable. Cette vogue a gagné la mise en scène d’opéra. Au point d'en être devenue d'un terrible conformisme. Je donne même une idée : le fin du fin serait de dénuder sur scène des très vieilles et des très vieux, des très laids et des très obèses, que sais-je, des très fous sortant de l'asile et des très dangereux évadés de prison, bref la fine fleur de ce qui se fait en matière d'apparences repoussantes. Le pied, je vous dis pas !

 

La parole est au « transgresseur » : acteurs à poil sur la scène pour un oui ou pour un non, défécations et mictions, corps dénudés couverts d’on ne sait quelles déjections et autres contenus de poubelle. Aujourd’hui, c’est bien simple, un jeune n’arrive à rien s’il ne transgresse pas. Sinon, il sera considéré comme anormal.  C’est un principe hors duquel il ne saurait trouver le salut.

 

Qu’on se le dise : la transgression est devenue la norme. Les gens normaux sont devenus inadmissibles. Il n'est plus normal d'être normal. Une bonne partie de la Culture actuelle crie : « A bas les gens normaux ». C'est bien simple, ils sont atteints d'un insupportable « conservatisme », quand ils ne sont pas carrément des « réactionnaires », des « crétins », des « fachos ». La Révolution des valeurs est en marche qui, tel Saint Jean-Baptiste annonçant la venue du Messie, nous prépare à la « post-humanité ». Amen.

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

UN ALBUM EGOÏSTE

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BERNARD PLOSSU